06.03.2012
Guitare et clavier
Quand j’écris, chez moi, entre deux pages, voire deux paragraphes, et même parfois entre deux ou trois lignes, cela dépend de beaucoup de choses, de la spontanéité du flux d'écriture par exemple, je me lève et je prends ma guitare.
Là, je fais une suite d’accords ou des gammes. Des gammes de blues le plus souvent. Ou alors, un vieux Brassens. Sur la pompe classique ou selon ma propre définition.
Pour moi seul. Et je me dis dans ces instants, qu’il y a une différence fondamentale, dans ma vie du moins, entre la musique et l’écriture.
Je n’ai rien présenté sur une scène depuis plus d’un an et demi et ça ne me manque pas du tout. La musique se satisfait donc d’elle-même, elle tire son plaisir d’elle-même, d’une confrontation à sa propre solitude. L’écriture, non. Celle-ci se veut à tout prix message, elle veut à tout prix être exposée, vue, connue, et même reconnue. Et elle n’est pas grand-chose, sinon rien du tout, sans cette perspective, ici, immédiatement sur ce blog, ou, bien plus hypothétique et dans bien plus longtemps, dans un livre. Elle poursuit un but social et existentiel, un but sine qua non, dont la suite d’accords ou les gammes n’ont que faire !
Et je pense souvent que si j’ai pu vivre de longs espaces de ma vie sans écrire, je n’ai jamais pu vivre sans une guitare à mes côtés, sans saisir le manche au moins une fois par jour. Partout. La première fois que je suis monté dans un bus place de la concorde, pour rejoindre Varsovie, je n’avais pas grand bagage, mais j’avais ma guitare. Comme une protubérance.
Je n’ai jamais appris non plus quelqu’un à écrire, jamais donné de conseils. J’en ai bien trop besoin moi-même, pensez donc ! En revanche, j’ai initié de nombreux jeunes à la guitare, dans un centre socioculturel. C’étaient de jeunes enthousiastes, certains ont vraiment continué très bien, jusqu’à dépasser, comme c’est souvent le cas, la dextérité réelle ou supposée de leur professeur.
Et j’ai un souvenir attendri pour l’un d’entre eux, Mathieu, à qui j’ai enseigné les fameuses gammes pentatoniques, le hammer, le pull-off et autres slides. Un féru de blues. Un doigté extraordinaire, sensible, romantico- spleen, mais un ado qui se rebellait à chaque fois que je voulais lui parler un tant soit peu de solfège. Tout au feeling.
Ce gosse-là m’avait fait deux cadeaux. Des Etats-Unis, il m’avait ramené le coffret intégral, précieux, unique, de Robert Johnson. Une bible. Des morceaux d'anthologie. Presque d'ethnologie. Je l’ai toujours, posé dans ma bibliothèque, parmi les livres comme s’il en était lui-même un… Et puis, une autre fois, Mathieu est venu à son cours avec les œuvres complètes de Rimbaud dans la pléiade. Et avec cette dédicace : tu m’as donné le blues-feeling. Merci.
Emotion en écrivant ces quelques lignes. Car ce pont, ce trait d’union, qu’il avait spontanément établi entre Rimbaud et ce qu’il ressentait du blues - Mathieu avait dix-sept ans à l'époque - je ne l’ai jamais vu ailleurs. Ah, Mathieu, tu m’as donné bien du bonheur avec ces deux cadeaux-là !
Ton Rimbaud, notre Rimbaud, trône également dans la bibliothèque aux côtés de Robert Johnson.
Et je n’ai pas souvenance que l’écriture m’ait un jour donné autant de retour humain.
C’est pourtant avec elle que je compose chaque jour. En elle que je mets de bien dérisoires espoirs. En elle que je m'efforce de croire, bien plus qu'en la musique.
Vanité, sans aucun doute.
Illustration : Le modèle exact sur lequel s'exercent mes velléités.
10:06 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Ah mais c'est que la comparaison est délicate en matière de retours humains, quand, dans un cas, il y a une relation didactique et dans l'autre non. Je serais encline à penser que dans un cas, le cadeau est une offrande et dans l'autre un don. La distinction peut paraître subtile, mais le «retour humain» n'en est pas moins raffiné.
Écrit par : ArD | 06.03.2012
Pas trop d'accord avec vous, ArD, sinon pour la distinction sémantique antre offrande et don.
L'offrande est entachée, selon mon goût, d'une certaine vénération, presque d'un rapport de subordination, le don, non. Le don comporte à plein la notion de gratuité que l'offrande n'a pas tout à fait à mon sens. Brièvement.
Quand on enseigne le blues à un jeune, la relation n'est pas que didactique. Elle ne saurait l'être. Une certaine émotion du partage d'un goût commun fait qu'elle est aussi affective. Je précise d'ailleurs que, dans les cas que je note ici, j'étais bénévole, l'élève s'acquittant, lui, d'une modique cotisation auprès du centre socioculturel. Il y avait donc presque gratuité de l'échange, en ma personne. Je donnais.
Quand je distingue, donc,- ici très spécifiquement - le retour humain, je veux dire que ce que vous offre un lecteur en retour est fondamentalement gratifiant, bien sûr, évidemment, mais qu'il n'y a pas - et c'est sans doute heureux - de relation affective, humaine, portant jusqu'au cadeau personnalisé.
Ce serait extravagant.
Le cadeau du lecteur, c'est sa lecture.
Écrit par : Bertrand | 07.03.2012
Argh, je me doutais bien que «offrande» ne passerait pas comme une lettre à la poste, et pourtant... j'avais vérifié ses sens avant de l'écrire, mais ces fenêtres de commentaires prêtent à la concision. Vous avez totalement raison sur le sens propre. Par analogie, on sort du contexte religieux, expiatoire, etc. (ça allait de soi (!), pour aboutir à une notion de reconnaissance et d'attachement à celui qui vous transmet un savoir, cette sorte de distingo que l'on retrouve entre donner et offrir.
Écrit par : ArD | 07.03.2012
Ah ! Vous vous doutiez...Je m'en doutais bien que vous vous doutiez (!) (doutassiez ?)
La notion de reconnaissance est là bien fondamentale. Et vous ne la retrouverez pas, cette notion, dans l'échange qui tourne autour de l'écriture. Non ?
Je sors du contexte, complètement, avec " votre lettre à la poste". ça me rappelle une sortie de ce vieux renard qu'était Mitterrand. A un communiste, dans la Nièvre, qui s'opposait à lui et qui lui disait :
- Je passerai comme un lettre à la poste !
Il eut la délectable impertinence de répondre :
- La poste est fermée le dimanche !
Rigolo, non?
Écrit par : Bertrand | 07.03.2012
Dans la lecture, «échange» oui, «reconnaissance», non. Nous y sommes (!)
Écrit par : ArD | 07.03.2012
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