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05.03.2012

En d'autres termes et le roman

littérature"L’analyse psychologique a perdu pour moi tout intérêt du jour où je me suis avisé que l’homme éprouve ce qu’il imagine éprouver. De là à penser qu’il imagine éprouver ce qu’il éprouve… Je le vois bien avec mon amour : entre aimer Laura et m’imaginer que je l’aime - entre m’imaginer que je l’aime moins, et l’aimer moins, quel dieu verrait la différence ? Dans le domaine des sentiments, le réel ne se distingue pas de l’imaginaire. Et, s’il suffit d’imaginer qu’on aime pour aimer, aussi suffit-il de se dire qu’on imagine aimer, quand on aime, pour aussitôt aimer un peu moins, et même pour se détacher un peu de ce qu’on aime - ou pour en détacher quelques cristaux. Mais pour se dire cela ne faut-il pas déjà aimer un peu moins ?"

"On parle sans cesse de la brusque cristallisation de l’amour. La lente décristallisation, dont je n’entends jamais parler, est un phénomène psychologique qui m’intéresse bien davantage. J’estime qu’on le peut observer, au bout d’un temps plus ou moins long, dans tous les mariages d’amour."

"Tant qu’il aime et veut être aimé, l’amoureux ne peut se donner pour ce qu’il est vraiment, et, de plus, il ne voit pas l’autre - mais bien en son lieu, une idole qu’il pare, et qu’il divinise, et qu’il crée."

André Gide - Les Faux monnayeurs -

Ce que Nietzsche avait tranché d’une formule lapidaire : L’amour, c’est du sensuel qui passe au spirituel.
Et ce qu’un vieil ami, aujourd’hui hélas dormant de l’autre côté des pissenlits, avait encore résumé en ces termes galants : Conjurer
son angoisse dans la métaphysique d’une touffe de poils. 

***

 littérature"Dépouiller le roman de tous les éléments qui n'appartiennent pas spécifiquement au roman. De même que la photographie, naguère, débarrassa la peinture du souci de certaines exactitudes, le phonographe nettoiera sans doute demain le roman de ses dialogues rapportés, dont le réaliste souvent se fait gloire. Les événements extérieurs, les accidents, les traumatismes, appartiennent au cinéma; il sied que le roman les lui laisse. Même la description des personnages ne me paraît point appartenir proprement au genre. Oui vraiment, il ne me paraît pas que le roman pur (et en art, comme partout, la pureté seule m'importe) ait à s'en occuper. Non plus que le fait le drame. Et qu'on ne vienne point dire que le dramaturge ne décrit pas ses personnages parce que le spectateur est appelé à les voir portés tout vivants sur la scène; car combien de fois n'avons-nous pas été gênés au théâtre, par l'acteur, et souffert de ce qu’il ressemblât si mal à celui que, sans lui, nous nous représentions si bien. - Le romancier, d'ordinaire, ne fait point suffisamment crédit à l'imagination du lecteur."

 André Gide - Les Faux monnayeurs -

Voilà, à mon sens, une profession de foi artistique qu’avaient dû mal lire les écrivains adeptes du  Nouveau roman et, loin après eux, ceux de la littérature contemporaine, qui, d’un seul coup d’un seul, ont décrété la mort du roman.
Quand on ne se sent pas le talent de la rénover, d’innover en son sein, on décrète la chose obsolète. Et on la tue. Du moins on dit qu'on a vu son cadavre. Quoi de plus simple ?
Pour moi qui me plaît encore à décrire les paysages et les hommes évoluant dans ces paysages, qui me plaît même à ne pas dissocier ces hommes-là de leurs paysages, l'affaire est évidemment beaucoup plus compliquée.
Car il en va de mon amour d'écrire.

 

11:05 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Intéressant article, dans sa progression de citations vers une spécificité, une "pureté" de la chose roman. On ne peut pas ne pas s'être posé ces questions et mon exemplaire tout jauni de "L'ère du soupçon" ne dira pas le contraire.
S'il faut trancher, je me dirais bien proche de la conception de Gide, dans l'élagage qu'elle exige. Mais ne retrouve-t-on pas, justement, la même volonté chez Nathalie Sarraute, quand elle écrit en préface de L'ère du soupçon "...l'analyse des sentiments, cette étape nécessaire mais dépassée..", ou "Mais, dira-t-on, qu'appelez-vous donc un auteur réaliste ? Eh bien tout bonnement, -et que cela pourrait-il être d'autre ? - un auteur qui s'attache avant tout [...]à saisir en s'efforçant de tricher le moins possible et de ne rien rogner ni aplatir pour venir à bout des contradictions et des complexités, à scruter avec toute la sincérité dont il est capable, aussi loin que le lui permet l'acuité de son regard, ce qui lui apparaît comme étant la réalité".
Peut-on remplacer la "réalité" par la "pureté" de Gide ? Assurément, oui. Et quand au personnage qui serait défait, poussé sous le tapis...Les décors de Robe-Grillet et d'autres ne sont-ils pas des personnages ?...
Camus n'avait-il pas la volonté de tuer le psy et le personnage, tel qu'il était campé, miroir du réel de cartes postales, quand il publia L'étranger, en 42 ?

Mac Laughlin, le fameux guitariste disait en parlant de son art "La musique, c'est l'expression de l'âme, mise en forme par l'intelligence".
Grace à tous ces nouveaux archétypes de "roman pur" qui se sont succédés depuis sans doute la naissance du roman comme genre - et là encore, les querelles, les étripages grandiloquents ne manquent pas - nous disposons d'une boite à outils fournie, pour construire loin des académismes, en n'écoutant pas les rôles en nous qui nous poussent toujours à refaire comme le guitariste qui suit ses doigts au lieu d'écouter la musique dans sa tête. C'est bien ça, le "roman pur", d'abord et avant tout, réutiliser sans reprendre. Solidaires mais solitaires.

Écrit par : Alain L. | 05.03.2012

Vous dites là des choses qui me plaisent bien et c'est la première fois que je vois associés Mac Laughlin et Nathalie Sarraute. Mais il y a une première à tout.
Le roman ( initialement récit écrit en langue romane, n'est-ce pas ?) est assez vieux et expérimenté, effectivement, pour ne pas avoir besoin d'avocat pour plaider une éventuelle cause ou de prêtre pour lui administrer une extrême onction, bien prématurée à mon sens et à mon goût... Qu'il soit renouvelé, chahuté, défait, rebaptisé, restructuré, recousu, dit avec des mots avec des fautes exprès histoire de faire bien, ou des phrases entremêlées histoire de faire tourmenté, il renaît chaque fois de ses cendres.
Déjà Balzac prétendait - à juste titre au sens plus élargi de "roman"- faire autre chose qu'un roman avec "Les paysans", mais une étude de mœurs . On peut donc tout faire et tout dire pour son propre compte, du moment qu'on ne décrète pas ex cathedra tel genre caduque, obsolète et tel autre collant à son époque. D'autant que l'écriture n'a pas forcément vocation à coller à son époque. Bien au contraire, le plus souvent.

Pour le guitariste, ça sort du ventre ou de la tête. Du ventre quand ça veut rigoler profond, de la tête les jours sans. Pour moi, bien sûr. Pour un autre ce peut être tout autre chose.
Bien à vous et merci de votre longue appréciation.

Écrit par : Bertrand | 05.03.2012

En lisant le commentaire d'Alain L., ce retour brusque en arrière dans le temps! J'avais complétement oublié John Mac Laughlin!(heureusement que je ne me souviens pas de tout, sinon ce n'est pas un peu de nostalgie qui m'effleurerait de temps en temps, mais elle me dévorerait!!!)

Écrit par : Sophie | 06.03.2012

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