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16.02.2012

Passager clandestin

littérature« … Je l'ai souvent descendue, cette rue des Pyrénées, très belle car très commerçante, je me suis souvent arrêté à la brasserie place Gambetta face à la mairie du XXème, et je me suis souvent promené dans les allées du Père Lachaise où j'ai aussi beaucoup lu puisque j'habitais non loin de là. »
Cette petite phrase est de l’ami Solko, en réponse à un commentaire que j’avais laissé chez lui. Si je la reprends ce matin et si même je me propose d’y consacrer un petit texte, c’est qu’elle m’a évoqué une anecdote plaisamment restée gravée dans ma mémoire et qui m’advint, il y a de cela trente ans environ. Sans cette petite phrase, elle n’aurait sans doute jamais donné naissance à un texte, mais l’envie de raconter par l’écriture vient toujours - ou du moins très souvent - d’une image inopinément remontée à la surface du temps.

J’habitais donc en Charente-Maritime, aux lisières du Marais poitevin, à deux pas du paisible canal du Mignon. Je me rendais souvent à Paris, en stop ou en train. Là, c’était en voiture. Une Ami 6 déjà vieille, exactement. J’étais parti vers le milieu d’un après-midi d’automne, pour visiter des amis et aussi pour me rendre à un rendez-vous pris avec un éditeur, excellent éditeur au demeurant, disparu aujourd’hui, Plasma, et qui avait pignon sur une rue qui n’existait pratiquement plus, pour cause de «trou des halles.»
Allez, je digresse un peu, là : cet éditeur était intéressé par un manuscrit que je lui avais laissé, «Echecs». Un roman qui avait pour cadre le Marais poitevin, qui n’a jamais été publié mais, quand même, qui a beaucoup, beaucoup circulé entre Paris et Toulouse et qui a franchi les Pyrénées, traduit par un camarade espagnol. Une petite carrière sous le manteau, quoi ! Un roman violent, d’inspiration anar. C'est que j’y croyais encore, à l’époque, aux lendemains sans dieu ni maître !
Las ! Las ! C’est un chanteur, d’inspiration anar justement, qui me coupa l’herbe sous le pied chez "Plasma". Ils étaient à deux doigts de prendre mon fichu manuscrit, quand ils eurent soudain l’opportunité de publier les œuvres complètes de Léo Ferré ! Un gros livre noir. Alors, entre un illustre inconnu et un illustre connu, le choix a été vite fait et mézigue s’est retrouvé Gros Jean comme devant ! Fin de la digression.
Intéressant, non ?
Mais revenons vite à mon voyage à Paris, parce que Solko doit bien se demander ce qu’il vient faire là-dedans.
Aux environs de Poitiers, je prends donc à mon modeste bord un auto-stoppeur. Dans mes âges, à peu près. Un jeune homme donc. Un homme jeune plutôt. Il avait de longs, de très longs cheveux, très beaux et très blonds, une tête sympa comme tout.
Paris ? Oui, Paris…Ça roule… Et nous voilà partis ensemble, discutant de choses et d’autres, disant beaucoup de bien de la vie et beaucoup de mal de Giscard D’Estaing. Peut être de Mitterrand.

A Orléans, je prenais toujours la Nationale 20. Je la suivis sur une cinquantaine de kilomètres avant d'aviser une sorte de restaurant-auberge-bistrot, genre «Routiers», complètement isolé sur la plaine et sur cette ligne droite indéfinissable, noyée d’un soleil déjà oblique… Là, nous sirotâmes un demi. Deux peut-être. Plus sûrement trois. Mon compagnon réclama alors un sandwich au pâté de campagne…
Bien. Et voilà que, là, debout devant le bar, il se met à émettre des petits bisous, comme quand on appelle son chat, et qu’il trifouille délicatement, en retournant légèrement la tête, sous sa longue chevelure, dans la région du cou. J’étais intrigué, bien sûr… On l’eût été à moins. Le gars fourrait des morceaux de pain graissés de pâté sous ses longs cheveux et retirait sa main… vide !  Il continuait ses petits bisous, je m’approchai du cou et vis alors un énorme rat, avec un museau pas possible et des moustaches affreuses, qui grignotait là, peinard.

Je reculai vivement. Les rats et les serpents, c’est ma phobie. Le gars aussitôt éclata de rire et se joua de mes peurs. Il m’expliqua que c’était son compagnon, son ami, et qu’il dormait toujours là, au chaud sur son cou. Il me dit son nom, je ne m’en souviens plus, je n’écoutais plus : je venais de faire trois cents kilomètres avec un gros rat dans ma voiture ! J’étais un peu estomaqué.
Nous reprîmes néanmoins la route. Je n’avais désormais plus d’œil que pour le cou de mon compagnon où sommeillait la bestiole. Lui, il continuait à discuter, à babiller, toujours sympa.
Nous rentrâmes par la Porte des Lilas. Je rentrais toujours par là, parfois à Bagnolet, car j’allais en haut de la rue des Pyrénées. La nuit tombait sur la ville. Je proposai à mon passager de le laisser place Gambetta. Il dit OK, mais je vous offre un coup.  Le genre d’invitation que je n’avais jamais appris à refuser.
Et c’est dans une brasserie où j’avais l’habitude d’aller chaque fois que j’étais à Paris, en face de la mairie du XXème arrondissement, tout près du père Lachaise, que nous choquèrent à nouveau nos verres, installés à une petite table.
Il commanda aussitôt un croque-monsieur et se mit en devoir de faire dîner discrètement son copain.
Nous nous quittâmes.
Je me souviens ne pas avoir souhaité le bonsoir au rat.
Et je m’amuse aujourd’hui à imaginer que, peut-être, Solko était à côté et n’a jamais soupçonné la présence d’un Gaspard, tout près de lui, à la table d'un voisin fort chevelu.

13:03 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Ce type était un précurseur, un vrai, car il ne vous a pas échappé que dorénavant, les humains se baladent avec toutes sortes de compagnons, au premier rang desquels, dans le métro, des rats. Les pattes doivent procurer des sensations quand elles circulent sur la peau. Enfin je suppose, parce que je n'ai jamais essayé, étant plutôt ami des chats.
Oui, cette brasserie m'a laissé de beaux souvenirs, de petits matins comme de soirées tardives, d'étés comme d'hivers. D'ailleurs j'avais hésité entre celle-ci et celle d'Alésia pour situer la rencontre entre mes deux héros du "plus beau billet du monde".
Les quartiers où nous avons longtemps habité restent toujours familiers, comme la façade de cette mairie du XXème, si XIXème. Merci de ce souvenir.

Écrit par : solko | 16.02.2012

A bon chat, bon rat ! Oui, c'était un précurseur, ce type. Un qui annonçait les N.A.C !
Les quartiers, les paysages, que nous avons hantés sont toujours, oui, familiers au point que nous aimons les faire entrer en littérature. Du moins essayons-nous...

Écrit par : Bertrand | 17.02.2012

Vous changez de décor tous les jours, vous. La bannière est d'un beau classicisme comme ça.Et ce fond gris est agréable. "Le gris est une couleur avouable", disait Jean Reverzy. J'aime bien cette citation (et le gris)

Écrit par : solko | 17.02.2012

Pas tout à fait tous les jours...J'étais resté longtemps avec le même décor et là, j'ai tâtonné...La sobriété, là, me plaît bien avec la bannière.
Surveillez L'Exil, ami Solko, aujourd'hui ou lundi une belle surprise pour les lecteurs....Enfin, du moins l'espéré-je...

Écrit par : Bertrand | 17.02.2012

Les commentaires sont fermés.