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19.02.2012

Le grand mouvement des choses

6.JPGCe que je ressens du monde revêt la douceur apaisante d’une vaste rondeur. Mais pas comme un cercle élégant tracé par le compas d’un écolier studieux. Une boucle plutôt. Besognée par un cancre distrait.
Je vis sur une boule bleue qui tourne autour d’une boule rouge ou jaune, suivant des saisons qui tournent en rond… Et quand je regarde le ciel sur la plaine, il plonge en arc de cercle sur cette plaine, laquelle courbe elle-même l’échine, fait le dos rond, là-bas sur les derniers brouillards de l’horizon.
L’horizon. Terme ambigu. Incertain. En même temps terme d’espoir et terme de chute. Mirage trompeur de la ligne droite. Point de mire du marcheur fatigué. Infranchissable. Sans cesse reculé. Dansant, tel le mirage des sables.
C’est ainsi que les bâtisseurs d’horizons ne vont jamais au bout de leurs rêves.
L’horizon. Ligne circulaire, variable en chaque lieu, dont l'observateur est le centre et où le ciel et la terre semblent se joindre. Oui. C’est Le Littré qui le dit.
Et je vois le Littré partout au bout de mon chemin. L’horizon est donc circulaire et les lignes horizontales ne sont jamais droites puisque par définition astronomique, elles sont des parallèles à cet horizon.
Je marche vers l’horizon. A la verticale, que je marche. Perpendiculaire à une courbe.
Comment dès lors marcherais-je droit vers un point que je redoute pour être « final» ?

Tout a la rondeur des espaces qui commencent et finissent en même temps, sans qu’il n’y ait de trajectoire linéaire.
Quand je regardais l’océan, là-bas d'où je suis venu, il était aussi comme une sorte de sphère liquide et tremblotante et dont je n’apercevais qu’un pôle qui miroitait sous la lumière d’une grosse étoile ronde.
Si j’imagine l’univers dont une des théories le décrit encore en expansion, j’imagine une sphère incommensurable et chaude qui gonfle encore sous l’impulsion d’une force titanesque qui lui viendrait du centre.
Les limites où se meurt le rationnel et où trébuche l’imagination  même la plus audacieuse, c’est la définition, l’existence même du vide sur lequel se répandrait cet univers en mouvement circulaire, projeté à l’infini.
Car pour qu’un corps se distende et prenne de l’ampleur, il lui faut forcément rencontrer du vide. Et le vide, le néant, par définition, ça n’existe pas. Prétendre à une existence du néant, c’est implicitement et absolument poser le postulat de sa négation.


Je vis, nous vivons, dans cette rondeur chaotique. Nos états d’âme, nos pulsions, en sont forcément déterminés pour une part.
Et du hasard d’une naissance à la dernière pelletée du fossoyeur, ce que nous appelons la fuite du temps - et qui n’est que l’éphémère de notre marche vers l’horizon intangible - me semble donc un cercle imparfait, musardant du point zéro au point zéro. D'un hasard à l'autre. Avec entre les deux la vanité pensante.
La vision commune de cette fuite du temps est une trajectoire. Le temps rationnel, vécu comme corps unique à sens unique. C’est la vision bourgeoise du temps. Une vision métaphysique du mouvement.
Si tel en était, pour nous souvenir, il faudrait nous retourner. Nous ne nous retournons pas. Nous nous voyons en un point donné du cercle imparfait. Là où nous sommes déjà passés et où nous avons déposé comme gages de notre venue, des rêves d’enfant, des larmes, des amours, des visions fulgurantes de la mort.
Seuls les gens qui pensent leur vie comme une ligne droite à parcourir pensent qu’on patauge quand on est dans la nostalgie. Nostalgie. Se souvenir avec douleur. Sur une boucle, on a une vision d’ensemble. On se voit partout à la fois. Le présent regarde le passé sans nier sa qualité de présent irrémédiablement entrainé dans une chute vers le futur.
En cheminant notre bonhomme de vie, nous nous croisons en fait. En même temps ici, ailleurs et déjà là-bas.
Aimer sa vie, c’est être quantique. Multiple. Et comme son propre horizon, impalpable.
Le grand mouvement des choses.
J’aime alors les saisons, leur retour et leur fuite. L’éternel retour des mêmes gestes de la terre dans sa complicité avec le reste du monde et, en un zoom intime, secret, sa complicité avec ma peau et mon désir de vivre.

Particule de ce bal où tournoie la valse enchevêtrée des choses, je ne suis rien sans l’exode des oiseaux vers le nord, puis vers le sud, puis vers le nord encore. Rien sans la nuit qui engloutit le jour et ce jour à son tour qui dévore la nuit. Qui l’épluche d’est en ouest. Rien sans mon affection pour les paysages peints, modelés, parfumés par une latitude et un climat. Par un mouvement.
La pendule universelle.
Jusqu’à l’horizon courbé, toujours défaillant. Jamais vaincu.

07:01 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

J'ai bien aimé vos jolies études toponymiques. Pour nous qui nageons dedans à longueur d'année, les lieux-dits sont aussi motifs à rire ou à bricoler des jeux de mots idiots...

Écrit par : Alfonse | 19.02.2012

Des jeux de mots idiots ? Heu...Là n'était pas exactement mon propos, voyez-vous...Enfin...

Écrit par : Bertrand | 20.02.2012

Les commentaires sont fermés.