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15.02.2012

Vers et pages réflexes

P1010030.JPGDes nouvelles de «Zozo», en villégiature au Québec : le public est ravi et en redemande. Voilà qui me « fait ben piési, » comme on dit dans mon Poitou natal. Il n’y a pas en écriture de plus grand bonheur que celui de  nourrir le plaisir du lecteur. Que ce lecteur soit sous des latitudes aussi lointaines me flatte encore plus.
Bizarrement, j’en conviens.

Un amical salut et grand merci, donc, à Jean-Jacques qui, depuis plus un an, donne sa voix et son jeu d’artiste à Zozo, le fait individu de chair, le transmet.

Sur un tout autre sujet - quoique - ce matin j’évoquais in petto ces vers classiques acquis sur les bancs de l’école pour certains, retenus plus tard pour d’autres, qui me collent à la peau et qui, de façon récurrente, reviennent tournoyer dans ma tête, devant les mêmes paysages ou dans les mêmes situations.
En traversant les champs, aplatis, blancs, muets, inertes, sans le moindre mouvement de vie, ni sauvage ni humaine, des champs qui se déroulent jusqu’à ce que le ciel enneigé les rejoigne en leur tombant dessus, toujours me revient :

La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.

Sans doute parce que j’ai envie de dire ces champs, cette solitude résignée, cette plaine enfouie sous les endormissements de l’hiver, de les dire au plus près, et que, après ce vers, il n’y a dans ma tête pas d’autres évocations plus sensibles, plus proches du réel imagé, plus proches de l’imaginaire des mots. Alors, parfois, c’est vrai, mieux vaut marcher sur les pas de ceux qui nous ont précédés, emprunter leurs musiques plutôt que de tenter de reformuler le monde.
Il y a aussi les soirs, assez souvent, où je regarde le ciel qui s’enfuit déjà devant la nuit. Quand la lumière diffuse un discret mélange d’orange et de bleu, comme une aquarelle indécise, et où, juste au-dessus du toit de mon voisin, un premier clin d’œil aussi ténu que le reflet d'une tête d’aiguille, réclame l’obscurité :

Pâle étoile du soir, messagère lointaine,
Dont le front sort brillant des voiles du couchant,
De ton palais d'azur, au sein du firmament,
Que regardes-tu dans la plaine?

Là encore, les mots mettent parfaitement en musique la sensation. De façon presque non perfectible. Je ne m’explique - si tant est qu'il faille expliquer - ça que comme ça.

Il m’est arrivé, plus rarement il est vrai, d’avoir à me rendre dans une maison de retraite. Pour quelle que raison que ce soit, en France ou en Pologne. En France, c’est chaque fois que je vais saluer ma vieille mère, à Lusignan. Ma vieille mère, quatre- vingt onze ans au printemps, la tête encore pleine de souvenirs cohérents, des petits et des grands, le cheveu bien peigné, l’habit soigné, le verbe toujours un peu rebelle.  Elle  me prend par  le bras et elle fanfaronne devant ses voisines : C'est mon fils de Pologne ! ... De... ? De Pologne ! Ah oui ? De Sologne ? Parce que j'vous l'dis !
La Pologne, c'est pas un pays. C'est un mot qui veut dire "loin". "Ailleurs".
Pour ma mère, j'ai toujours vécu dans d'incompréhensibles "ailleurs".
En ces lieux-là, donc, plus de paysages, plus de lune, plus de neige et plus d’étoiles. Que de la peur et du désarroi. Dans les longs corridors - dont on sait trop bien où ils mènent - ces vieillards immobiles sur des fauteuils improbables, ces lèvres qui tremblent, qui bavent parfois une goutte en suspens, qui semblent marmonner des mots qui ne viennent plus du cerveau, et ces yeux qui ne voient plus d’horizons que le blanc du mur blanc ; qui semblent s’étonner, interroger, s’inquiéter du moindre mouvement, comme déjà résolus à la simplicité immobile et absolue, et ces mains bleuies, décharnées, posées sur des genoux cagneux, ces jambes douloureuses repliées sous le siège, ces braguettes mal refermées.
Immanquablement, Rimbaud s’invite à ma tristesse :

Et leur membre s’agace à des barbes d’épis !

Des vers - il y en a d’autres - qui sont devenus des réflexes, sans pour autant perdre, du moins dans l’instant où ils sont dits en silence, toute la force de leur évocation.
Il y a des pages aussi.
Fut un temps  où j’allais souvent à Rouen. Au sens propre comme au sens argotique.
Longtemps avant Chartres, sur la Nationale 10, j’apercevais les toits vert cuivré de la cathédrale, étrangement esseulés sur le dos rond de la Beauce. Comme posés là par accident. La Terre, Zola, immanquablement me revenaient en mémoire.
Mais je crois l’avoir déjà dit plus longuement dans "Polska B Dzisiaj. "
"Polska B Dzisiaj", dont le contrat avec Nuplie.pet n’a jamais été dénoncé, et que je me fais donc fort de vous offrir prochainement en téléchargement gratuit, avec mise en pages estampillée Nuplie.pet. Histoire de vous être agréable et, en même temps, de faire chier le renégat-menteur et son distributeur mastodonte, Amazon, tueur de libraires et de petite distribution.
Tenez, là, avec cette digression, c'est une petite strophe qui me revient soudain en mémoire.
My attendais vraiment pas. C'est la première fois.

Lâcher ce terme bas, Dieu sait ce qu'il m'en coûte,
La chose ne me gêne pas mais le mot me dégoûte,
J' suis désolé d' dire : Enculé !

G. Brassens - S'faire enculer -

12:50 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Alors tant mieux pour nous, un mal pour un bien, merci d'avance.

Écrit par : Alfonse | 15.02.2012

Je vous lis...Je ne dis rien le plus souvent...je me contente d'apprecier....pourtant, ce passage m'interpelle: "ces vers classiques acquis sur les bancs de l’école pour certains, retenus plus tard pour d’autres, qui me collent à la peau et qui, de façon récurrente, reviennent tournoyer dans ma tête, devant les mêmes paysages ou dans les mêmes situations.
En traversant les champs, aplatis, blancs, muets, inertes, sans le moindre mouvement de vie, ni sauvage ni humaine, des champs qui se déroulent jusqu’à ce que le ciel enneigé les rejoigne en leur tombant dessus, toujours me revient :

La grande plaine est blanche, immobile et sans voix."
J'enchaine, comme à l'école:

..."Pas un bruit, pas un son, toute vie est eteinte
Mais on entend, parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d'un bois...."

Ces vers de Maupassant, ont eu, à maintes reprise, allez savoir pourquoi, le don de calmer mes angoisses les plus tenaces...le fait de les reciter comme je le faisais à l'école, avec les memes intonnations, me transporte dans un paysage de neige, doux, soyeux, rassurant....comme celui des cartes de Noel de mon enfance et, subitement,la magie de ce paysage blanc et cotonneux, m'envelloppe de douceur et me rassure!....
Vous l'avez vous aussi évoqué.....je ne suis donc pas la seule à avoir été marquée par ce poème qui fait partie integrante, depuis belle lurette, de ma "memoire poétique"!


"
....Ces vers de Maupassant que j'ai, comme vous, cachés dans un coin de ma mémoire, sont de geux qui me reviennent le plus souvent....Ils ont le don, lorsque je ne vais pas bien, de calmer mes angoisses, et, dans les moments difficiles, par exemple lorsque, par deux fois, sur la tble d'opération, je luttais contre la panique,

Écrit par : Ninon | 15.02.2012

Merci Ninon!!! Vous êtes en phase avec Bertrand comme beaucoup de ses lecteurs!!!

Merci à Bertrand qui nous offre toujours de très beaux textes.

Écrit par : La Zélie | 16.02.2012

Alphonse, ce sera pour dans quelques jours, au début de la semaine prochaine sans doute. AU mieux demain... J'espère que les lecteurs de L'Exil seront nombreux à télécharger, gratuitement, cadeau...On a malproprement tué ces fichiers numérisés, qu'ils renaissent alors de leurs cendres ! (j'ai depuis la découverte de la supercherie une sainte horreur de nommer ça "livres") La seule restriction que je m'impose c'est si un éditeur, un vrai, un qui imprime de vrais livres, était preneur, je supprimerais les liens. Par respect pour lui. Mais faudrait d'abord que je fasse la démarche de les proposer...Alors...
Tenez un mot sur Publie.net, je ne puis m'en empêcher : le Patron de cette EURL privée maquillée "coopérative" distribuée par Amazon (bravo les auteurs, les lecteurs et les abonnés !) appellent ceux qui le critiquent, dont moi, " des médisants qui lui collent aux basques". C'est à se tordre de rire, cette mauvaise foi,cette hypertrophie du MOI et ce sens de la critique.

Revenons à la poésie. Merci Ninon de ces témoignages perso. Que vous lisiez souvent L'Exil en silence, est ma foi fort honorable aussi. On n'a pas toujours quelque chose à dire d'important, heureusement. Ce serait louche et la lecture sensible et sincère n'impose t-elle pas le plus souvent le silence ?
Vous êtes d'ailleurs de plus en plus nombreux ici, ce qui ne cesse de me faire plaisir, et les commentaires ne font pas pour autant légions. Beaucoup, beaucoup, lisent donc en silence mais l'important est que je sais qu'ils sont là, tout près.
De temps à autres cependant, il est quand même agréable de discuter avec un lecteur à qui, comme maintenant, un texte a profondément parlé...
Il est rare oui, d'aborder Maupassant sous le biais d'un poème. Celui-ci m'avait touché profondément quand j'étais encore en culottes courtes et je me souviens qu'avec l'instit nous avions longtemps, longtemps épilogué sur le sens à donner à la chute, à propos des oiseaux :
"De leur oeil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu'au jour la nuit qui ne vient pas."
C'est ce dernier vers qui posait et me pose encore problème...Ce "jusqu'au". Si quelqu'un a une réponse. Poème magnifique.
Bien à vous


Bonjour La Zélie, je salue amicalement votre fidélité à mes mots et votre gentillesse !

Écrit par : Bertrand | 16.02.2012

"De leur oeil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu'au jour la nuit qui ne vient pas."
"C'est ce dernier vers qui posait et me pose encore problème...Ce "jusqu'au". Si quelqu'un a une réponse...."

Si j'ai encore bien en memoire, les commentaires faits en classe, au cours de l'explication de ce poème par l'institutrice, j'avais compris, mais je me trompe peut etre, que, la nuit était blanche par le fait de la neige, et que les oiseaux "qui ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées", attendaient, en fait, jusqu'à l'aube, une nuit qui pour eux, n'etait pas encore venue , puisqu'ils n'avaient pas dormi!....Et lorsque l'aube pointe,c'est le debut du jour....la nuit,donc, ne viendra pas!

....nuit blanche, en somme!

Par contre, mon explication, meme si elle n'est pas claire comme le jour, est la seule que je puisse donner... et que je trouve logique depuis ....un certain nombre d'années!!!!
Je le redis, pour le plaisir, magnifique poème!

"NUIT DE NEIGE" Guy De MAUPASSANT

Écrit par : Ninon | 16.02.2012

La « nuit » comme métaphore de « sommeil » sonne clair comme de l'eau de roche à mon oreille.

Écrit par : ArD | 16.02.2012

Votre lecture me plaît bien, Ninon...Nuit, pris comme métonymie de sommeil, comme le suggère ArD.
En fait ce "jusqu'au jour" signifie " lendemain", lever du nouveau jour.
Merci beaucoup.

Écrit par : Bertrand | 17.02.2012

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