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20.12.2011

Mais qui n'a jamais été compromis à être écouté par des imbéciles ?

littérature

Il est beaucoup question de vanité en ce moment, après l’intervention de Sophie sur mon initiative de souscription et avec le texte magistralement publié ce matin par Roland Thévenet sur son Solko.
C’est la raison pour laquelle, vaniteux comme un pou, j’ai cité une interrogation-affirmation du Zarathoustra de Nietzsche en guise de titre, citer Nietzsche étant depuis longtemps - depuis que la bêtise a force de loi - un trait majeur de la vanité intellectuelle.
Que je précise tout de suite que la citation vaniteuse ne s’adresse nullement aux gens qui se sont exprimés sur mon outrecuidance à lancer une souscription. Ceux-là ont dit sans me compromettre et même plus : en faisant évoluer mon point de vue.
La citation est donc un rempart, un vaccin, contre ceux, éventuels, qui trouveraient que je chipote souvent sur les sous et la rémunération des auteurs et qui, donc, pourraient être tentés d’en conclure assez vite que je ne pense qu’à ça.
Je leur oppose, d’emblée et plaisamment, que si je ne pensais qu’à ça, je serais vraiment le dernier des imbéciles, parce que ne pas réussir à obtenir une queue de radis en cinquante ans tout en ne pensant qu’aux radis, dénoterait quand même une certaine bêtise, voire un certain handicap à. Les sous, c'est un peu comme les champignons, si  vraiment on veut se donner la peine d'aller les chercher là où ils se cachent, on en trouve partout.
De ces sous, donc, j’en ai pour assurer ma survie. Si j’en avais un peu plus, je voyagerais un peu plus et je ferais plus de cadeaux aux gens que j’aime, mais bon…J'ai passé l'âge d'aller aux champignons. Disons que le moyen n’est jamais rentré dans ma cervelle en tant que fin.
En revanche - et c’est toujours la même conversation - j’ai horreur, comme tout le monde sans doute, qu’on me prenne pour un imbécile et que, subodorant mon non-amour de l’argent, on en profite pour me voler le peu auquel je pourrais prétendre.
La question des droits d’auteur sur lesquels 80 pour cent des éditeurs font l’impasse et 99,99 pour cent des auteurs silence, me révulse donc et me révolte, non pas à cause de ces sacrés sous, mais à cause d’un jeu de poker menteur, où les cartes sont biseautées par tout le monde et comme une tricherie vis-à-vis du public lecteur.
En gros, le deal tacite se présente en ces termes : je te publie, t’es content, je ne vais pas, en plus, te récompenser d’être content ! Vous pensez que j’exagère ? A votre guise…Mais je parle là de vécu, pas d’hypothèses, et je défie quiconque de venir, preuves à l’appui,  me contester la véracité de ce vécu.
Si vous avez à cœur de vérifier, posez donc à un auteur la question suivante : alors, tu en es où de ton livre ? Il vit bien ? T’es content ?
A de très rares exceptions près, vous vous entendrez répondre : j’en sais rien, j’en sais rien…J’ai pas de nouvelles.
Désastreux.
Mais il y a bien pire. On fustige, on méprise, on dédaigne, on vilipende, on prend de haut, on toise les publications à compte d’auteur. Suprême hypocrisie !
Car un éditeur, celui que j’avais par exemple, et non des moindres mais un des plus cotés sur la place, un des meilleurs et un des plus sympathiques, vous retire 300 exemplaires de franchise, sans aucun droit. Pour quoi faire ? Ben, pour payer la fabrication, en partie ou en totalité, du livre, tiens, benêt !
Et vous appelez ça être édité à compte d’éditeur, vous ? Et l’auteur, fiérot, en reniflant et en faisant une moue suffisante, vous dira : je suis édité chez machin. Ah, bravo !
Ben oui , mais bravo de ne pas dire la suite, surtout.
Et j’évoque là un des meilleurs cas de figure : celui où l’auteur a un contrat. Parce que si vous saviez le nombre d’écrivains qui acceptent, la tête basse et la queue entre les jambes, d’être édités sans contrat, vous tomberiez peut-être sur le cul ! Peut-être liriez-vous son bouquin avec d'autres yeux, même, à moins qu'il ne vous y dise, clairement, qu'il est un menteur.

Les dés sont donc pipés. Tout le monde falsifie, auteurs et éditeurs…Et quand vous entrez dans la librairie pour acheter un bouquin à 15 euros, demandez-vous donc deux minutes dans quelles poches vont s’éparpiller ces 15 euros. Une certaine éthique de la lecture commande qu’on se pose cette question. Surtout quand on sait que les petits éditeurs comme celui que je viens d’évoquer sont à la peine, que les libraires en voient de toutes les couleurs, que les distributeurs se plaignent d’une baisse tendancielle de leur taux de profit et patati et patata...
Oui, et alors, qu’est-ce que tu en as à foutre de tout ça ? que j’entends murmurer dans mon dos. Tu écris, c’est ton plaisir, tu es lu, et le reste, ma foi…
Juste un mot que je répondrais : on ne construit pas de jeu social plaisant et riche d’esprit sur des montagnes de falsifications. Et ce n’est donc pas les quelques misérables euros que je pourrais glaner ci et là, et qui ne changeraient rien à ma vie, qui me font défaut, mais la fausseté du rapport humain dans une activité qui m’est chère et que, naïvement, à soixante printemps, j’avais pris pour une activité noble. Retrouver dans cette activité les mêmes filouteries, les mêmes sournoiseries qui font une bonne part du mal vécu dans le travail salarié, me donne envie de gerber.
Est-ce qu’un ouvrier, un employé de bureau, un menuisier, qui aimerait son métier, qui, en l’exerçant trouverait du bonheur, travaillerait pour autant sans toucher un traître sou ? Allons, allons, soyons sérieux !
Et comme je suis en porte-à-faux quand je dis tout cela ! Car les arguments qu’on m’a opposés dans ma bagarre furent : ah, ces anarchistes, qui réclament des contrats ! Ben, oui…Facile…Moi je veux bien, au contraire, ne pas avoir de contrat, pas un kopeck, pas un relevé, rien. Mais dans une société organisée fraternellement sur les sentiments anarchistes. Pas dans une société bancale et de marchands pataugeant dans la merde ! J'ai donc répondu que "je n'acceptais les remontrances sur mon éthique anarchiste, que si celles-ci  émanaient de gens moins compromis que moi dans un modus vivendi avec le bloc social."
Je ne vous ai pas parlé de François Bon. Je n’en ai que trop parler : avec lui, c’est la révolution de soie. On change de support, on appelle des porte-soie, et on pratique les mêmes âneries avec le contraire de ces âneries comme slogan…Il me doit toujours 75 euros, chiffre officiel. Ça va bientôt devenir mon Delenda Carthago.

Avec tout ça, hé ben voyez-vous, je me retrouve Gros-Jean comme devant. Je n’ai plus d’éditeur - Antidata n’édite que des nouvelles - et j’ai une flemme énorme, un dégoût même, à en chercher un autre. Le roman qui traîne dans mes tiroirs n’a été présenté qu’à un seul éditeur. C’est tout. Démotivé. Incapable de trouver l’énergie pour minauder avec mon chef-d’œuvre sous le bras. Mais ça reviendra, ça reviendra peut-être. Si je retrouve le goût de la vanité.
Et quand je me rase le matin en pensant à tout ça, je vois une gueule attristée, mélancolique même, qui se demande parfois si j’ai bien fait de mettre les pieds dans ce plat, que je me suis privé de beaucoup de choses que j'aimais, mais une gueule encore propre. La propreté, ça coûte très cher. Mais vous le savez aussi bien que moi. Je n’en doute pas.

Tout cela, donc, nous amène à une certaine gratuité acceptée par l’auteur. J’ai bien dit acceptée. Pas revendiquée. Si elle était revendiquée, ça changerait toute la donne.
Comme sur ce blog…Parce que les blogs, c’est gratuit. Et on y lit tous les jours gratuitement. De tout : des poèmes, des nouvelles, des critiques littéraires, des états d’âme, des analyses du monde en guerre ou des dénonciations de scandales financiers. Tout ça, sans débourser un centime. Générosité ?
Hum…J’aurais attendu le Grand soir pendant quarante ans, j’aurais même, des fois, essayer de le pousser au cul pour qu’il arrive plus vite et il serait arrivé, là, sous mes yeux endormis, sans que je m'en sois aperçu ?
Doit y avoir une erreur. Ou alors faut que je recommence à boire, histoire de voir plus loin... Cette générosité n’est peut-être en fait que l’expression d’un désespoir latent où nous ont conduits tous les acteurs dont je viens de vous dresser, en gros, le portrait. Cette générosité est peut-être un exutoire à la solitude où l’écriture a été plongée par les organisateurs des grandes parties de poker menteur.
Je me souviens aussi de l’époque où je faisais plein de petits concerts Brassens, pour des associations. Avec juste raison, les intermittents du spectacle m’avaient reproché de le faire souvent gratuitement. De quel droit allais-je faire le généreux alors que d'autres, beaucoup plus talentueux que moi, se faisaient payer ? Et un gars du métier m’avait dit : "dans nos sociétés, si tu ne demandes rien pour ton art, c’est louche. Dans l’esprit, si tu ne demandes rien, c’est que ça ne vaut effectivement rien."
J’aimerais que nous y réfléchissions tous ensemble. Que nous réfléchissions au pourquoi de notre gratuité. Que nous élucidions un peu, en tant qu’individus, cette notion de nous être embarqués dans un phénomène de société d’envergure. Oui, j’aimerais bien, sans me faire trop d’illusions. Et je vois des forums et des forums et des symposiums organisés partout sur le numérique sans que jamais, jamais, ne soit effleurée du bout des lèvres cette étrangeté de la gratuité dans un monde où même pour aller pisser il faut mettre la main au porte-monnaie. Car si nos blogs étaient payants, oh, pas beaucoup, un tiers d’euros de-ci, de-là, je ne doute pas que la courbe des statistiques accuserait soudain comme une espèce de déprime.
J’arrête là... Bon, qui n’est jamais à court d’arguments, dirait que je déprime, justement, et d'autres vont dire que je tends le chapeau.
Mais je n’ai pas de chapeau et je vais bien. Très bien même.
Mieux que lorsqu’on voulait me faire avancer à reculons.
Franc comme un âne qui recule, disait mon grand-père.

Image : Philip Seelen

13:24 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Personnellement, je n'ai emprunté de livres à la bibliothèque que très rarement. Je parle de ça, parce que c'est le même problème. Les gens vont à la bibliothèque en pensant qu'ils ont un droit légitime à un accès gratuit à la culture (là aussi, quelle vanité!). C'est les beaux idéaux de la bonne gôgôche, faux-cuïste comme toujours. Moi, j'ai toujours été contre les bibliothèques dans un monde où le boulanger était payant. Où alors il faudrait que l'Etat et les municipalités qui font leur pub culturelle avec ça et sur le dos des auteurs vivants payent à chaque fois qu'un livre est emprunté le droit d'auteur à son auteur. Pourquoi ne serait-ce pas possible ? On indemnise bien les chômeurs...
Sur la générosité, vous avez raison.Je n'ai pas l'impression d'être "généreux" en publiant des textes sur Solko, car si on me payait, bien entendu que je prendrais les sous. Il y a là quelque chose d'arbitraire qui demande à être approfondi.
Tout ça est très stimulant...

REPONSE DE BERTRAND :

J'aimerais bien développer ce que vous dites là... Mais il neige beaucoup..Faut que je m'en aille avant que ça ne devienne trop hasardeux de s'engager dans la nuit.. Vous dirai demain.
Merci.

Écrit par : solko | 20.12.2011

C’est un sujet tabou et complexe que tu évoques là avec justesse et qui justifierait des développements bien plus longs. Mais faute de temps, je vais juste revenir sur ce que tu dis lorsque tu parles des blogs « gratuits ».

Je crois qu’il y a là encore une illusion d’optique très trompeuse et un partage des richesses très discutable. Car contrairement à ce que tu écris, nos blogs ne sont pas gratuits, ils sont payants. Sauf que les sous ne tombent pas dans nos poches, mais dans celles des fournisseurs d’accès à internet, dans celles des sites d’hébergement, dans celles des fabricants de logiciels, dans celles des fabricants de matériel informatique, dans celles de ces grosses boites qui font que, maintenant, plus rien ne fonctionne chez toi (télé, téléphone, internet... à quand l’électricité et le gaz ?) si elles décident de te stopper la fourniture...

Pour accéder (entre autres) à ton blog tous les jours, je dois dépenser (si on fait une moyenne de tous les coûts cités plus haut) 30 ou 40 € par mois... Et ouais... A multiplier par le nombre d’internautes, ça fait combien de milliards ?... Mais qui fais vivre le web sinon ceux qui alimentent les blogs et les sites ? Si demain tous les blogueurs et tous ceux qui ont un site (et qui payent même, parfois, en plus, pour avoir un nom de domaine ou une formule un peu plus fonctionnelle) décident de faire grève et de retirer toutes leurs billes, ils deviendront quoi tous ces fournisseurs d’accès, tous ces fabricants de micro, tous ces magouilleurs de mp3, de ebooks ou de divX ? Tu ne crois pas qu’ils y a des droits d’auteurs (et des baffes) qui se perdent, là aussi ?

L’idée de la gratuité d’internet est une grossière et scandaleuse illusion !

A+

Stéphane


REPONSE DE BERTRAND :

Merci, Stéphane, pour cette contribution, ô combien précieuse !
Effectivement...Nous sommes tous des gueulards et des geignards sur le système, mais au fond, de vraies putes qui alimentons quotidiennement le système de nos niaiseries !

Écrit par : stephane | 29.12.2011

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