21.12.2011
Saisons de la mémoire
C’est un village comme tous les villages de Pologne, blotti dans ses silences anonymes et des brumes, rectiligne et en bois.
C’était en septembre. En route, nous avions demandé sa direction dans une petite ville, sur une petite place, sous une petite pluie, avec un petit vent du nord. On nous avait indiqué en prononçant le nom comme on aurait dit Ruffec ou Mansle, ou Couhé-Vérac, ou Mauzé. J’avais imaginé qu’on allait trembler en prononçant ce nom. J’avais imaginé qu’on allait nous jeter un drôle d’air.
Nous sommes venus.
Rien dans du tout. Un vide par-delà le vide. Comme quand on voit beaucoup plus loin que ce qu’on voit mais qu’on ne peut pas dire ce qu'on voit.
- Pourquoi on est là ? demande l’enfant.
Je ne sais pas répondre. C’est ce qui m’a anéanti. Pas un mot qui veuille donner une explication. Nous sommes là pour trop de choses.
Pour la première fois, les paysages m’ont fait peur. Avaient-ils le droit d’être calmes, d’être beaux, de taire ce qu'ils avaient vu et entendu ? La forêt avait-elle le droit de pousser là ? Et cette clairière si jolie, si sereine...Je savais bien qu’elle était immonde. Une clairière qui a servi l'enfer peut-elle rester une clairière ?
L’enfant trouvait qu’elle était reposante. Elle aurait aimé y jouer un moment. Avec l’enfant, nous ne sommes pas à la même saison de la mémoire.
Et moi, auparavant, je pensais qu’il n’existait pas, cet endroit. Je pensais qu’il n'était gravé que dans l'Histoire, comme une métaphysique de la douleur et du pire. Qu’il n’avait pas de géographie. Qu'il n'y avait pas de géographie pour dire ça.
L'enfant me regarde, voit sans doute qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond au fond des yeux. L'angoisse lui vient.
- Pourquoi on est là ? répète-t-elle.
Nous étions à Treblinka. Là où Dieu et les hommes ont définitivement cessé d'exister.
11:27 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
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