18.11.2013
Le Lego de l'ego
La psychanalyse a ceci de fort méritoire qu’elle ne laisse pas grand monde indifférent.
Vous avez ceux qui la voient partout et s’évertuent à décortiquer le moindre de leurs rêves comme un message subliminal, ceux qui se piquent de fine, docte et profonde analyse sur tout comportement un tantinet singulier ou contradictoire, ceux qui souffrent réellement et se fourvoient dans leur douleur jusqu’au point d'aller lui demander un accès à eux-mêmes ; accès qui, pensent-ils, mettra fin à cette souffrance, et ceux qui, enfin, font une irruption de boutons dès qu’on prononce son nom, qui disent que ce sont là des conneries, bref, ceux qui, comme Sartre avant qu’il ne se rétracte, sont prêts à nier l’inconscient. Par frousse, sans doute, et pour tronquer leur ignorance contre l’énoncé d'une autre ignorance aux allures savantes, comme toutes les ignorances qui pèsent lourd.
Tous, à mon sens, sont dans l’erreur. A tel point que je peux bien rajouter la mienne en livrant ma propre vision des choses.
La psychanalyse, en tant que théorie, est une somme d’investigations parmi lesquelles il arrive que quelques-unes, par hasard, soient vérifiées par le réel. Elle est donc, toujours à mon sens, une donnée de l’existence parmi tant d’autres et l’erreur intellectuelle a consisté à donner une prépondérance à ses énoncés, à leur conférer un rôle de déterminisme qu’ils n’ont absolument pas.
Ce que nous sommes est sans doute une accumulation de circonstances et de vécus, parfois fugaces, à peine entrevus, dont les premiers apprentissages de la vie, leurs anicroches, leurs bobos plus ou moins profonds, et que le grand fleuve de la vie a jetés aux oubliettes et recouverts de ses alluvions. C’est là un de nos matériaux, pas plus important que ne le sont les autres : la volonté, l’envie, le désir, les accidents de parcours, les angoisses de l’adolescence, les traumatismes de nos échecs, l’orgueil de nos quelques réussites, l’affrontement avec le monde, notre banalité physique, notre laideur ou notre beauté.
La psychanalyse en tant que thérapie est donc un leurre énorme. Remonter à soi par le biais d’un seul élément - le vécu non perceptible emmagasiné dans un oubli que la théorie a nommé inconscient - ne peut conduire au bonheur de soi que par une sorte d’auto-satisfaction d’être soudain mis en présence d’un individu dont on ignorait qu’il fût en nous. Vouloir accéder à ces fourmillements de la galaxie inconscient, c’est poser le postulat, jamais vérifié, que savoir un mal, c’est le guérir. Comme si, par exemple, la peur d'un danger pouvait faire qu'il soit obligatoirement évité...
On me pardonnera de simplifier à outrance et de passer sous silence les notions de la théorie psychanalytique, telles que subconscient, moi, sur-moi, moi social et tutti quanti.
J’ai une idée du bonheur beaucoup plus simple : l’accession à mes désirs. Quels qu’ils soient.
Et si cette accession est vouée à l'échec parce qu'ils sont impossibles à satisfaire, parce que je n’en ai pas les moyens ou parce que l’idée que j'ai de l'éthique m’en interdit le chemin, la possibilité de les classer au rang de mes fantasmes secrets, avec qui, ma foi, je ne vis pas trop mal, m'est offerte. Un peu comme les raisins verts du renard de la Fable. Et pas de panique de perversion avec le mot "fantasme", il inclut aussi la rêverie, le songe, l'imagination !
Qu’ai-je besoin pour cela de savoir les millions de petits éléments qui composent mon univers ? Je vis avec cet univers, je sais qu’il émane de lui des particules que j’ignore, mais qu’importe ! Mieux. Quel plaisir ! Parce que c’est quand même une joie que de se surprendre soi-même et je est bien le dernier individu avec lequel j’admettrais, passez-moi la trivialité de l’expression, de me faire chier.
Il ne me déplaît pas de ne pas tout comprendre du contenu de ma valise et c’est même en farfouillant dans ce contenu disparate qu’on se dirige peu ou prou vers l’art. Celui qui prétendrait tout savoir et tout comprendre de lui n’aurait rien à dire de beau aux autres. Ce qui ne signifie pas que tout individu qui ouvre sa valise produit du bel art. C’est là un autre domaine, celui de la hiérarchisation sociale de l’esthétisme.
Les gens qui consultent un psy, qui font des analyses, (j’en ai rencontré beaucoup,) m’ont donc toujours fait beaucoup de peine. Parce que pour faire une démarche pareille, il faut souffrir réellement, profondément, et, au final, c’est un aveu d’échec terrible quant à la puissance, à la volonté et à la capacité à s’assumer tel que l’on est, en vrai, en matière et en histoire.
C’est, irais-je même jusqu’à dire, le désaveu terrifiant d'un amour de soi. Parce que l'amour de soi ne signifie orgueil, égocentrisme, nombrilisme que pour les imbéciles, toujours ingénieux quand il s'agit de prendre des raccourcis. Pour les autres, il signifie estime. Un individu qui ne s'estime pas se suicide. Forcément.
Un psychanalyste, connaissance d’un de mes amis, me disait un jour, dans un vieux bistrot de la rue Ménilmontant, après une longue conversation régulièrement ponctuée de demis, le poncif suivant : à cinq ans, tout est achevé chez l’individu du magma inconscient avec lequel il devra vivre.
Je devais avoir alors vingt-trois ou vingt-quatre ans et j’avais avalé sans coup férir tous les bouquins de la Petite Bibliothèque Payot sur le sujet… J’ai donc bayé du bec comme un corniaud, comme on baye du bec devant une vérité désarmante, et je n’ai pas su répondre à cette rencontre d'un soir ce que je répondrais aujourd’hui : c’est ça, monsieur, qui est fabuleux, qui est riche, cette matière achevée qu’on porte en soi et qu’on pétrira chemin faisant pour aimer, désirer, chanter, écrire, rêver, détester, s’opposer à… Cette matière qui servira de tremplin à notre volonté de vivre. Cette matière initiale dans laquelle nous aurons à sculpter, à l'instar de Pygmalion, la vie dont nous tomberons amoureux.
Je n’ai pas su répondre cela parce que, dans ma tête, à l’époque, cette notion d’achèvement résonnait comme une catastrophe, comme un déterminisme affligeant, véritable assassin du libre-arbitre.
Je suis pourtant né avec deux jambes et je ne considère pas que ce soit un handicap insurmontable que de devoir mettre un pied devant l’autre et ainsi de suite, pour me déplacer dans l’espace.
07:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
"c’est poser le postulat, jamais vérifié, que savoir un mal, c’est le guérir."
C'est bien là ce qui m'ennuie avec la psychanalyse. Je ne dis pas qu'elle est mauvaise et sans doute met-elle à jour des exépriences enfouies et refoulées. Mais à quoi cela me sert-il de savoir que j'ai tel comportement ou tel trait de caractère parce que mon père aurait été trop intransigeant avec moi ? Ou que j'ai peur des araignées, des souris ou des femmes parce que ceci ou cela ? Ce qui compte, c'est de parvenir à évoluer. Et là, c'est une autre affaire.
Écrit par : Feuilly | 18.11.2013
C'est bien ce que je dis, oui... Ces mécanismes psychanalytiques sont barbants au possible. Ils nient la volonté et le hasard.
Peur des souris, bon, ça passe. Pour ce qu'on en a faire, des souris (!) Mais peur des femmes, là, c'est plus ennuyeux :)))
Surtout que la peur n'évite pas le danger :))) Mais quel délicieux danger (!)
Écrit par : Bertrand | 18.11.2013
C'est drôlement bien rédigé ! (comme dirait le Père Marcel), et en plus je suis bien d'accord.
Écrit par : Alfonse | 18.11.2013
Tout simplement lumineux.Merci
Écrit par : GOUNELLE | 19.11.2013
"...c’est poser le postulat, jamais vérifié..."
Bertrand, par définition,un postulat ne peut être vérifié puisqu'il est posé comme point de départ d'une démonstration, sans être lui-même susceptible d'être démontré.
Ceci dit, ce que tu écris sur la psychanalyse est très pertinent et j'y adhère en grande partie.
Mais ton copain psychanalyste te répondrait sans coup férir que ton discours critique est "un symptôme inconscient d'un refus refoulé de la psychanalyse"...
On n'y échappe pas: un psychanalyste arrivera toujours à inclure ta pensée dans son système de représentation, ou si tu préfères, dans sa grille de lecture du monde (un peu comme un marxiste), et c'est ça qui est horripilant.
[J'ai bouffé, comme toi pas mal de volumes de la Petit Bibliothèque Payot (achetés d'occase chez Gibert)].
Pour ma part, j'ai subit de mon plein gré une psychothérapie auprès d'un toubib (grand freudien devant l'éternel) et ce pendant plus de 10 ans. Je sais donc de quoi je cause et je ne jette donc pas bêtement la pierre à ce genre de pratiques. J'ai hebdomadairement vidé mon sac de rancoeurs, de désirs extravagants et de souvenirs douloureux auprès de ce praticien et ça a dû me "faire du bien" (comme on dit)... Mais je me suis rendu compte un jour du caractère illusoire de ce genre de "thérapies". L'idée n'a pas mit longtemps à faire du chemin dans mon esprit: quasiment du jour au lendemain, j'ai dit à mon psy que je ne voulais plus le voir et j'ai arrêté les séances, comme ça, sproucht!...
O délivrance! Je n'ai jamais été aussi heureux que depuis lors.
Bien sûr, je résume ça en quelques lignes, mais tu penses bien que de nombreux demis au comptoir du bistrot du coin (chez moi, c'est Belleville, donc pas très loin de Ménilmontant quand même) seraient nécessaires pour que je développe mes explications et arguments...
Bref, aujourd'hui, mon fils va sur ses deux mois et je ne pose pas trop de questions sur la construction de son esprit, son inconscient, tout ça, bref. Je m'occupe de lui, je lui donne de la tendresse et de l'attention comme cela me vient. Après, il se démerdera avec ça!
Pourvu qu'il fasse bon usage de son libre arbitre quand celui-ci sera construit!
Et foin des psys, des prêtres, des juges et autres casse-couilles qui nous disent ce que le monde doit être!...
@+ ;-)
Écrit par : Lesly | 20.11.2013
Mieux qu'une spikanalise : http://208.87.25.4:8000/
Écrit par : Alfonse | 20.11.2013
@Alfonse et Gounelle, merci de votre lecture et de votre appréciation.
@ Lesly : Je comprends ce que tu dis; Au sens où j'y adhère. Mais je n'ai pas jeté la pierre aux gens qui consultent. De quel droit le ferais ? J'ai dit - parce que des gens que j'ai aimés se sont fourvoyés un jour dans cette impasse - que cela me faisait de la peine.
Et comme tu le dis en substance, la psychanalyse, c'est comme un chat qui tombe du deuxième étage : Toujours sur ses pattes.
Moi je me méfie des individus, des animaux et des théories qui retombent toujours sur leurs pattes.
Bien à Vous tous
Écrit par : Bertrand | 22.11.2013
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