22.11.2013
De ma fenêtre
Le vent souffle en gris sur les grands bouleaux jaunes et les tilleuls qui s’ébouriffent. Entre deux courants d’air, la chute des feuilles caresse en silence l’inertie d'un après-midi quelconque
Je regarde par la fenêtre.
Depuis des lustres et des lustres, aucun voyageur n’accoste plus à mes rivages, c’est pourquoi je n’interroge plus l’horizon.
Je regarde. Simplement. Sans attendre et par plaisir.
D’ailleurs, ce serait chimère que d’interroger un horizon que délimite une forêt. D’une forêt, nul ne peut arriver. On ne peut qu’en surgir.
Comme ce loup d’un matin de décembre.
Un éclair fauve qui ne m’avait laissé que le dessin de ses griffes sur la neige du talus. Pour me signifier sans doute que jamais plus je ne le reverrais. La trace, l’empreinte, le vestige, donnent toujours cette impression du jamais plus, cette odeur de fuite puis de disparition. La trace gravée sur un passage, c’est un peu la mort qui survit. La comète du fouilleur. Qui la questionne, s’évertue à la faire parler, qu’elle dise son nom, qu’elle murmure son âge et pourquoi elle s’est fossilisée là, précisément.
Il la veut absolument de dimension humaine pour qu’elle le ramène à sa place à lui, dans la sempiternelle ronde des mondes qui succèdent aux mondes.
Je m’étais agenouillé ce matin-là sur la neige et j’avais tenté de lire pourquoi ce loup, là, sans meute, errant sur mes lisières, pourquoi cette bête et sa beauté farouche des dieux anciens ; pourquoi cette apparition fuyarde du mythe honni des contes et des légendes.
Le stigmate m’avait confié alors la solitude errante d’un vieux voyageur, de ces voyageurs qui ne suivent jamais votre route, mais la traversent perpendiculairement. Qui la coupent avec brusquerie ; juste le temps de vous couper le souffle et que renaissent dans votre tête les vestiges ataviques de rêves à peine formulés.
C’est du moins ce langage-là que j’avais entendu.
Je m’étais relevé. Comme pour tenter de freiner la fuite du sauvage, j’avais encore scruté la pénombre blanche des sous-bois où de menus flocons gelés et tombant en averse crépitaient sur les aiguilles des pins.
Puis j’avais regagné ma maison ; mon temps à moi dans la sempiternelle ronde des mondes qui succèdent aux mondes.
Je regarde par la fenêtre.
Le ciel épais est gris et c’est là une couleur qui côtoie sans crier toutes les autres. C’est elle qui domine aujourd’hui et c’est elle qui donne aux verts sombres des pins, aux jaunes des bouleaux, aux marrons des tilleuls, aux rouges fanés des dernières fleurs de mon parterre, toute l’opportunité de leur présence dans le paysage. Au service des autres teintes, le gris n’existe pas en tant que tel. Sans elles il est triste et laid, sans lui elles sont fades, comme elles le sont toujours sous un ciel céruléen. Même le silence prend toute sa force avec du gris. Un silence lumineux m’est toujours apparu comme une anomalie tapageuse.
J’aime l’automne.
Mais le temps me pousse, nous pousse, inexorablement vers les ténèbres de la tombe. Alors ce ciel bas sur le monde, ce souffle qui déplume les arbres, ce mutisme du village, cette solitude sans nom, tout ça est beau.
Parce que tout ça, c’est de l’anti-néant.
12:28 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Oui, l'automne qui dit la fin d'une saison et bientôt la fin tout court...
Quant au loup, n'est-ce ps une partie de toi-même que tu as rencontrée le jour où tu l'as croisé ? Ce vieux baroudeur qui ne suit pas le chemin commun, mais qui coupe à travers tout, ne suivant que ses sentiers à lui, ceux qu'il estime essentiels ?
Écrit par : Feuilly | 22.11.2013
Non, je ne suis jamais seul avec ma solitude...; quand elle est au creux de mon lit, elle prend toute la place, et nous passons de longues nuits, tous les deux, face à face... Avec la solitude on est jamais seul, Bertrand.
Écrit par : Marian | 26.11.2013
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