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06.12.2011

Exil

IC10-dans-cassiope.jpgIl faudra un jour, bientôt peut-être, - je le sens- que j’écrive l’histoire de mon exil.
Six ans et demi que j’ai quitté mon pays, que je vis en étranger et six ans et demi que tous les jours, au moins une fois, le nez au vent, je me dis : pourquoi ? 
Je me pense, je me vois et je me sens étranger. Je n'ai donc pris aucune de ces habitudes qui font qu'on ne se sait plus vivre, en tant qu'individu unique, parce qu'on est dans un  élément qu'on ne voit plus.
Je n'ai pas pris l'habitude d'exister.
Sais-tu ce qu’est un étranger ? A l’intérieur, je veux dire. Par-delà la géographie ?
Il faudra sans doute que j’écrive tout cela pour tenter de ne pas mourir étranger à moi-même.

Car si je sais la cause première, tangible, évidente - trop évidente sans doute pour être la seule - de mon exil, je n'en sens pas moins quelque chose de plus profond qui m’aurait poussé à m’extirper des fleuves où trempaient mes racines. Souvent nous prenons de grandes décisions sur une cause précise, mais le vent qui nous pousse vient de beaucoup plus loin.
Je regarde les chemins de sable qui contournent la forêt ; j’entends les blizzards sur la cime des arbres, je regarde tomber la neige ou la pluie, j’entends cette langue chuintante, dansante, qui n’est pas la mienne, où les mots n'ont pas l'odeur du lait, je parle à des gens, par bribes, qui ne savent rien de mon histoire et n’en sauront jamais rien. Comme si j’étais une brindille d’un arbre mort qu’une tempête aurait fait voltiger jusque là.
Est-ce qu’on choisit sa solitude ? Je n’en sais rien. La solitude, c’est quand on la vit mal.  Je suis seul et ne me sens pas si seul au fond ! Ma maison est en bois. Après cinquante ans de béton et de pierres, elle n’est pas vraiment une maison pour moi. Elle est bien plus. Elle est un bateau, une partie intégrante de la forêt et, comme elle, elle sent la résine de pin. Je ne m’y ennuie jamais. Je fais corps avec elle, elle fait corps avec mon voyage.
Et est-on toujours responsable de la  solitude ? Mon exil a fait des ravages que je n’aurais pas devinés au départ : un  à un, j’ai perdu tous mes amis et plus encore que mes amis, les membres les plus solides de mon histoire.
Je suis même irrémédiablement fâché avec des gens que je n’ai jamais vus, des fantômes de la création, des sillons creusés par l’esprit, des gens dont je ne sais même pas le visage, ni l'odeur ni le timbre du rire ! La solution de facilité est de conclure que le désert sort de mes entrailles, que j’attire le néant, que je suis associable, injuste et, pourquoi pas, méchant. Ne remettre en question que soi, pour magnanime que cela puisse paraître aux yeux du vulgaire, toujours approximatifs, n’est qu’une infirmité supplémentaire de la capacité à saisir intelligemment les situations. Presque un refus. Une hypocrisie de plus pour s’estimer aimable. Une attitude pour ramener à soi les éléments perdus dans la bataille. Tout s’explique soudain par son propre nombril, avec une simplicité tellement simple qu’elle ne peut être que faussée ! Admettre alors que je suis responsable du désert, ce serait admettre être la seule erreur de la végétation, de n’être même qu’une erreur. Tant d’ingénuité m’arracherait volontiers un sourire !
Le désert qui s’est créé autour de moi ne vient-il pas plutôt d’une incompréhension  mutuelle ? Ceux qui sont restés dans leur culture, dans les draps de leur berceau, pour intrépides voyageurs du libre esprit qu’ils se pensent être, ne comprennent pas les exigences, la sensibilité exacerbée, la mélancolie et la vision nouvelle du déraciné qui ne voit plus du haut de ses remparts, mais d'en bas...  Et le déraciné ne comprend rien à leur logique, à leur liberté, à leurs tracas, aux chemins empruntés qui mènent, peut-être, à leur propre senti du bonheur. Il ne comprend rien à la résolution de leur exil à eux. Et les déserts alors, de par cette incompréhension mutuelle, n’ont pas de limites. Ils sont absolutistes : étranger sur la terre où je me promène, je le suis devenu sur la terre d’où je viens. Je n’ai alors plus qu'un poncif où porter mes regards : les étoiles. Le ciel est sur nous comme un drap, chantait Ferrat.
La beauté des choses n'est nullement altérée en moi. Seulement ce vide humain qui me donne parfois le vertige.
Mais ce vide est-il nouveau ? L’exil n’a t-il pas rendu seulement apparent ce qui était déjà essentiel ?
Si j’en crois le bonheur que j’ai à le contempler, ce vide, je dirais que si. Qu’une des réponses à mon exil est là : j'ai voulu savoir si le choix des solitudes détruirait le poids des habitudes; de celles qui sont tellement imprégnées qu'on croit qu'elles n'en sont pas.
Je cherche les clefs. Sans les clefs qui ouvrent les portes du pourquoi de soi-même,  on vit en prison.
Combien d’hommes libres avez-vous croisés qui aient, sans mentir, ces clefs-là en mains ?
Moi aucun.
Pas même moi.
Il faudra un jour, bientôt peut-être,- je le sens- que j’écrive l’histoire de mon exil. Si l'écriture peut être une clef.

J'en doute fort. Elle farfouille tellement souvent dans des serrures qui n'ouvrent sur aucun secret qui vaille la peine d'être dévoilé à qui que ce soit, ni à l'écrivain, ni à ses lecteurs.

11:26 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Bien sûr qu'il faudra. Même si ce verbe n'est pas approprié pour exprimer cette "nécessité". Et même si le mot "nécessité" n'est pas non plus celui qui fait le plus écho à notre désir.

Écrit par : solko | 06.12.2011

Je pense aussi que cette écriture est imminente, toute proche, et qu'elle coulera comme une fontaine qui a été longtemps obstruée; je ne sais pas comment mieux dire cela; comme si votre blog et ce qui peut s'y lire entre les lignes, le préparait. Pardon si ce commentaire tombe à plat ou vous est désagréable ce que je n'espère pas.

REPONSE DE BERTRAND :


A SOLKO :
Je n'arrive pas à ouvrir votre commentaire pour vous mettre un mot. Je le fais donc sous celui de Sophie.
Oui,je comprends : l'écriture n'est jamais nécessaire ou mise en demeure de. Elle est une envie, parfois incontournable, certes, mais les envies incontournables, on peut les contourner quand même.
Mais je prêche là pour quelqu'un qui, pour écrire en profondeur, le sait aussi fort que moi.
Amitiés

A SOPHIE
Votre commentaire ne m'est absolument pas désagréable, Sophie. Bien au contraire, il me semble juste : ce chapitre d'écriture que je me propose d'aborder, effectivement, ne surprendra pas - du moins dans le fait qu'il existe - ceux qui lisent l'Exil des mots. On écrit quand c'est mûr, quand on a besoin d'affronter quelque chose de soi, sans pour autant que cet affrontement soit du mal vécu... On affronte quelquefois sa joie, son bonheur d'exister. Je dirais "désir de dire"
Bien à vous.

Écrit par : Sophie | 06.12.2011

Bien sûr qu'il faudra (bis). Enracinement et déracinement sont les mamelles d'une grande et belle littérature hexagonale. Barrès vs Redonnet : il va y avoir du sport ! Blague à part, le sujet apparaît déjà en filigrane dans bien de vos textes - et se précise déjà dans "Le théâtre des choses". Sans doute, le temps passant, est-ce cela, "votre" sujet.


REPONSE DE BERTRAND :

Une bien agréable surprise, Marc, de vous entendre à nouveau sur L'Exil...Le sujet, ce sentiment étrange d'être étranger, est beaucoup dans "Le Théâtre des choses", oui, avec un rapatriement dans le Poitou toutes les deux nouvelles...Comme une hésitation à choisir où l'on est ou d'où l'on vient. Se savoir, mais où ? J'y mets la géographie, les hommes et les paysages parce que je vis à l'étranger, mais ce sentiment est aussi dans tout homme, même resté chez lui. Je pense. Ecrivons-nous d'après ce que nous sommes ou d'après ce que nous avons été, loin derrière ? Quand les mots avaient "la voix lactée"
Amitiés.

Écrit par : Marc V. | 09.12.2011

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