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05.12.2011

Le langage et les chevaux

litteratureAu pays et ses chemins de pierres où cahotaient mes premiers pas, vivaient aussi de fiers et robustes chevaux.
Ils tiraient la charrue sous les cieux tourmentés de novembre ou menaient la charrette par des champs humides, aux clairs matins d’avril.
On les conduisait à la voix.
C’était hu-o et ils avançaient, c’était  hue et ils prenaient le chemin de droite, c’était dia et ils bifurquaient sur celui  de gauche et c’était enfin un woooooo, long comme une blanche pointée, chaud comme une chute de blues.
Alors les chevaux  s’arrêtaient.
Mais, secouant le harnais, ils avançaient encore d’un pas jusqu’aux buissons et de leurs grosses babines retroussées arrachaient des bouquets d’épines que leurs longues dents jaunes et déchaussées par le mors entravées, mastiquaient bruyamment en une écume verdâtre.
Ces chevaux avaient une langue.
Je veux dire qu’ils entendaient un langage.
Comme l’enfant du berceau.
Est-ce à dire qu’ils avaient une conscience ?
Plutôt un récipient pour stocker quelques mots ?
Ces onomatopées d’un monde oublié me sont revenues en ce lointain pays et je les ai entendus, les conducteurs de ces plaines et des forêts, menant d’immenses chevaux rouges, masses impressionnantes de muscles et de force et qu’on m’a dit être ceux montés jadis par les effroyables chevaliers teutoniques, terreurs des villageois, exterminateurs incendiaires des campagnes.
Le christianisme à coups de têtes tranchées et roulant dans les herbes rougies de crépuscules assassins.
 
Ces grands chevaux-là n’entendent ni hue, ni dia ni  même l’impératif woooooo. Pourtant ils tournent à droite et prennent à gauche et ils reculent et ils s’arrêtent. Wio, wio ponctué d’un bruit de bisou pour partir et un long prrrrrrrr pour arrêter tout net.
Ils reculent aussi sur un vocable étrange Nazad.
Ce sont des chevaux slaves. Leur récipient est slave.
J’ai voulu caresser le bout de leurs grands museaux où fumaient deux farouches naseaux plus doux que le velours.
Mais en quelle langue ?
Et au-dessus pérorait un pinson sur la branche en bourgeons. Je ne le voyais pas tant le ciel étincelait mais je savais que ce chant sortait du petit poitrail rose d’un mâle en parade.
Dans ces trois notes, inlassablement répétées, j’ai entendu les couleurs des marais et l’odeur des marées.
Mais il est vrai que les hommes ne parlent pas aux oiseaux.
Alors, des plages de l’océan aux frontières de la steppe, ils pépient une chanson qui m’a semblé universelle.

L’exilé est partout à la recherche des sons qui le ramèneraient chez lui.

08:30 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : litterature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

L'homme qui parlait à l'oreille des chevaux !
Chemins de pierres, silex cruels aux genoux enfantins.
Les sons, comme les odeurs, propulsent les souvenirs.

Écrit par : elizabeth l.c. | 05.12.2011

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