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14.02.2014

De la chasse

littérature

C’est vrai, je le concède à la pensée intellectuelle dominante et de bon goût : ils ont parfois l’air effrayants avec leur tenue de camouflage de guerrier à la ramasse, tenue qui ne camoufle d'ailleurs rien du tout de leur âme grossière, avec aussi leur casquette à la noix, leur face rubiconde, congestionnée par une chère trop riche et trop arrosée, leur fusil flambant neufs et leurs affreux clébards. Je le concède d’autant plus volontiers que je n’ai jamais chassé de ma vie.
Gamin cependant, j’ai piégé et j’ai vraiment aimé ça. Quand l’hiver océanique consentait enfin à offrir quelque velléité hivernale, avec un peu de gel suspendu aux buissons et une fine couche de neige sur les champs, que les grives erratiques et les merles noirs venaient alors picorer des restes de fruits blets sous les pommiers des jardins, j’aimais tendre mes pièges et capturer des oiseaux. Ma mère les faisait rôtir au souper, avec quelques pommes de terre parfumées au beurre. Un régal, d’autant qu’il m’en souvienne ! Mais plus encore qu’un plaisir gustatif, une espèce de satisfaction atavique du trappeur se nourrissant des fruits de sa chasse. Le sentiment préhistorique d’un cueilleur avant sa révolution néolithique, sans doute. Une sorte d’aventure dans un monde où elle n’était, déjà, plus guère de mise.

On m’opposera - en pure perte car je me le suis souvent opposé moi-même - que le fait de tuer des oiseaux est profondément déplorable. C’est un peu drôle, ça ! Car voilà un procès qu’on ne fera jamais, du moins que je n’ai jamais vu faire, au «taquineur de goujons», comme si le fait que la proie évolue dans un autre élément que le nôtre, l’eau, dispensait les cœurs purs, les pleurnicheurs à la gomme, de la moindre culpabilité. Tuer un lapin ou un faisan, c’est barbare, planté un hameçon dans la gorge profonde d’un brochet en lui arrachant les branchies au passage, non. Mais peut-être est-ce tout simplement le choix des armes : le fusil, la poudre, la cartouche, le plomb, la balle, la détonation, évoquent la guerre ou le crime, alors qu’on n’a certes jamais vu un assassin prendre sa victime avec un hameçon, ni les hommes s’entre-tuer gaillardement sur les champs de bataille à coups de cannes à pêche et à grand renfort de moulinets.
Je ne cherche point à trouver des arguments à la chasse. En quoi une activité ancestrale, primaire, fondamentale, au départ, du clan humain, et plus récemment, un des acquis les plus populaires de 89, aurait-elle besoin de mes arguties ? Et puis, je fus un temps forestier de mon état et je pratiquais dans des parcelles boisées de plusieurs hectares des coupes franches, étroites, pour, entre autres, faciliter le passage des chasseurs. J’ai alors vu le garde-forestier venir la veille d’une journée de chasse organisée - journée que le propriétaire des lieux faisait payer fort cher - poser des poules faisanes et des coqs, ça et là, le long de mes allées, en les endormant, la tête sous une aile et en les faisant un moment tournoyer. Pour être sûr que les oiseaux seraient encore dans les parages le lendemain matin et que ces corniauds de chasseurs en auraient pour leur argent et leurs coups de fusil.
Mais ce n’est pas là, la chasse que je comprends. Ce n’est là qu’une dépravation de la chasse par le profit, l’argent, l’appât du gain, la destruction du vécu en représentation de vécu, comme dans tous les autres domaines. Comme, par exemple, en Camargue, quand les gardiens à cheval, bien chapeautés et tout vêtus de jean et de cuir, rassemblent  un troupeau de bovillons, non pas parce qu’ils ont besoin de rassembler un troupeau de bovillons, mais pour que le touriste vive une carte postale.
Ce que je cherche, donc, c’est à contredire l’esprit systématique du contre, sans qu'aucune réflexion critique en amont ne soit opérée, dans l’ignorance souvent complète du sujet auquel on s’oppose, comme ça, simplement, pour hurler avec les loups de la bonne meute idélogique, écologistes prétendus, raffinés de salon et des arts et des lettres, gôgauche melliflue, couperosée, robespierriste et tutti quanti.

Au nord de la Pologne, à une centaine de kilomètres de chez moi, se déroule la dernière et véritable grande forêt de toute la plaine européenne. Je l'ai déjà dit. Un temple de la mémoire naturelle, un témoin archéologique quasiment en l’état, de ce que fut jadis le continent. J’y vais parfois. Je fus exceptionnellement admis dans ce qu’on appelle la réserve biologique intégrale.
Cette forêt me hante par sa majesté primitive, son ombre intacte sillonnée par les loups, les bisons et autres grands animaux, la splendeur de son absence humaine. Et je me suis demandé : pourquoi cette forêt-ci, à cheval sur deux pays, plutôt qu’une autre, a-t-elle été sauvée du désastre de la hache et de la charrue ? La réponse est claire, elle m'a été donnée par les gens de la forêt eux-mêmes  : cette forêt a été épargnée tout au long des siècles parce qu’elle était le terrain de prédilection des tsars de toutes les Russies pour leurs chasses. Interdiction absolue y était faite d’en polluer la moindre harmonie.
Une forêt sauvegardée pour le privilège des grands au détriment du pauvre peuple, me direz-vous, dans un premier réflexe d’homme ou de femme qu’anime un grand et légitime souci de justice sociale. Procès d’intention, dirais-je alors. Si la planète recèle encore ça et là de semblables bijoux posés sur leur écrin primitif, ce n’est certes pas, historiquement, au peuple (qui ne fut guère plus bon que ses seigneurs) qu’elle le doit, mais bien à la hiérarchisation honnie de la propriété non moins honnie. On peut en penser ce que l’on veut, on ne peut en revanche, au risque de sombrer dans un révisionnisme bêtifiant de communiste à la traine, nier l’origine de la sauvegarde des grandes forêts de ce monde. Sans la chasse seigneuriale, la forêt de Białowieza aurait, comme toutes les autres en Europe, subit le démantèlement que l’on sait.
Alors, messieurs et mesdames les puristes, un peu de gratitude pour ces pauvres bougres, quelque peu misérables dans leur choix, il est vrai, mais qui ne commettent somme toute que le crime de vouloir refaire, dans un monde où tout est avili, déformé et où toute activité humaine a été vidée de son sens, les gestes d'une longue histoire.
Et j’en reviens à cet acquis de 89 auquel je faisais allusion tout à l’heure, et j’en reviens, du même coup, aux Paysans de Balzac. La grosse contradiction entre propriété seigneuriale d’antan et propriété passée aux mains du peuple par voie d’expropriation et d’émissions anarchiques d'assignats, y est magistralement mise en scène. Les grands espaces forestiers bradés aux gens du peuple, se voient soudain la proie des haches et du massacre sans discernement, et bientôt, de l’immense forêt, ne reste plus que des lambeaux éparpillés sur un désert.

Mon propos est donc historique, pas de valeur. Ce n'est pas un propos socialiste.
Mon propos est libre et ne cherche pas à plaire aux idéologues de tous bords, à la bonne conscience, et, quitte à me faire l’avocat d'un diable, je dis donc que sans la chasse, moyen de survie d'abord, puis noble tradition, dès le Haut Moyen-
Âge, la planète n’aurait plus compter que des bosquets cacochymes pour abriter une faune et une flore, que les ennemis de la chasse, justement, veulent aujourd’hui tant protégées !
Contradiction sublime ! Il nous faut vivre, nous n’avons pas le choix, avec ces contradictions qui ne vont pas toujours dans le bon sens du bon sens.
Encore faudrait-il savoir réellement où veut nous conduire le bon sens. Il arrive qu'il échoue dans les impasses de la contre-vérité. Par commodité. Pour le confort d'un monde aux couleurs bien tranchées.

12:11 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Vive la chasse, vive le Tsar et vive l'avocat du diable ! :))))

Ceci dit, c'est un fait que les derniers espaces verts de nos villes ou les rares forêts qui les entourent sont souvent les vestiges de grandes propriétés seigneuriales. Paradoxe qui vous ferait presque aimer les anciens seigneurs.

Quant aux chasseurs, il faut distinguer ceux d'aujourd'hui, dont tu parles plus haut, et qui viennent tirer un faisan d'élevage ou un sanglier nourri aux grains (j'en ai moi-même caressé, ils sont apprivoisés comme des chiens) de ceux d'hier, qui chassaient pour nourrir leur famille. Mon grand-père (que je n'ai pas connu) fut dans le cas, qui ramenait pas mal de lapins, mais parfois aussi un sanglier ou même un cerf (avant 1940, cela). Cela s'appelait du braconnage. Et tous ceux du village faisaient comme lui, au grand déplaisir de Monsieur le Comte et de ses gardes-chasse. Il n'empêche que le gibier pullulait partout et que celui qui était ainsi abattu illégalement nourrissait les gens du coin, qui avaient plus le droit de s’en sustenter que les messieurs de la ville venus parler affaires et montrer leur dextérité au tir.

Écrit par : Feuilly | 14.02.2014

Le roi est mort ! Vive le roi !
Comme tu l’illustres bien de ton propos et comme je le disais en filigrane : notre esprit bien-pensant, un peu gommeux, un tantinet humanisto-socialisto-ethético-écolo (c’est-à-dire nul) condamne une foule d’activités et de comportements sociaux, sans réfléchir une seconde à ce que sont réellement ces activités et ces comportements, mais en les définissant, par bêtise, paresse ou, pire, par idéologie, par ce qu’ils sont devenus dans la perversion générale des comportements et des activités.
Ceci vaut, à mon avis, pour à peu près tout ce que l’homme faisait avant d’être un produit exclusivement marchand, par exemple jouer au football est très agréable. Qui n’a jamais joué au football étant enfant ou adolescent entre camarades ? Ah, mais le football, en soi, est à chier pour les beaux esprits parce que le jeu est devenu un enjeu marchand, perverti, et pratiqué à son plus haut niveau par de grosses crapules.
Le tour de France dans la montagne, même chose ! Et tutti quanti…
Epoque d’esclaves, pensées de valets habillés des habits du Prince, qui confondent la chose et la façon dont l’ont corrompue les hommes marchands !

Écrit par : Bertrand | 15.02.2014

Un pêcheur qui se respecte adapte ses appâts, ne martyrise pas les poissons et respecte le milieu naturel.

Écrit par : Michèle | 15.02.2014

Un pécheur devant l’éternel ?
Ce que tu dis du pêheur, ne vaudrait-il pas pour le chassseur ?

Écrit par : Bertrand | 15.02.2014

Oui bien sûr. Mais je connais mieux la pêche que la chasse :)
Et puis les péchés j'aime bien ça :)))

Écrit par : Michèle | 15.02.2014

Que l'on arme les lapins et il y aura moins de chasseurs du dimanche !

Écrit par : Feuilly | 15.02.2014

Michèle : Absolument véridique : un jour, du temps que je vivais de ma sueur- usée avec grande parcimonie - de fonctionnaire territorial, une collègue apprenant que je n’étais pas marié me dit de l’air le plus ingénu du monde :
- Tu vis dans le péché, alors ?
- Ça dépend, que j’ai dit, moué. Des fois on fait ça dans le cerisier….

Feuilly : Léautaud ? Je ne me souviens plus….

Écrit par : Bertrand | 16.02.2014

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