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24.09.2013

Les pendules à l'heure

PA100015.JPGJamais ne me lasserai de ces matins de soleils  laiteux clignant de l’œil derrière les brouillards, comme s’ils ne parvenaient pas à s’extirper d’une nuit trop longue et libertine.
La lumière devient précieuse. Commence alors la longue nuit de l’hiver. Dans le creux de la vague, elle étendra son empire de silence seize heures durant.
Là-bas, au bord de l’océan, le soleil est encore vaillant sur le ciel quand la nuit ici a déjà englouti  le monde, ses hommes et ses objets.  Normal. Il lui faut le temps de faire son lit, à la nuit. Elle met plus de deux heures pour dérouler son drap des berges du Bug aux rivages  de l’île de Ré.
De passage, une compatriote s’interrogeait l’hiver dernier : mais que font donc les gens quand il fait nuit au beau milieu de l'après-midi ? Question normale, que je me serais sans doute moi-même posée si je ne n’avais pas vécu là.
Car il ne faut que deux heures et demie en avion pour venir de Paris à Varsovie et j'habite à 200 km à l'est de Varsovie... Il n’y a pas de décalage horaire et la lumière est donc réellement décalée de ces deux heures et demie. Avec un fuseau artificiellement tracé sur le graphique terrestre, elle le serait aussi, bien sûr, mais la montre au poignet, avec un petit coup de pouce, lui donnerait un autre repère dans le cerveau. Et puis, à l’autre bout, la France a adopté l’horaire de l’Europe centrale - la fameuse heure allemande- en avance d’une heure sur son fuseau, alors, forcément à 15 heures  en novembre-décembre, ce n’est plus l’après-midi ici mais le début de la soirée. C'est déjà la brune.
C’est donc la notion dans la tête qui doit changer. La lumière, elle, elle continue sa course régulière autour de l’inclinaison de notre boule bleue, en dépit des calculs et des décrets humains. De l’autre côté du Bug, à 15 km seulement de ma maison, en revanche, il fait nuit encore plus tôt dans l’absolu mais à peu près à la même heure aux pendules :  je réside sur les lisières d'un fuseau après avoir passé ma vie sur le point zéro de Greenwich.  Le Bug  sert donc aussi à mettre les pendules à l’heure. Il sert à tellement de choses, ce Bug !

Alors, ce qu’ils font les gens ? Ils font usage de la nuit comme partout ailleurs dans le monde. Ils sont en avance le soir et en avance le matin, car la victoire de la nuit en milieu d'après-midi est compensée par sa déroute au petit matin. Cinq heures seulement quand les soleils laiteux clignent de l’œil derrière les brouillards, comme s’ils ne parvenaient pas à s’extirper d’une nuit trop longue et libertine.
Au début, je m’y faisais assez mal parce que mes pas avaient encore l’habitude de marcher selon la course océanique du soleil. Là, j’ai appris à emboîter ces pas sur ceux de la lumière.
Néanmoins, il m’arrive encore de sourire du dîner à 15 heures et de l’odeur du café à quatre heures du matin. J'ai déjà vu cependant des "amis océaniques" sourire un peu moins, certains matins du mois de juin, quand les premières lueurs venaient flirter avec les rideaux de leur chambre, alors qu'il était à peine trois heures !

Et puisque je parle ici de géographie humaine - la géographie humaine étant selon moi ce qu'on ressent d'émotion devant le grand mouvement des choses et non la distribution des populations sur les territoires - un grand merci à mon ami Tenancier pour sa lecture de Géographiques.

08:44 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Beau texte Bertrand.

Je vais tenter d'aller chez Le Tenancier, en espérant que mon ordi ne plantera pas. Je ne sais pas pourquoi, il y a ainsi deux, trois blogues avec lesquels il y a plantage systématique trois fois sur quatre. J'envisage de changer d'ordi, car ce sont des blogues qui me tiennent à cœur et dont je suis privée. Je raconte ça pour que Le Tenancier veuille bien m'excuser de ne plus laisser trace de mon passage chez lui.

Écrit par : Michèle | 25.09.2013

Le Tenancier, s'il passe par là, t'en saura gré, chère Michèle !
Tu verras qu'à la fin de sa notule, il parle de coquilles. Il s'agit de coquilles typographiques car aucune d'entre celles-là n'échappe à son œil de typographe et d'amoureux des beaux livres.

Écrit par : Bertrand | 25.09.2013

C'est ce que je me suis dit après coup. Que c'était le typographe qui parlait :)
Et là, "on" se sent tout petit :)

Écrit par : Michèle | 25.09.2013

Comme tu dis... Mais j'ai quand même préféré que ces coquilles soient le fait de l'éditeur plutôt que celui de l'auteur.
Car l'auteur est censé maitriser la grammaire et l'orthographe et non la typographie.
Ce qui est bien dommage, d'ailleurs.

Écrit par : Bertrand | 25.09.2013

Pour en revenir aux pendules (en finit-on jamais de remettre les pendules à l'heure :), je pensais à ce passage dans "Transsibérien" de Dominique Fernandez (Le Livre de Poche, Grasset & Fasquelle, 2012, 6.90 €) - écrit après le 28 mai 2010 où une vingtaine d'écrivains, de photographes, de journalistes, d'acteurs français et russes embarquent pour une traversée, entrecoupée d'escales, qui durera trois semaines - :

p.12
Quand le train de Moscou entre en gare de Vladivostok, la grande horloge sur la façade indique : 23 h 30. Ce n'est pas l'heure affichée par la montre du voyageur, c'est l'heure de Moscou. Tout au long du parcours, alors que le fuseau horaire change sept fois, c'est toujours la même heure, l'heure de Moscou, qui est affichée à l'horloge de la gare. Premier sujet de surprise et de fascination : pourquoi substituer à l'heure réelle une heure imaginaire ? Pourquoi refuser d'admettre que lorsqu'il est midi en Russie d'Europe, dans la capitale, il est déjà sept heures du soir au bout de la Sibérie ? cette fiction, de prime abord extravagante, est le seul moyen, peut-être, d'assurer l'unité de l'empire. L'espace étant démesuré, il faut que le temps ait l'air de rester immobile. Les Russes se perdraient dans ce pays sans frontières, sans repères ("qui ne confine qu'avec Dieu" disait Rilke), dans cette vastitude de plaines, de steppes, de forêts, rendue souvent plus informe par l'abondance neigeuse, si l'on ne leur donnait le sentiment de pouvoir la raccourcir, la borner, la cerner par cette chimère poétique d'un temps pétrifié.

Écrit par : Michèle | 27.09.2013

Excuse-moi, Michèle, je n'avais pas vu ton commentaire ces derniers jours.
Très, très beau passage que tu cites là.
J'ai souvent eu ces impressions ici, même si je suis loin, très loin de la Sibérie (!)

Écrit par : Bertrand | 02.10.2013

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