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02.11.2011

Aux lecteurs de L'Exil des mots

bug4.jpgQui, à part peut-être les schizophrènes et les grands malheureux, écrit dans un but autre que celui d’être lu, immédiatement ou plus tard ?
Se consacrer à la rédaction d’un ouvrage, dans la solitude, c’est pour une bonne part se projeter dans un futur moins solitaire et plus ou moins  proche. C’est s’adresser à, c’est aller à la rencontre de, c’est vouloir dire et être entendu.
En attendre un écho qui ne soit pas que celui des murs est autre chose encore. Un écho étant par d
éfinition un renvoi amplifié ou déformé par un obstacle infranchissable, ne saurait en effet prétendre à la fidélité.

Je constate, en regardant les états qui m’ont été fournis sur mes derniers livres, avoir été lu par deux mille lecteurs environ. Je dis bien "lecteurs" et non "personnes", la nuance ne vous échappera pas.
Quel écho en ai-je reçu ? Une vingtaine d’articles en tout et pour tout, des mails privés et des conversations de vive-voix. C’est agréable, c’est indispensable même, c’est gratifiant, mais ça n’est pas suffisant. Il faut pouvoir mettre un nombre sur tous les autres lecteurs que l’on ne connaît pas et qui ne désirent ni parler ni contacter. Tacite complicité établie sans visage, connivence silencieuse. C’est ce que demande l’écrivain, beaucoup plus que les deux ou trois écus non sonnants et non trébuchants de droits, qu’un contrat préalablement établi aura de toute façon déjà réduits à une portion congrue. Savoir si ses livres sont lus. Si le travail fourni intéresse.
Que cela soit vain ou non, d’écrire et d’attendre, est un tout autre problème encore. Car si nous attendions d’être en mesure d’enfanter un véritable chef-d’œuvre pour soumettre notre écriture à la lecture –ce qui serait le gage d’une époque au raffinement des plus exquis – nous ne ferions pas souvent montre de notre art. Peut-être même jamais.
En écrivant ces quelques lignes, je pense avec beaucop de sympathie à la sagesse et à l’opiniâtreté d’un camarade qui eut, il y a quelques mois, la gentillesse de me confier qu’il était sur la rédaction d’un livre depuis cinq ans déjà. Connaissant le talent de ce camarade, la précision de son expression, les fondements sensibles de son écriture, je ne puis m’interdire d’admirer ce qu’il fait dans l’ombre solitaire et de lui envier autant sa patience que la grandeur intime de son projet. Ce camarade, si je m’en réfère à l’écriture que j’en connais, doit être en train de construire une cathédrale. Et je pense en même temps à des pièces maîtresses, telles que Madame Bovary, Guerre et paix ou Le rouge et le Noir, dont les auteurs ont effectivement travaillé des années et des années leur manuscrit avant de le juger digne d’être soumis au jugement et au goût d’un public.
J’aimerais avoir cette résolution, j’aimerais avoir ce sérieux dans la construction, cette confiance, cette discipline et cette fermeté de travail en moi.

Nous écrivons donc pour être lu, c’est une lapalissade, et ce, surtout quand, visant une échéance immédiate, nous choisissons ces vitrines, ces pignons sur rue sans patente, ces expositions permanentes sans brevet que sont les sites et les blogs. Un auteur du net, qu’il soit bon ou médiocre, s’il vous disait qu’il ne consulte pas ses statistiques ou alors très peu, parfois, comme ça, négligemment, dans un moment de désœuvrement, voire de faiblesse, serait d’abord indigne de vous puisqu’il vous mentirait par le biais d’une absurde et enfantine coquetterie. J’en suis certain. A moins, comme dit en première ligne, qu’il ne s’agisse d’un fou ou d’un désespéré, mais là, cette folie comme ce désespoir, auraient forcément déjà dû transpirer dans ce qu’il vous écrit. Si tel n’était pas le cas…
Indigne de vous aussi parce que la consultation des statistiques est, à mon sens, un respect dû aux lecteurs. Le geste qui ne se voit pas, mais qui fait aussi qu’on prend en considération l’existence de ceux qui vous lisent, qu’on attache de l’importance à leurs visites, qu’on leur en sait gré.
Je consulte les statistiques de l’Exil des mots à chaque fois que je dois en ouvrir les coulisses pour y ajouter un texte ou y faire autre chose. Disons alors cinq ou six fois par semaine environ…Savoir si je suis lu et dans quelle proportion -même si ces données n’indiquent qu’une tendance et sont sujettes à caution - ou savoir si, au lieu d’écrire là, je serais bien mieux inspiré d’écrire chez moi et de repousser les échéances. Donc, en même temps que respect, indicateur de navigation personnelle dans la grande forêt écriture.
Je parlais tout à l’heure d’écho, le dissociant de la lecture anonyme. Ici, l’écho, ce sont les commentaires et, pour agréables qu’ils puissent être, pour marques de camaraderie qu’ils soient aussi (je suis, par exemple, touché qu'une lectrice, à deux ans d’intervalle, apprécie avec autant de plaisir le même texte et désire me le faire savoir), ces commentaires peuvent aussi s’avérer être des balises de naufrageurs allumés sur les rochers de la nuit, quand ils sont pollués par le convenu. Depuis cinq ans que je suis régulièrement sur le net, dont quatre sur ce blog, je me suis aperçu que certains auteurs de commentaires, assidus, quotidiens, - très, très, très peu, je vous rassure  -  en faisaient quasiment profession pour se faire un semblant de nom sur la toile et que la teneur flatteuse de leurs exclamations, que j’aurais pu prendre un moment pour m’étant personnellement adressée, se retrouvait partout où papillonnait leur bavardage, en des termes à peu près identiques. Rien de bien méchant là-dedans, certes, plutôt une erreur d'aiguillage de la misère mais aussi, quoique bien involontairement, un remède efficace, si tant est que nous sachions les identifier pour ce qu'ils sont, contre la vanité dans laquelle nous sommes tous enclins à sombrer. C’est humain.

Je ne commente pour ma part que deux ou trois blogs, dont celui-ci, celui-ci ou encore celui-là, très différents les uns des autres mais les uns et les autres fort à mon goût.
J’en lis beaucoup plus. Je les lis comme vous me lisez, lecteurs : sans éprouver le besoin de me faire connaître ou de mettre mon grain de sel sur les traces de l’auteur.
Et c’est ce dont je voulais vous remercier vivement ici, vous que je ne sais point mais que je sens tout près. Je trouve, en plus, ceci dit avec un certain humour et une légèreté
certaine, que vous avez un certain mérite, vu les véhémentes positions que j’ai pu prendre récemment sur les diverses escroqueries d'une certaine boutique numérique et vu, aussi, mon indéniable caractère de cochon. Ou de goret, c'est selon.

Est-ce que c’est personnel ou est-ce une tendance générale ? : ici, plus les  commentaires se font rares, plus les lecteurs sont nombreux, sans qu’évidemment je ne puisse me permettre d’établir une quelconque relation de cause à effet qui n’aurait aucun sens.
Ce mois d’octobre, donc, jamais L’Exil des mots ne s'était vu gratifier d'autant de visites et d'autant de lecteurs.
Vous m’en voyez heureux et fier et, surtout, sincèrement, très reconnaissant, d’autant plus que je crois savoir que la fidélité a ceci de contradictoire qu’elle est toujours fragile, jamais acquise.

Image : Philip Seelen

13:09 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Il est certain que cette note mérite un commentaire, ne serait-ce que pour infirmer leur raréfaction ! Je commencerai donc par la fin : oui, la fidélité est fragile, et le lien entre l'auteur et le lecteur n'est pas un mariage ; c'est une liaison où l'attachement peut et doit être remis en question constamment, à la manière décrite par Brassens (n'est-ce pas, Bertrand ?) dans sa Non-demande en mariage.

Cela dit, je confirme la tendance à la raréfaction, l'ayant constatée par moi-même et en ayant discuté avec d'autres blogueurs de longue date. Il y a peut-être un effet d'usure ; quand les blogs ont commencé à apparaître, tout le monde s'est précipité pour y mettre son grain de sel. Il existe maintenant une telle abondance de voies et moyens pour afficher ce qu'on veut dire, que les blogs peuvent être objets de désaffection.

Enfin, en ce qui concerne les livres et l'écho que l'auteur en attend, ou en reçoit, mon expérience est mince, ayant publié mon premier livre cette année (et ce n'est pas une fiction). J'ai eu quelques réactions écrites de "vrais" lecteurs qui m'ont fait plaisir dans la mesure où elles reflétaient des lectures possibles de mon travail. Je crois toutefois que même misanthrope, même agoraphobe, même atrabilaire, tout "écrivant" conserve le fantasme d'un lecteur idéal.

PS : je n'ai pas encore pu constater de manifestation d'un "caractère de cochon" venant du "taulier" de ce blog ; ce doit être pure vantardise de sa part !

REPONSE DE BERTRAND :

Moi itou, je commence par la fin parce que tu m'as bien fait rire...Oui, oui, on va dire comme ça, que c'est de la forfanterie. C'est mieux.
S'agissant des commentaires, comme dit, ça peut être autant très agréable que rasoir quand répétitif, convenu, pour la forme. C'est important du point de vue d'une certaine convivialité, mais, ce que je voulais dire, c'est que l'auteur doit tjs les recevoir avec son sens critique, ne pas se laisser embarquer quand ils sont toujours dityrambiques. Ce n'est, forcément, pas normal. On aime un texte, on n'aime pas l'autre...
Et je crois que je préfère, à part si les susdits commentaires ont vraiment quelque chose à dire d'important susceptible d'intéresser d'autres lecteurs, faire un ajout, corriger une erreur ou un oubli, émettre une opinion différente, les réactions en privé. Ceci dit, Solko, Stéphane, toi-même et quelques autres, j'apprécie tjs un petit salut camarade.
Merci Elisabeth.

Écrit par : elizabeth l.c. | 03.11.2011

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