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28.10.2011

DES IDÉES REÇUES

tamponnées, digérées et recrachées un peu partout...etc.


CHAPITRE II

 

littératureDepuis la morne pension Vauquer, Eugène de Rastignac entrevoit toutes les compromissions dont il faut se rendre coupable, toutes les ruses dont il faut user, tous les apparats dont il faut s’affubler et toutes les bassesses qu’il faut se résoudre à commettre pour être admis dans les salons du Tout-Paris, avoir une maîtresse en vue et faire fortune. Vautrin le tentateur lui enseigne quelques raccourcis fulgurants, mais là n’est pas mon propos.
Ne nous croyons pas, quant à nous, des hommes plus modernes ou plus moraux. Pour tous les groupes sociaux, constitués ou non, il existe des critères d’admissibilité, implicites ou explicites. Le plus souvent implicites d’ailleurs parce que honteux de par la bêtise qui les sous-tend, de par la fatuité qui les soutient, de par le mensonge qui leur donne corps, et de par le misérabilisme intellectuel dont ils sont l’expression.

Dans le fond, pas grand-chose n’a changé depuis Balzac pour être admis, en vrai ou dans sa tête, dans tel ou tel groupe social, même moins huppé que celui auquel prétendait le jeune étudiant charentais. Dans telle ou telle branche de tel ou tel réseau social, si l’on veut.
En un mot comme en cent, prenons par exemple, le soi-disant gotha littéraire, en chair et en os ou sur les blogs et les sites de cette toile. Il y a des critères incontournables. Si, si ! Je l'affirme. Déjà, si vous en doutiez, j’y verrais presque comme un aveu.
J’en prends quatre, presque au hasard, de ces critères, histoire d’en démolir au moins deux :

- Aimer Rimbaud, sinon le comprendre,
- connaître Proust, sinon l’avoir tout lu,
- détester la chasse, sans peut-être n’avoir jamais croisé le moindre chasseur,
- honnir le foot - là, c’est rédhibitoire - sans même savoir ce qu’est un hors-jeu ou un coup franc indirect.

Voilà énoncés quatre éléments déjà constitutifs d’une belle âme et qui vous posent sur la tête d’un imbécile la perruque d’un poète, sur la tignasse d’un vilain la coiffe d’un marquis, sur le front d’une bécasse le duvet d’une colombe, esthète et amoureuse des Belles Lettres.
D’emblée, on ne voit pas trop, sinon par le jeu névrotique d’aliénations diverses bien imprégnées dans les cervelles comme autant de normalités abstraites, ce qu’il y aurait d’antinomique à aimer en même temps Le Bateau ivre et le jeu de jambes de Zinedine Zidane, l’évocation des souvenirs mondains du p’tit Marcel et la frappe de Benzema. Il me semble là qu’on tente de soustraire des lentilles d’un sac de blé pour obtenir des poireaux. Pas vous ?
Et moué alors ?
Moué ? Comment ça, moué ?
Bon.
Je suis touché par certaines œuvres de Rimbaud, bien sûr, pas toutes, mais pas plus profondément que par d’autres qui sont d’Apollinaire, de Richepin ou de Musset, en tout cas moins que par beaucoup signées Brassens.
Proust, pas vraiment ma tasse de thé. Jamais pu rentrer à fond dedans, rebuté peut-être, au mépris de la belle écriture et de la précision des âmes, par tout ce monde parfumé et maniéré.
Enfin, hérésie suprême, j’aime bien le foot, j’aime bien regarder (longtemps que ça ne m’est pas arrivé, remarquez) un grand match. Je n’avais pas loupé beaucoup de confrontations de la coupe du monde 1998, par exemple, ou de la coupe d’Europe qui avait suivi. J’avais aussi suivi d’autres grandes compétitions. Pour le plaisir de voir du jeu. Dans la campagne, il m’arrive encore, pas plus tard que dimanche dernier en me rendant au musée Sienkiewicz, de m’arrêter cinq minutes en traversant un village silencieux où se dispute une rencontre du bas de l’échelle. Sous les moqueries enjouées de mon entourage exclusivement féminin, faut dire !
Ces maillots en même temps flamboyants et crottés qui se disputent un ballon, ces galops, le bruit rugueux des crampons arrachant la pelouse, ces cris rauques, ces souffles courts d’où sortent des brouillards par saccades, le gardien ganté qui cherche ses appuis, se balance et trépigne sur ses jambes qui fléchissent, attentif, tendu, prêt à bondir comme le chat sur la souris, tout ça me ramène très loin, très loin en arrière, chez moi.

Je me souviens… Mes deux grands frères étaient de sacrés footballeurs ! Ils étaient connus au moins à vingt kilomètres à la ronde pour leur dextérité avec un ballon au pied. L’un avait même fini par jouer dans la prestigieuse équipe de Civray, en Division d’Honneur, je crois…Le dimanche soir, ils rentraient quand fuyait le jour, tels des aventuriers s’en revenant d’une glorieuse expédition, fourbus, et ils commentaient, et ils racontaient, et ils montraient même, parfois, un tibia estampillé d'un bleu qui faisait grimacer de douleur. Nous écoutions. C’était l’hiver. Ma mère faisait bouillir de grandes bassines d’eau, et, au savon de Marseille, décrottait les maillots. Ces tuniques du jeu et de la joute, je les admirais alors les jours suivants qui pendaient au soleil du fil à linge et se balançaient au vent, comme des haillons d’orphelin, les bras tendus vers la terre, jaunes quand mes frères jouaient à Brux, violets quand c’était à Chaunay, rouges et blancs à Blanzay, blancs et bleus pour Civray.
Les dimanches de l’été, c’était une fête que d’aller assister aux différents tournois et si, à la fin, un de mes frères avait l’heur de brandir la coupe, alors c’était sur toute ma famille, sur tout mon clan, qu’il me semblait que coulait quelque chose qui ressemblait à de la gloire. Ils étaient mes Kopa à moi, mes Just Fontaine et ils étaient la bravache revanche du pauvre. Car les fils du notaire, du médecin, du pharmacien, les fils des grands bourgeois, ne jouaient pas au football ou, s’ils y jouaient, ils n’y excellaient pas.
Les fils de bourgeois, je les ai retrouvés au collège, avec les versions latines et les thèmes, quand mes frères taillaient la planche à coups de varlope ou tordaient la ferraille à coups de marteau dans un atelier.
Quand j’ai changé de monde, que j’ai mis mes mots d’enfant en exil, que j’ai laissé derrière moi les maillots de football et les crampons crottés, quand j’ai tourné le dos à mon histoire.
Quand j’ai appris Sénèque et Molière, Vigny et Hugo. Tous ces nouveaux venus dans mon jardin, je les ai aimés et je les aime encore. Mais il y a eu, il y a et il y aura toujours de la place pour tout le monde dans un être qui n’éprouve pas la honte d’exister. Rien de ce qui fut constitutif de mes primes archéologies n’a été renié au nom du bel esprit.
La liberté, c’est ça pour mézigue : savoir reconnaître l’odeur de la racine que l'on porte en soi, ne pas la camoufler
, même si c’est une odeur qui n’enivre pas forcément les belles âmes des cénacles et des chapelles.
Savoir être fier sans orgueil. N’appartenir à rien, qu’au hasard de soi. Être tantôt blanc, tantôt noir, tantôt gris selon les yeux avec lesquels on veut vous voir. Entier parce que pas toujours égal et n’obéissant à aucun critère de sélection. Et surtout, surtout, ne jamais se forcer à aimer quelque chose ou quelqu’un parce qu’il est de bon ton d’aimer, et ne jamais s’astreindre à détester ceci ou cela parce que ça vous pose son homme de détester ou de mépriser ceci ou cela.

Mais je voulais, en fait, - voyez comme l'écriture est capricieuse - vous parler de la chasse, et je me suis laissé entraîner par le foot, si je puis dire. La chasse, loisir maudit par les bonnes âmes et les savantes consciences ! Plaisir des gros cons avinés, couperosés, du boucher-charcutier du coin et du ringard de service !
Ce sera pour la semaine prochaine ; je vous parlerai donc de la chasse et… de la forêt. Car là aussi, les idées reçues se ramassent à la pelle, comme autant de manifestations d'une intelligence affectée, usurpée, séductrice dont on ne sait plus trop quoi.

09:18 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

"N’appartenir à rien, qu’au hasard de soi." Quelle magnifique formule, je n'hésite pas à y souscrire ! Et je me souviens que certains me regardent en tordant le nez quand j'avoue ne pas avoir le goût de Proust... (Mais pas celui du foot non plus !)

REPONSE DE BERTRAND :

Salut Elisabeth,

Rien n'est obligatoire, ni infâmant, quand nos goûts proclamés sont les reflets de notre juste plaisir... Alors, ne pas aimer le foot ou la pêche à la ligne est aussi très honorable. Et puis, j'ai pris Proust et Rimbaud, deux icônes, mais j'aurais pu tout aussi bien dire Lautréamont ou Maupassant...Qu'importe.
Amitiés.

Écrit par : elizabeth l.c. | 28.10.2011

Il y a une une différence quand même entre Rimbaud ou Proust et ces sales enculés de Zidane ou de Benzema, c'est le salaire,l'opportunisme,le cynisme de ces derniers dont je ne trouve d'équivalent que chez les grands patrons de multinationales. Des prédateurs pur jus, ce que ne sont ni Proust ni Rimbaud ( indépendamment de leur oeuvre) même si je suis le premier à ne pas déborder de sympathie pour le culte "bobo" que leur livrent, comme ses supporters de l'équipe de la Pleiade, un public particulièrement étroit d'esprit. Ce n'est pas parce que Sénèque et Molière sont venus à nous à travers une culture récupérée par la bourgeoisie (celle de l'école) qu'ils sont bourgeois. Dieu merci. Quant aux deux autres cons, ce n'est pas parce qu'il viennent de la banlieue inculte qu'ils ne sont pas bourgeois, à présent. Au contraire.
Rien à voir, hélas, avec les gamins qui tapent le ballon dans les terrains vagues au sortir de l'école. La différence entre Kopa et Zidane, Di Nallo et Benzema est la même que celle entre Rimbaud et Marc Lévy, Proust et Angot...

REPONSE DE BERTRAND :

C'est bien là, Solko, que je me démarque radicalement de tout ce raisonnement qui, hélas, est tellement simple qu'il est adopté par les esprits les plus lourds sous les apparences de la finesse. Par commodité.
Je vous parle d'un jeu, d'un spectacle (au sens premier ) de souvenirs, ets..vous m'opposez le salaire et la perversion d'un monde pourri. Certes, je me suis appuyé sur deux exemples nominatifs, mais là n'est pas le fond et que m'importe que Proust, Maupassant ou Rimbaud aient été moins pourris que Zidane ou Benzema. Je le sais bien.
Mais là n'est pas le problème. Le problème en ait l'utilisation manichééenne, systématique, par des faibles d'esprit voulant passer pour de grands esthètes..
Direz-vous, par exemple analogique, que l'idée sociale, l'idée réelle d'une justice plus garnde est infâmante parce que Hollande et Royal et toute la clique sont des pourris ?
Allons Solko, soyons sérieux, vous savez bien que ce n'est pas ce que j'ai dit, dans le propos qui était le mien.
Bien à Vous

Écrit par : solko | 28.10.2011

Je ne dirais pas que l'idée sociale est infamante, bien sûr. Mais je constaterais peut-être que beaucoup de gens la jugent dorénavant utopique, à force d'avoir vu ceux qui étaient censés en être les dignes représentants se comporter publiquement n'importe comment. C'est comme ça que dans les quartiers (comme on dit) beaucoup de gens sont passés du vote PS au vote FN, et qu'actuellement, beaucoup d'autres se détournent du foot vers le rugby.
Les idéaux payent cher, si l'on peut parler ainsi, les écarts de ceux qui sont censés les porter.
Mais ce n'était qu'une remarque en passant. Parmi ceux qui ont réconcilié la plume et le stade se trouve Camus. Mais que dirait-il aujourd'hui, là encore ?

REPONSE DE BERTRAND :

Suis vraiment heureux que vous fassiez allusion à Camus. J'ai failli le nommer dans le texte, mais comme je l'avais fait par ailleurs, je me suis abstenu.
Camus, oui, remarquable esprit et féru du jeu de football. C'est ça : le jeu.
Après, oui, comme vous le dites si bien "Les idéaux payent cher, si l'on peut parler ainsi, les écarts de ceux qui sont censés les porter. " Bien sûr qu'on ne peut pas parler "d'idéal" en parlant de football, mais simplement d'un jeu, populaire, qui s'est vu en butte à la haine des "intellos" parce que profondément perverti par la pratique du fric jusqu'à l'indécence.
Jeter le bébé avec l'eau du bain est une pratique courante des manques à discerner et des adeptes de l'apparence au détriment de l'essentiel.
C'est pourquoi, dans ce monde falsifié, Solko, toute chose, tout ressenti , toute profondeur de soi est tellement difficile à exprimer ! Chaque pas exprimé pour dire ce que l'on est peut être interprété comme un faux-pas par la pensée à tiroirs et tout le confusionnisme dans lequel cette pensée entraîne forcément le langage..
Il en va bien sûr de même pour les "dénominations" politiques. Nulle part où se reconnaître...Ce qui nous faisait dire, il y a longtemps, longtemps : Si tu n'es pas communiste à vingt ans, c'est qu't'as pas de coeur. Si tu l'es à quarante, c'est qu't'as pas de tête !
Misère !

Écrit par : Solko | 29.10.2011

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