26.10.2011
DES IDÉES REÇUES
tamponnées, digérées et recrachées un peu partout comme autant d'épiphénomènes de la clairvoyance et de l’intelligence humanistes
CHAPITRE I
Longtemps nous avons regardé le monde avec l’œil de la prétention à le changer. Ce qui nous a fait dire pas mal d’inepties et même commettre pas mal d’actions comme autant de coups d’épées données en eaux troubles.
Le monde se fout des postillons et des postillonneurs comme de Colin-Tampon. Quelquefois même, pour un petit coup reçu, un peu plus appuyé et énervé que les autres, il vous balance un savant uppercut qui vous met K.O pour un bon bout de temps.
Il a sa logique que la logique ne comprend pas, le monde. Il a aussi sa longévité, son immensité et sa complexité que l’éphémère, la petitesse et la simplicité de l’individu n’entrevoient que très partiellement mais, hélas, toujours de façon fort péremptoire.
Le recul et la sagesse commandent donc, - si tant est qu’on ait pris la ferme résolution de ne pas mourir un jour aussi con qu’on a vécu - de revoir toutes ses prétentions révolutionnaires à la baisse et surtout, dans la solitude des petits matins clairets, d’imaginer, sourire aux lèvres, cinq minutes seulement, ce que nous aurions fait de mieux dans un monde supposé meilleur.
Si on n’est pas définitivement pourri au point de mentir même dans un face à face intime, (ou trop con pour se comprendre vraiment tel qu’on est) la réponse tombe, limpide : rien. Absolument rien. Parce que nous ne connaissons rien aux implications, aux engrenages des sociétés et surtout aux désirs profonds des hommes qui cohabitent avec nous sur la grande boule bleue. Nous supposons tout ça. Nous le supposons ex cathedra. Parce que, aussi, notre vide et notre impuissance sont à l’intérieur, notre puissance et notre volonté de vivre également. Accuser le canevas social du monde, son organisation, ses injustices, son immoralité, ses guerres, ses embrouilles, de notre tristesse et de nos échecs, c’est accuser, pour une bonne part, le miroir quand il nous renvoie une gueule que nous voudrions plus harmonieuse. C’est se dédouaner de soi et on comprend bien que ce soit plus facile de chercher la clef de son énigme sur des manifestations extérieures, auxquelles nous ne participons pas sinon par une vaine parole, plutôt que dans ses propres dispositions à vivre, dans sa propre éthique et dans ses propres désirs.
Le comble est alors de briser le miroir. Plus de sale gueule en face ! Mais le passant qui vous croisera dans la rue l’instant d’après vous trouvera toujours aussi disgracieux.
Ainsi m’amusé-je des discours. De tous les discours. De ceux de la rue, de ceux des bouffons politiques, de ceux de la presse comme de ceux des blogs, ces derniers classés au rang des pires sans doute. Car si on peut comprendre l’intérêt immédiat et réel que peut avoir un politique, un journaliste ou un hâbleur légèrement pris de boisson et accoudé au zinc du café du commerce, à interpréter le monde de façon fallacieuse et lapidaire, on ne comprend pas trop bien pourquoi et dans quel but un blog ou un site persiste à vouloir assener ses erreurs d’interprétation et ses vues étriquées comme autant de vérités définitives ? Quel rôle dans le monde ? Quel impact ? Quels et quelles imbéciles, sinon ceux et celles qui lui ressemblent, cherche-t-il à séduire ? Et pourquoi vouloir séduire des gens qui sont tout disposés à prendre vos patins parce qu'ils ne savent pas se chausser eux-mêmes ?
Déjà, donc, l’impropre de l’endroit pervertit le propos.
Une des grandes questions - elles sont légion - qui préoccupe aujourd’hui les Bons Samaritains de la parole sans verbe, c’est l’avenir de ce qu’on a très vite appelé le printemps arabe. Son avenir, excusez-moi du peu, était déjà prisonnier de la métaphore, piètre et usée jusqu’à la corde, un printemps étant, de par la physique universelle du grand mouvement des choses, caduc et même très court. Les tenants du propos spectaculaire manquent vraiment d’imagination poétique. Il y a quarante-trois ans, on parlait déjà du printemps de Prague, dont les premiers rameaux furent broyés comme on sait. Anyway…Un printemps reste un printemps. Un truc qui sent bon mais sur les lauriers duquel il n'est pas sérieux de s'endormir.
Alors je lis sur un site d’information que la presse s’inquiète d’un horizon qui se dessinerait islamiste en Tunisie et en Lybie….On peut décoder ainsi - parce qu’on n’a quand même pas trop le temps à perdre avec ces conneries - : putains d’Arabes de merde, on les libère de leurs dictateurs et ils la ramènent avec leur dieu ! Pouvaient pas s'en choisir un vrai, de dieu, un comme le nôtre par exemple, normal, avec une grande barbe, blanc, démocrate et pas méchant pour un sou (oublions les bûchers, les croisades, les langues arrachées, l’Inquisition, les crimes, l’interdiction des livres, l’asservissement du peuple 10 siècles durant par le clergé, le grain de blé arraché de la bouche du vilain par une dîme assassine, les vierges violées dans d'infâmes couvents etc.) Oublions tout ça ! Ces vils Sarrazins avec leur printemps à la noix sont en train de nous compliquer l’existence avec leur dieu raciste et qui pourrait bien, en plus, leur enjoindre de poser des bombes !
La plupart des aboyeurs, presse et blogs confondus, oublient les arguments constitutifs de leur propre insignifiance. C’est-à-dire qu’ils brandissent le couteau par la lame et se blessent forcément le fond de la main. Ils oublient que ce n’est pas eux qui votent chez les autres, que le mot démocratie n'est pas une recette de cuisine qui, forcément, fait bouillir les carottes qu'on attend, que les peuples ont le droit de disposer de leur destin, celui-ci ne rentrerait-il pas dans les canons idéologiques des cervelles occidentales. Ils oublient, même ceux qui font mine de n’être point porteurs de la morale chrétienne et, peut-être, surtout eux, que leur morale apodictique n’est pas universelle, que ce qui leur semble juste sous cette latitude est peut être perçu comme injuste sous telle autre.
Ce qu’on voit là-dedans, c’est la bêtise crasse qui persiste à se voir comme le nombril du monde sans rien comprendre ni au monde ni à ce qu’est réellement un nombril. Et, de la presse de gauche aux blogs de gauche ou d’extrême gauche, on peut lire ce qu’on entend dégouliner de plus infâmant de la gueule écumante de l’extrême droite : ah, valait mieux les dictateurs, tiens !
Et qu'on ne fasse pas le philosophe en me disant, oui, mais on ne pense pas pareil, nous, et gnan gnan gnan...La parole est une herbe folle qui, quand elle a le même parfum, pousse forcément sur le même terreau.
Et même cette Le Pen-là a plus de courage que tous ces velléitaires de la bonne fausse conscience : car elle le dit au moins avec des mots clairs, sans ambages. Elle annonce la couleur et n'a point honte de ses contradictions. Chez les autres, qui ont pourtant la même cervelle et les mêmes vues approximatives, on avance masqué. Il faut lire du subliminal. Même pas le courage - ou plus exactement l'intelligence de percevoir - les conséquences désastreuses de leur désastreux discours.
Car savez-vous lire ? Connaissez-vous la belle et dansante clarté des mots ? Oui ? Alors lisez cela, paru dans Libération, journal de gogôche : "la fin des dictatures du monde arabe risque d’installer l’Islam politique au pouvoir."
La fin des dictatures = risque…On a risqué la fin des dictatures, imprudents que nous sommes ! Parallèle flamboyant entre dictature et Islam politique…Mais c’est qu’ils seraient prêts à harnacher des destriers, ces cochons-là, pour chevaucher jusqu'aux déserts et raccourcir de l’infidèle !
Connards, journalistes et blogueurs réunis, qui veulent nous dire un monde sur lequel ils ne voient planer que l’ombre misérable de leur misérable nez !
Car de tout ça, auquel je ne comprends pas grand-chose, il faut s'en foutre et s'en contrefoutre complètement !
L’ignorant qui s’en fout est tellement plus attachant et tellement moins dangereux que le faux-savant qui fait le passionné ! Mon voisin malade, mon ami qui souffre d’un déplaisir amoureux, ma fille qui me demande pourquoi Treblinka, me tracassent bien plus et me mobilisent bien plus utilement. Car je peux dire sans public, aider peut-être, éclairer un peu j'espère.
Un autre jour, contre ce même mode de l’aliénation à vouloir dire, avec la parole décharnée du déjà-vu, un monde où manifestement on ne comprend goutte, je vous parlerai d’un tout autre sujet : la chasse, honnie des bien-pensants et des mêmes derviches tourneurs du vide confortable et de la conviction par procuration.
Image : Philip Seelen
08:32 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Depuis le lendemain du référendum sur l'Europe, je ne lis plus Libé. Depuis "l'affaire (on peut appeler ça comme ça ?) Allègre", je ne lis plus Le Monde. Rajoutons, même si ça n'a rien à voir, que j'ai aussi arrêté de fumer : L'ensemble finit par faire de sacrées économies à la fin de l'année.
Enfin, depuis la mort de Bérégovoy, je ne vote plus PS.
Bref, je ne suis plus du tout "de gauche" et quand on travaille dans l'Education Nationale, c'est héroïque !
Parce que j'ai toujours préféré le discours individuel aux discours de masses, et beaucoup critiqué l'égalitarisme à l'école, la plupart de mes anciens copains s'inquiètent : aurais-je viré à droite ? Je refuse de faire leurs manifs sous des ballons syndicaux et de chanter avec eux "tous ensemble tous ensemble" en bouffant des merguez dégueulasses. Je refuse de filer la moindre journée de boulot au gouvernement pour faire gonfler les statistiques des dits syndicaux. "La France enchantée" du rusé Hollande, dont la tronche me rappelle un principal de Collège que j'ai connu en banlieue parisienne jadis, me fait autant flipper que la "France qui gagne" du Sarkozy 2007, dont la tronche m'en rappelait vaguement aussi un autre. Je finis par me demander s'il ne faudrait pas mieux installer un logiciel à la présidence tsoin tsoin...
Quant au printemps arabe, je me souviens en avoir discuté au bistrot avec un copain tunisien, excellent luthiste au demeurant, Khaled Ben Yahia, qui s'enthousiasmait pour le vote à venir et qui à présent, non pas parce qu'il est de gauche, mais parce qu'il est fortement occidentalisé, s'inquiète.
Vous avez raison, "la marche du monde", comme le disent Saucisse et son Langlois dans un roi sans divertissement, quand ça se prend pour autre chose qu'un divertissement, ça devient lourd.
A moins d'y faire carrière ... A propos, savez-vous que la Ségolène en est déjà à négocier le perchoir de l'Assemblée avec son ex ?
RÉPONSE DE BERTRAND :
Vous avez au moins arrêté la cigarette, ce qui, en soi, est quand même une victoire. Elle me colle quant à moi, toujours au bec. La cigarette, pas la victoire.
La détestation vient du fait que la parole publique est détenue par des ignorants. Car nous sommes ignorants des tenants et des aboutissants de pas mal de choses. Selon la vieille formule, c’est bien là où elle sait le moins que l’ignorance fait soupçonner le plus et quand je vois ces analyses "en promotion tête de gondole" du fameux printemps arabe, ça me fait douloureusement penser à des charlatans qui se mêleraient de juger de ce qui est mieux pour un autre d’un cancer du pancréas ou d’un cancer du poumon, alors qu’ils seraient eux-mêmes en train de se tordre de douleur, en proie à une infection généralisée.
L’idée qu’on puisse avoir des idées sur tout entraîne forcément dans le délire de l’à-peu-près et l'interprétation fallacieuse.
Avec mon Brassens, j'en arriverai samedi à la mise en ligne de quelques titres posthumes, parmi lesquels " Le vieux Normand" et je ne résiste pas à vous en communiquer une strophe, d'une douloureuse actualité sur le sujet :
Quand tous les rois Pétaud crient : « Vive la République ! »,
Que « Mort aux vaches ! » même est un slogan de flic,
Que l’on parle de paix le cul sur des canons,
Bienheureux celui qui s’y retrouve, moi non !
Quant à la future perchée, oui, j'ai vu ça...Une histoire de famille. C'est ce qu'on appelera sans doute " le printemps français..." De quoi se marrer au-delà du raisonnable, à s'en faire même péter la glotte !
Bien à vous
Écrit par : solko | 25.10.2011
Les commentaires sont fermés.