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22.08.2011

Ce fut un bien bel échange - 1 -

C'était sur Non de Non, blog que nous partagions alors avec Stéphane Beau et Stéphane Prat, et c'était un échange entre Solko et mézigue.
J'en reprends ici deux échantillons qui me sont revenus en mémoire, suite au commentaire laissé par JLK sous le texte précédent et parce que Roland y abordait un sujet crucial dans le domaine de la création littéraire.



RV270326.jpgBonjour Bertrand
On retient souvent, comme ça, des idées, des bribes d’idées même, dont on a oublié la provenance. Qui a dit qu’un grand livre n’est qu’une conversation tenue par un vivant avec un autre grand livre, écrit par un mort ? Ne sais plus trop. En tout cas, si les lecteurs ont souvent l’impression de se repérer dans un texte qu’ils découvrent grâce à leurs lectures antérieures, ne serait-ce pas parce que les écrivains leur en ont donné l’habitude en rendant souvent hommage, dans leurs textes, à ceux qui les ont  précédés, et dont ils portent la trace ?
Dans Zozo Chômeur éperdu, j’avais relevé des allusions explicites à Raboliot et à La dernière harde,  romans de Maurice Genevoix.
Dans Géographiques, vous citez plusieurs auteurs, mais c’est sur la figure de Roger Vailland, dont vous évoquez deux titres, La Fête et Les Mauvais coups que je voudrais m’arrêter. Il y a dans ces deux cas un doigt pointé vers, une invitation de lecture, même. Certes. Mais les liens que vous établissez entre vos textes et ceux de Genevoix ou Vailland ne cachent-ils pas autre chose ? N’ont-ils pas pour raison une image intime que vous avez de ces auteurs, voire de ces figures humaines ? Une image intime, aussi, qu’ils vous ont tendue de vous, ou encore une image de vous que vous souhaitez porter jusqu’à vos lecteurs ? Une image, pour aller jusqu’au bout de ma pensée, liée à un certain refus, et à une certaine joie de vivre ?
Oh, je sens bien que je deviens indiscret. Mais l’indiscrétion n’est-elle pas la raison d’être de toute correspondance ?
Je vous dis tout cela parce que je me suis pour ma part fabriqué une sorte de père idéal en littérature, et puis aussi quelques frères ou sœurs de routes, et puis quelques bons copains, et mêmes toute une pléiade d’oncles, de tantes et de cousins.. Et ces formes d’empathies, si chimériques fussent-elles, se sont toujours révélées, à l’examen, plus signifiantes que je ne le croyais de prime bord. 
Ce Genevoix, ce Vailland, dont je ne résiste pas au plaisir de vous glisser une photo dans l’enveloppe, Zozo et Géographiques auraient-ils existé pareillement en vous si vous ne leur aviez pas explicitement rendu hommage ?
Je vous autorise, et avec moi tous ceux qui liront cette lettre, à nous parler d’autre chose si vous le souhaitez. De l’euro qui fait du yoyo, de la coupe du monde qui pointe le bout de son nez, ou de l’intérim présidentiel en Pologne dont pour vous dire la vérité nous ne savons pas grand-chose  en France. Cependant, entre nous, qu’y-a-t-il de plus intéressant, quand on s’intéresse de près à l’écriture, que ce type de relations – et de motivations profondes -, par lesquelles nous nous mettons, d’une certain façon, au monde ?
Mes amitiés lyonnaises, mon cher Bertrand.
Au plaisir de vous lire.
Roland



754049_2879875.jpgCher Roland,
J’ai lu votre lettre avec beaucoup de joie ( en voilà une introduction qu’elle est bien courtoise et fort originale, ma foi ! ) car les sujets que vous y abordez sont effectivement essentiels pour qui se mêle d’écrire.
Vous mettez le doigt sur l’historique d’une écriture et dévoilez ainsi que nul, en ce domaine comme dans tous les autres, ne se fait soi-même mais trimballe dans ses valises (dans son encrier, en l’occurrence) des références, toute une famille qui depuis longtemps ne le quitte plus et qui murmure dans l’ombre, sans pour autant que l’auteur ait conscience d’entendre ces murmures.
Car, dès que le couvert est mis, cette tribu sympathique s’invite régulièrement et sans vergogne aux plaisirs d’écrire. Je n’avais en effet jamais prévu d’introduire Genevoix ou Maupassant au départ de Zozo, pas plus que Roger Vailland au départ de Géographiques. Mais, à un certain moment, quand la fête battait son plein, ils sont accourus d’eux-mêmes tels de vieux fantômes et parce qu’ils avaient sans doute entendu qu’on se livrait en ces lieux à leur débauche favorite d’antan. Ils se sont imposés. Sans eux, la fête eût été un peu bancale.
Genevoix, je l’ai rencontré adolescent. Au milieu des champs et des bois et quelle merveilleuse sensation que celle d’éprouver soudain qu’on est en train de vivre dans un livre, avec des mots qu’on voudrait soi-même avoir ciselés, ce qui vous entoure en réalité et que vous aimez, du chant du merle noir à la buse qui plane en  haut du  ciel, jusqu’à la fraîcheur de la prairie en passant par les pénombres des sous-bois.
Forcément alors, penché sur mon manuscrit, tout cela s’invite, tant l’émotion d’écrire et celle de lire jouent sur les mêmes partitions.
Il en va de même pour Vailland, quoique j’aie fait sa connaissance beaucoup plus tard.
À un âge un peu plus désabusé. Quand le parcours est déjà abîmé. Ce n’étaient plus les paysages qui étaient présents mais l’obstination à vivre pleinement sa vie, mêlée à un certain désespoir et à un goût prononcé pour l’ivresse et les jeux de l’amour.
J’ai tout lu de vailland, jusqu’au volumineux et inachevé « Ecrits intimes » qu’une de ses anciennes amies, que j’ai eu la chance de rencontrer à Paris, m’avait gentiment offert. Cependant, Roland, en dépit de tout ce que j’ai pu lire et de tout ce que je lis encore de livres et d’auteurs, s’il est un seul livre que j’eusse aimé écrire, un livre qui m’a profondément marqué, ému, bouleversé, c’est bien  Les Mauvais coups.
Nul autre n’est venu à ce jour me procurer la sensation de lire un frère. Plus qu’une oeuvre, un miroir, même si ça n’est pas ce qu’on demande à un livre, mais je me situe là plus sur le domaine du « sensiblement personnel » que sur l’échelle toujours un peu pourrie de la cotation littéraire.
Bizarrement, je n’ai jamais osé remettre le nez dedans. Je l’ai refermé, voulant sans doute  garder intacte ma première sensation. Il reste pour moi le chef-d’œuvre de mon  équinoxe  de la quarantaine.

Alors, vous avez vraiment vu très juste en posant  la question  si , en citant un tel ouvrage, de  façon inopinée, anodine, ça n’était pas une certaine image de moi, fugace,  que je voulais transmettre. Je n’en avais pas pris l’exacte mesure et je vous dois cet éclaircissement.

Cependant, j’ai un père plus incontesté encore en écriture. Le maître. Celui qui me poursuit partout et duquel  j’essaie cependant de calmer les ardeurs. Oui, il s’invite souvent sous ma plume et je dois quelquefois l’en chasser. Il me ferait trop d’ombre.
Vous l’avez sans doute deviné, il s’agit de Maupassant, d’ailleurs également nommé dans Zozo… Et j’ai été ému, touché, à l’époque, par  la critique de Jean-Louis Kuffer qui disait, sans ne rien savoir de cette filiation, qu’il y avait dans mon livre un goût de Maupassant. Comme quoi, quand on a à faire à des lecteurs de cette envergure, il n’y a pas de secret qui ne puisse être mis au jour.
Et à propos de Jean-Louis Kuffer,  je m’éloigne un peu,  cher Roland, pour vous dire que je suis en train de lire un de ses livres  Le viol de l’ange , un livre étrange, troublant, très, très original.
J’en reparlerai sans doute sur l’Exil des mots.
J’aurais voulu vous entretenir également d’un tout autre sujet  mais j’ai été un peu long. Ce sera donc pour la semaine prochaine.
En tout cas, merci pour cette correspondance et la qualité de votre lecture.
Portez-vous bien et amitiés polonaises.
Bertrand

 

 

10:06 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Bonjour,

J'ai beaucoup apprécié ce sympathique échange au sujet de (notamment) Roger Vailland. Me permettez-vous de le citer sur le site Vailland, dont je suis l'administrateur ? Voir ici : http://www.roger-vailland.com/

Merci et à bientôt
Elizabeth Legros Chapuis

Écrit par : elizabeth l.c. | 22.08.2011

Bien sûr, et je vous remercie de votre lecture.
Je lisais tout à l'heure, sur votre site, que vous étiez en préparation d'une "étude sur l’évolution des représentations de la forêt dans l’imaginaire et la fiction littéraire."
Une thématique qui m'intéresse au plus haut point.
Bien cordialement

Écrit par : Bertrand | 23.08.2011

Ce furent en effet de beaux échanges et ce sera une bonne idée d'en exhumer de temps en temps quelques bribes. Dans la vitesse à laquelle le monde évolue, avec cette notion de legs devenue problématique, je ne sais quelle place la littérature occupera à l'avenir dans le coeur et la mémoire des hommes de plus en plus voués à l'instant. Et je mesure la chance d'avoir lu - ou plutôt pu lire.

Écrit par : solko | 23.08.2011

Eclairez-moi : quelle est cette "notion de legs devenue problématique" ?

Écrit par : Bertrand | 23.08.2011

Vingt "d'enseignement", si l'on veut, m'ont fait percevoir que le nombre de lecteurs, surtout chez les jeunes, capables d'aller chercher des références, pour faire simple, dans la littérature, c'est à dire d'en recevoir vraiment héritage, devenait de plus en plus mince. On pioche dans le cinéma, la BD, la chanson. On pioche du coup des références plus sommaires, moins élaborées, plus contemporaines. J'évoquais juste ça, de façon lapidaire je l'avoue.
Figurez-vous une température telle, ici, à Lyon, qu'on ne peut quasiment plus rien faire de soutenu, sinon attendre l'orage... Horrible !

Écrit par : solko | 23.08.2011

Merci, Roland...Je comprends. J'allais presque dire" hélas". Oui,appropriation superficielle de notions superficielles. Les conditions seront bientôt réunies pour un monde d'abrutis au services d'autres abrutis...
Lyon dans la fournaise, me dites-vous. Le mieux est de fermer les volets et de s'installer, torse nu, sur un lit ou un divan.
Ici, ce sont des dents de scie, ça monte à plus de 30, 33, le ciel brunit, noir avec des trainées de poudre blanche sur ce noir, et, le soir, ça pète. Avec violence et force vent...Alors, pendant la journée qui suit, il faut reprendre le pull..Fraîcheur abusive....Et ça recommence.
Portez-vous bien, Roland !

Écrit par : Bertrand | 23.08.2011

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