29.10.2010
Poésie et mémoire usurpées
J’aime beaucoup cette saison de la toussaint.
Non pas que les saints, connus au calendrier ou inconnus au bataillon, m’inclinent à quelque abstraction métaphysique - les saints qui m’inspirent ne s’orthographient pas du tout comme ça et sont resplendissants de vie - mais parce qu’elle est, dans ma tête, dans mon archéologie, comme un grand portail qui s’ouvre et sous lequel on s’engage pour rentrer sur le long territoire des mortes saisons.
Après la toussaint, on marche résolument dans l’allongement des ombres. Le monde se dépouille : on n'en voit bientôt plus que l’architecture primaire, presque l’essentiel. Un reste de soleil maladif traîne encore sur le blanc des gelées, les forêts s’inclinent et déposent leurs habits au pied du grand vainqueur, le ciel est pâle, les chemins boueux ou gelés, le peuple ailé clairsemé et sans voix.
Il fait frisquet. Parfois des brouillards rampent au ras des eaux. J’ai l’impression qu’on est, à chaque heure du jour, au crépuscule d’un soir. La nuit viendra, certes, mais elle n’est pas encore là. Il est temps d’écrire. Je n’ai jamais su dire pourquoi, peu importe, c’est même d’une naïveté déconcertante, mais : il est temps d’écrire, de semer dans cette ombre où se mêle une rumeur.
Voilà donc ma toussaint : Le point de départ de la fuite. Rien à voir, sinon comme strict point de repère, avec la célébration de tous les morts. De stricte intimité, d’ailleurs, on ne célèbre en son cœur que ceux qu’on a croisés vivants, c’est-à-dire bien peu au final, et dont on a encore mal qu’ils soient passés sur l’autre rive.
Encore et toujours une supercherie du catholicisme triomphant, cette toussaint ! Cette fête était, aux premiers siècles de l'église, célébrée le 13 mai.
En plein renouveau des choses, donc.
Mais les Celtes de l’Europe du nord s’obstinaient, en dépit de l’hégémonie de plus en plus gourmande et autoritaire des chrétiens, à rendre honneur à leurs morts le 1er novembre, qui correspondait aussi à la fin de leur année, celle-ci ne comptant que deux saisons : L'été et l'hiver. Ils croyaient que, pour enterrer cette année, les morts revenaient taquiner les vivants. Ils ouvraient les tombes, allumaient de petites torches dans des navets et se livraient, en sus, à de copieuses ivresses.
Comment tordre le cou aux coutumes de ces barbares ignorants ? Comment leur enlever la mémoire ? Comment frapper les cieux d’alignement et obliger tout le monde à regarder vers un seul nuage ?
En leur volant leur fête. Tout simplement.
En 835, donc, foin de ces comédies ! Le pape Grégoire IV instaure la date du premier novembre pour la célébration des martyrs de l’église et, pour arrondir les angles dirais-je, pour faire passer la pilule avec une sorte de concession aux anciens rites païens, ordonne qu’une messe sera dite le 2 novembre, institué dès lors jour des morts.
Un truc qui n'a donc aucun sens. Au mieux un truc politique, au pire le camouflage d'une annexion.
Je me suis laissé dire que l’Eglise bedonnante d'aujourd’hui voyait d’un sale œil refleurir un peu partout en Europe les citrouilles avec leurs bougies à l’intérieur.
Sans doute y voit-elle un rappel caustique de sa mauvaise conscience et de ses innombrables combines.
13:21 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Même chose pour la Noël, bien entendu, qui correspond au renouveau de la lumière après le solstice d'hiver.
Même chose encore pour les menhirs bretons, contre lesquels les jeunes femmes allaient frotter leur ventre pour devenir fécondes (ce qui dans l’imaginaire païen peut se comprendre, vu le symbole phallique de ces menhirs). Généralement la tradition a été récupérée par un saint local et c’est contre sa châsse, à l’intérieur de l’église, que les jeunes mariées sont ensuite venues se prosterner.
Écrit par : Feuilly | 29.10.2010
Joie de vous retrouver, la maison de conte de fées où l'on entend de dehors la petite chanter,où l'on voit le poète écrire près du feu sous le bon éclairage; joie de lire l'épisode sartrien où parfois le bon coeur vous entraine où vous ne vouliez pas aller; utile rappel des fêtes oubliées ou des fêtes obligées.La Toussaint, ce sont des couleurs somptueuses et les premiers feux de bois et c'est çà qu'on aime.
Reprise de mes esprits après la nouvelle de cette saloperie de crabe chez ma soeur; ma foi, on va accompagner..
Au fait, Bertrand, les maisons en bois, c'est fichument "tendance" mais ils leur donnent des formes bizarres, design, moches.
Amitiés Anne-Marie
Écrit par : Anne-Marie Emery | 29.10.2010
Chère Anne-Marie, je comprends trop bien ce que tu peux ressentir...Toute mon amitié t'accompagne. Le fléau, hélas,partout, chez tous,un à un, une à une...Que de tristesse !
Écrit par : Bertrand | 02.11.2010
Toute ma gratitude pour ta gentillesse;en effet, dans ces cas-là, on a tendance à en vouloir à la terre entière et surtout à ceux qui dépensent le fric en inepties au lieu de le mettre dans la recherche( quasiment chaque famille est touchée); quand je vois le possible retour en arrière des USA en matière de santé, çà rend furieux.Amitiés A.M
Écrit par : Anne-Marie Emery | 02.11.2010
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