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28.10.2010

Transcendance d'un Ego

sartre.gifC’était dans une auberge isolée au milieu des marais de Nuaillé d’Aunis et dans laquelle nous avions coutume de jouer Brassens tout un week-end - vendredi soir, samedi soir et dimanche après-midi - chaque année au mois de novembre.
Un certain dimanche d'un froid de canard où le soleil tout pâle et tout fluet dans un ciel tout bleu éclairait les prairies muettes et désertes alentour, nous avions cependant  bien failli nous y  faire voler la vedette, dans cette auberge !
Après une première partie, nous nous étions installés dans la salle pour prendre un pot et  le  hasard avait fait que nous nous étions assis à côté d’un tout petit bonhomme, tout maigre, tout sec et tout nerveux.
Il portait de grosses lunettes de myope, il avait la bouche un peu taillée en biseau, une raie impeccable tracée sur le côté de ses cheveux légèrement gominés, une mèche relevée en arrière  et il était un peu voûté.
Il ressemblait à Jean-Paul Sartre dans sa période maoïste.
Forcément, il en vint à nous interpeller. Mon camarade était en pleine forme mais moi, j’avais la voix qui se cassait, éraillée. Nous en étions à la sixième heure de concert en deux jours, quand même, sans compter que chaque soirée se prolongeait en copieux sacrifices à Bacchus.
Sartre nous enseigna alors qu’il fallait soigner, entretenir, travailler, échauffer, entraîner la voix.
Il était lui-même chanteur dans un groupe, à La Rochelle !
Tous les matins, dans sa salle de bain et devant la glace, il faisait des gammes, lui. Oui, Messieurs !
Et il nous montra.
Comme font les bébés quand ils remuent les lèvres très vite et qu’ils y passent leur main et qu’ils font «brrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr.»
Mais là, c’était un bébé chanteur. Le « brrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr » s’articulait plaisamment, se modulait habilement pour donner la gamme complète, jusqu’à l’octave et même au-delà.
Les lèvres remuaient et s’agitaient dans un tremblement frénétique.
C’était gentiment grotesque et absolument désopilant. Tellement que, nous voyant pliés en deux,  le bonhomme n’arrêtait plus de nous montrer et répétait à l’envi ses singeries de mélomane.
Un peu interloqués, les gens regardaient ce vieux fou  en train de nous donner la leçon.

Sartre en vint  cependant à demander sa récompense. Pouvait-il monter sur scène avec nous et chanter une chanson ?
J’ai cru un instant qu’il voulait chanter Dans la rue des Blancs-Manteaux…Mais non, mais non, ce fut  « Le Mauvais sujet repenti » qu’il proposa.
A la reprise, il chanta donc, d’une petite voix haut perchée, juste cependant : « Elle avait la taille faite au tour, les hanches pleines… »
Mon camarade l’accompagnait et Sartre cabotinait à son aise, se dandinait sur ses petits pieds vernis et, épousant  parfaitement le texte avec son corps fluet,  se déhanchait effectivement comme une demoiselle de la nuit.
Puis il voulut en chanter une autre, puis une autre encore.
Nous dûmes finalement faire les gros yeux pour qu’il consente à reprendre sa place dans le public…
Sartre, vous dis-je !
Le bidon d’huile en moins !

14:25 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Quel drôle de huis clos!

Écrit par : Natacha S. | 28.10.2010

Sans le bidon d'huile, ce n'était donc plus Sartre...

Écrit par : solko | 28.10.2010

Solko vous avez bien raison enfin presque....
Est ce que je vais trouver votre bouquin Bertrand ha!ha!

Écrit par : voyageuse | 31.10.2010

Les commentaires sont fermés.