28.10.2010
Petits architectes de la vanité universelle
Lorsque nous avons décidé, en 2007, de chercher une maison dans la campagne la plus reculée possible, il allait de soi que nous cherchions une maison qui fût authentique, une maison avec une histoire et dont le style et l’âme seraient depuis longtemps intégrés dans le paysage.
Bref, une maison polonaise. Une maison pour habiter. Pas seulement pour y être à l’abri, manger et dormir. C’était donc forcément une maison en bois. Comme toutes celles que j’avais vues avec envie dans tous ces villages-rues de l’est.
Pour moi, c’était et c’est encore exotique tout en étant une affirmation, une volonté de rencontrer véritablement les lieux. Pour D., c’était et c’est toujours une fidélité aux paysages et à la mémoire de son pays.
On voulait donc une maison mariée avec la forêt, qui fait corps avec elle, qu’on dirait qu’elle n’est qu’un dessin, une arabesque de plus sur le paysage forestier.
Tout comme les maisons de pierres, là-bas, dans les villages des Deux-Sèvres, s’inscrivent dans une campagne où dominent la pierre, le calcaire et les murailles le long des chemins et des prairies. Les hameaux y ressemblent à des fossiles incrustés sur les parois de la mémoire. Une maison de bois y serait incongrue. Comme une verrue sur le bout du pif.
Avec qui ou avec quoi se marie une maison en briques, en ciment, en béton, sinon avec un habitat exilé des hommes ?
Surtout ici.
Et pourtant fleurissent à tout va les constructions les plus hétéroclites. On rivalise de grandeur, de hauteur, de superficie, on multiplie les toits, les courbes, les niveaux, les fenêtres de toutes dimensions, les cassures, les ruptures de plan, les balcons emberlificotés. Une débauche d’imagination entre la mégalomanie mal maitrisée et la schizophrénie à un stade inquiétant, je vous assure.
La croissance polonaise dévore goulument l’âme polonaise.
On construit partout. Dans les bourgs, les villages, et jusqu’au beau milieu des champs. On se joue à qui mieux mieux du « m’as-tu vu dans ma jolie maison ? »
C’est nous autres, avec les vieillards et quelques farfelus de notre acabit, qui sommes passés minoritaires dans un paysage essentiellement et historiquement fait de bois.
Des maisons surgissent de la terre comme de grotesques champignons. Des jaunes, des rouges, des violettes, des vertes et des pas mûres, et toutes ont la prétention de célébrer la liberté retrouvée.
La richesse plutôt. Les plénitudes du libéralisme triomphant. La liberté, bof…C’est un mot de philosophie politique, ça.
Lamentable …On veut ressembler à l’ouest aussi, comme une sorte de revanche sur la frustration. On veut ressembler à ces grosses maisons, ces gros étrons de la vanité constipée devrais-je dire, qu’on voit partout en France, en Allemagne, en Angleterre.
On veut effacer la différence. Habiter en bourgeois.
Bref, on veut être tout : confortables, riches, démonstratifs, en dur, en large et en travers, mais surtout pas en bois.
Le bois, Pouah ! C’est synonyme de bicoque, de pauvreté, d’attardé, d’obscurantiste et de passé désastreux !
Ben moi, quand je vois toutes ces constructions idiotes des nouveaux riches - ou des gros emprunts - le mot de Stasiuk, déjà relevé dans ce blog, me revient toujours :
La Pologne, comme tout le reste de l’Europe centrale, ne sera bientôt plus qu’une notion pour les météorologues.
Parce que lorsque la richesse et la bêtise font bon ménage - et elles le font souvent - elles chevauchent toujours le cheval d’Attila.
08:35 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
C'est joli chez vous. Ce bleu, ce blanc, avec cette tâche de lumière hospitalière au centre. Cela me rappelle les images qu'on trouvait dans les tablettes de chocolat avant Noël quand j'étais gosse.
Écrit par : solko | 27.10.2010
Oserais-je vous dire que je retrouve une image de chez moi, en Suisse au-dessus du Lac Léman? (Tous les Helvètes n'étant pas de gros riches posant leur crotte près d'une cité bancaire). Est-ce que le bois craque entre le jour et la nuit? J'y vois toujours de bons esprits.
Je vous souhaite un bon hiver!
Écrit par : Natacha S. | 27.10.2010
A quoi bon ête riche si ce n'est pas pour le montrer, dit le bourgeois. Cela cadre à merveille avec notre société du trompe-l'oeil et de l'apparence.
Écrit par : Feuilly | 28.10.2010
C'est comme un chalet, les murs et le toit de planches, la nature vivante, on partage comme un même destin (cercueil en bois), on a envie d'entrer chez vous, c'est quoi l'adresse ?
Écrit par : Dominique Hasselmann | 28.10.2010
Pourtant, de riches Américains construisent en bois, mais... Le bois est synonyme, en France, de fragilité et n'est pas compatible avec l'obsession française de la transmission du patrimoine. Dans le Midi, il est associé à la crainte des incendies, or, c'est un matériau bien plus ignifuge que le béton.
Voilà qui complète la palette des préconçus sur le bois et la caractéristique fugace et périssable qu'on lui associe.
Écrit par : ArD | 28.10.2010
Solko, c'est bien gentil ce que vous dites-là et vous êtes cordialement invité à venir vous chauffer aux poêles "comme du temps de François-Joseph"...
Natacha, je vous assure que c'est bien la Pologne et sa neige et oui, le bois craque sous l'effet des différences de température...
La richesse des bourgeois se distinguent de celles des aristocrates d'antan en ce qu'elle a forcément mauvais goût, cher Feuilly.
Et Dominique,c'est vrai que c'est de la même matière que le cercueil. Mais, puisqu'il faut y passer un jour, je préfère les cercueils aux tombeaux. Comme ça, je ne serai pas dépaysé....
ARD, le bois est aussi, ici, associé à la crainte des incendies...Beaucoup de bâtiments de fermes sont en bois et le paysan craint la foudre pour cette raison-là.
Il est associé désormais, hélas, à pacotille aussi alors que, vu le climat, il est, de lui-même, beaucoup plus isolant que toutes leurs matières dures.
N'empêche qu'il faut tout de même lui donner un coup de pouce avec une isolation supplémentaire, surtout à partir de - 20...
Merci à tous et toutes de votre lecture.
Écrit par : Bertrand | 28.10.2010
Les commentaires sont fermés.