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07.06.2010

Voleur de paysages

carte.JPGDimanche 6  juin.
De ma fenêtre ouverte sur les champs qu’interrompt brusquement la forêt, je regarde juin aux déclins de lumière.
Et je me demande : Est-ce que ce paysage ainsi découpé par une seule ouverture, la mienne, pourrait être celui  de  mon pays ?
En quoi est-il une carte de voyage ? Un autre regard ?
En quoi est-il un paysage que je peux m'approprier pour être véritablement chez moi, quand il n’y a plus, pour le percevoir sous sa juste latitude, ni neige au sol ni glace suspendue aux branches telles les stalactites des grottes profondes ?
Mentalement, je gomme ce que je ne verrais pas d’une fenêtre au pays d’où je viens.
Je le lis avec les yeux d'un étranger.
Je dissèque.
Un champ de seigle, aussi vert que bleu par les bleuets qui s’y balancent au vent.
Pas de désherbant encore. Ou alors moins meurtrier que sous les fenêtres de France. Et puis ce seigle est épars, long et tremblant. La céréale des terres maigres et du sable.
Pas d’engrais miracle qui nient l’effort de la plante et de sa survie.
J’efface.
Des bouleaux. Beaucoup de bouleaux, de grands bouleaux blancs et plus loin, derrière eux, la tête toujours sombre des pins. Forêt déjà septentrionale.
Je raye.
Sur la prairie une cigogne, ses grandes pattes maladroites qui claudiquent, sa démarche de clown, sa silhouette gauche, elle qui traversera bientôt l’Europe et  l’Afrique à la seule force de ses ailes. L’Albatros des continents. Point de marins ivres pour agacer son long bec.
Je supprime.
Me restent les nuages blancs, un bout de bleu, un ciel pas différent mais décalé. C’est la seule chose que les hommes partagent à peu près, que je me dis. Le ciel comme un mouchoir de poche. Chacun son bout. Une vision étriquée par la géographie.
Et le soleil qui s’en va d’où je suis venu.
Où mon amour d’aller s'estompe mais demeure.

Chapitre II, scène 2.
Bonheur d’être ailleurs quand on sait, in fine, n'avoir été nulle part chez soi.
Un port sans la mer, une ancre sans navire, une traversée sans cap.

Texte (légèrement modifié) mis en ligne il y a un an, jour pour jour

10:49 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Cette évocation si poétique de ton paysage m'a conduite vers ces lignes que j'ai trouvées si justes et qui collent à ce texte du 7 juin
"Car un paysage n'existe qu'en tant qu'oeuvre d'art....
Des perceptions qui pénètrent loin, très loin, dans une appropriation poétique du monde. Un paysage vécu sous cette appropriation ne peut être qu'un tout et ses éléments pris séparément n'existent pas, ne parlent pas, ne se voient pas, n'ont pas de sens. L'élément séparé est forcément chaotique."

La preuve qu'il y a des "peintres en mots" et te voilà dans leur musée, Bertrand.

Écrit par : Anne-Marie Emery | 09.06.2010

Merci Anne-Marie, la métaphore me fait bien plaisir
Amicalement

Écrit par : bertrand | 09.06.2010

Texte "très légèrement modifié", dis-tu, par rapport à (celui du lundi 8 juin 2009).

Je viens de faire l'expérience d'une lecture de l'autre à l'un, navigant d'un écran l'autre. C'est un moment de régal, voir ce que l'écriture travaille ; ce qu'elle affecte, qu'elle rompt, qu'elle retaille. Rehausse. Éclaire.
Comme le disait Solko dans un commentaire au texte de juin 2009, tu es "un grand voleur de paysages".

"Géographiques" est là qui en atteste.

Écrit par : Michèle | 10.06.2010

Les commentaires sont fermés.