17.08.2011
D'assourdissants silences
L’histoire est ainsi faite : des évènements, des désastres et de hauts faits connus de tous depuis les premiers bancs d’école, des subtilités plus profondes appréhendées des seuls universitaires, des tenants et des aboutissants occultes, délices des historiens et des chercheurs, puis enfin des fragments épars totalement ignorés, victimes d’un étrange silence et sur lesquels on tombe par hasard, au détour d’un vagabondage.
Tel fut bien ce qui m’advint à Sarnaki, charmante petite bourgade coulant des jours paisibles et verdoyants à 140 km à l’est de Varsovie.
Un monument surprenant
La campagne alentour évolue de forêts en vergers, de prairies indolentes en bosquets éparpillés, de chemins de traverse en ruisseaux herbeux. Les branches des fruitiers plient sous le poids des griottes, poires et autres pommes, tel qu’au jardin des Hespérides.
C’est un peu vous dire si, arrivant à Sarnaki, les dispositions d’esprit sont au calme, au charme et au bucolique, à des années-lumière des cataclysmes guerriers.
C’est aussi vous dire si le sourcil se fronce, incrédule, en apercevant au beau milieu de la petite place, un énorme engin de guerre, le nez planté dans la terre et élevant haut dans les airs son fuselage et ses ailerons.
Bien que n’étant pas un grand passionné de la chose militaire, je me suis approché et j’ai lu, interloqué : « Oni ocalili Londyn, They saved London »
Diantre !
Qui ça ?
Et quel est donc ce monstre échoué là, queue en l’air, comme s’il tentait désespérément de rejoindre les redoutables entrailles de la terre ?
Sarnaki. Pologne de l’est. Sauvé Londres.
Des pages essentielles avaient dû être escamotées de mon manuel d’histoire.
L’arme quasi absolue
En matière de conquête de l’espace, il est communément admis que les pionniers furent les Soviétiques et les Américains.
C’est aller un peu vite en besogne en occultant carrément le programme du IIIème Reich de mise au point de tout un arsenal de fusées, et ce, depuis 1937.
Lancée le 3 octobre 1942 depuis la base de Peenemünde, port d’Allemagne sur l’estuaire de la Peene, une fusée de plus de 14 tonnes, s’est élevée à une altitude de 83 kilomètres et à la vitesse de 1340 mètres/seconde, soit près de mach 4.
Pour la première fois, un objet conçu et fabriqué par des hommes avait donc pénétré dans l’espace, ce qui avait fait dire à Walter Dornberger, officier responsable jusqu’en 44 du projet V2 :
« Nous avons envahi l’espace et nous avons utilisé cet espace comme pont entre deux points situés à la surface de la terre. Nous avons prouvé que la propulsion par fusée était utilisable pour se déplacer dans l’espace …. » Et d’ajouter « Aussi longtemps que durera la guerre, notre première mission sera de perfectionner rapidement la fusée pour qu’elle devienne une arme. »
C’est donc logiquement au général en chef des SS, Heinrich Himmler, que sera confié le programme allemand de développement des armes nouvelles, jusqu’à ces terribles bombes volantes, ces missiles balistiques, les V1, puis les V2.
V comme Vergeltungswaffe, arme de représailles qui, selon Hitler, devait assurer au IIIème Reich une hégémonie de 1000 ans.
S comme silence, S comme Sarnaki
Dans tout ce que j’ai pu lire, entendre ou voir sur la question, nulle part ne figure le nom de Sarnaki, sinon à Sarnaki même.
Et pourtant…
C’est bien dans cette campagne environnante de Sarnaki qu’étaient effectués, pour une bonne part, les tirs d’essai du V2.
C’est bien ici que des résistants polonais de l’AK se sont évertués, au péril de leur vie et de celle des leurs, à collecter les débris des explosions. Ils les faisaient ensuite transporter à Lublin, puis à Varsovie ou d’autres résistants, ingénieurs et techniciens, les analysaient et envoyaient les conclusions de leurs recherches à Londres.
C’est bien grâce à ces hommes de l’ombre, à ces Polonais anonymes à qui aucun honneur n'a été rendu, que les Alliés furent bientôt convaincus que l’Allemagne nazie était sur le point de se doter d’une puissance de feu redoutable.
C’est bien ici qu’en mai 44 un missile tombe sans exploser et c’est bien sa réplique exacte, dans la position où il fut retrouvé, qui a été érigée sur la place en 1995 et sur lequel je suis tombé, effaré de réapprendre l'histoire, au hasard d’une promenade.
Moisson de matière grise
Après mai 1945, les Alliés époustouflés devant les réalisations technologiques des Allemands, se livrent à une véritable curée.
La plupart des missiles sont embarqués sur des navires, direction les USA en même temps que 122 ingénieurs capturés, dont Walter Dornberger lui-même, sont priés de traverser l’Atlantique.
Les soviétiques récupèrent des débris en Pologne, ici même à Sarnaki, et prient gentiment, eux aussi, les ingénieurs nazis de bien vouloir les accompagner jusqu’à Moscou.
Les Britanniques s’attachent également les services d’une vingtaine d’ingénieurs.
La France, quant à elle, obtient, au bout d’âpres négociations avec le commandement américain, de récupérer 250 ingénieurs. Parmi eux, Heinz Bringer, qui inventera le moteur Viking des Ariane.
... Et vous dire ce que je pense réellement de tout ça, nous prendrait un temps que je n'ai pas.
B.REDONNET
Article publié dans "Les échos de Pologne", numéro 89 de septembre 2008.
09:33 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
merci en tout cas de briser ces "assourdissants silences"
Écrit par : solko | 17.08.2011
Que très partiellement "briser", je le crains, cher Solko
Écrit par : Bertrand | 18.08.2011
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