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02.02.2009

Le moine et le parano

DSC_0641.JPGLe jeune moine souriait. Ce qui n’était pas forcément une bonne idée.
Pour deux raisons.
D’abord, parce qu’un ecclésiastique qui me sourit, moi, ça me met tout de suite sur mes gardes. D’instinct, je me demande ce qu’il cherche à me brader de son fonds de commerce métaphysique.
Du miel dans du vinaigre, que je me dis aussitôt.
Ensuite, parce que si le visage de celui-ci, du moins ce qu’on pouvait en deviner entre les broussailles de la barbe orthodoxe, était agréable et assez finement dessiné, le sourire quant à lui dénonçait une dentition clairsemée, en dents de scie, ce qui est un comble en la matière. L’émail des éléments rescapés souffrait en outre d’un jaunissement précoce, d’autant plus contrasté que la blancheur de la neige sur les paysages alentour était absolument éclatante.
Il fume en cachette, le fourbe, que j’ai pensé, malveillant comme tout. De l’herbe, si ça se trouve, même.

Tout ça, c’est bête comme chou. C’est réflexe culturel de l’athée de mauvaise foi. C’est pas glorieux, vraiment ! Ce moinillon était d’une exquise sympathie et il souriait de toutes ses quelques dents parce qu’il était content d’avoir des visiteurs. Tout simplement.
Ah, alors, s’il est content, c’est qu’il n’aime pas la solitude, le bougre ! Il en a plein le froc du cloître. Il doute ! Le monde lui manque !
Un Catogan épais sortait de la calotte et retombait lourdement sur son dos.
Barbe abondante comme des halliers, cheveux très longs, visage osseux, dents en mauvais état…Je jetais mentalement son habit aux orties et l’habillais d’un jean délavé et d’un large tee-shirt approximatif. Il ressemblait alors à un guitariste de groupe pop des années soixante-dix. Une Fender rouge et blanche au bout de ses longs bras maigres qui miaulerait des pentatoniques lui siérait assurément mieux que cet accoutrement, que je me disais.
Et lui il disait que la police était venue la semaine dernière pour les prévenir de ne pas trop s’éloigner de l’ermitage. Un homme bourré d’armes et d’explosifs avait traversé la frontière à la faveur du gel…Un Musulman.
Evidemment, que je le moquais intérieurement. Il est parano, en plus…
Mais qu’on se rassure, on pouvait se promener à notre aise, l’homme était maintenant sous les verrous.
Le jeune moine montrait le Bug retenu par les glaces, avec, sur l’autre berge la Biélorussie et l’œil de Minsk rivé au poteau rouge et blanc.
Le vent glacé, le vent des steppes, soulevait les pans de sa lourde soutane et il posait par moments la main sur sa calotte, de peur qu'elle ne s’envole. Vers l’ouest, du coup.

Je ne parlais pas bien sa langue et nous étions bientôt au chaud, dans la petite boutique que les ermites tiennent à l’entrée du monastère. Je voulais acheter du miel. J’aime le miel et celui des moines, depuis Rabelais, m’inspire toujours, ces moines fussent-ils ceux des liturgies gréco-latines. Du miel que je savais soigné, orthodoxe, du miel toutes fleurs de ce rucher que j’apercevais sous de vieux pommiers, pour l’heure torturés par la neige et le gel.
Le jeune moine, toujours souriant,  opina en branlant du chef quand je lui montrais l’objet de  toutes mes convoitises matérialistes. 15 złotys…Mais il n’avait pas de monnaie, nulle part, à me rendre sur les vingt que je lui tendais…Il avait beau fouiller partout, dans les tiroirs, sous les livres, sous les bibelots religieux, dans ses grandes poches, sous le bureau,  pas un sou.
J’allais faire le généreux et lui proposer de tout garder, histoire de lui montrer combien les mécréants peuvent être magnanimes.
Il me devança et m’offrit une icône affichée à 10 złotys… Mon élan du cœur se brisa tout net.
Toujours le dernier mot en matière de bonté, ces gens-là…Toujours…Le monopole du cœur, comme disait l’autre abruti à l’autre renard, que je grommelais en reprenant le chemin du retour, entre des lacs gelés et des bois silencieux.
Le jeune moine, lui, catogan au vent dans mon rétroviseur, faisait un signe amical de la main et….souriait toujours.

14:22 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Cucullus non facit monachum.
Celui-là, en tout cas, le voilà rhabillé pour l'hiver.
Et puis, pendant qu'on y est, tu sais comment on appelle de gros nuages noirs dans ton pays dau diâb? Ine armaïe de tchurés: una armée de curés!
J'espère que tu as peur maintenant, que tu envisages sérieusement une conversion!

Écrit par : denis montebello | 02.02.2009

Rediti tui beata sum !

Écrit par : michèle pambrun | 02.02.2009

Ainsi donc mon cher Bertrand tu fais ton miel de la compagnie des moines?
Méfie-toi cependant de leurs dicours et n'oublie pas que "Post mortem nihil est".
Ceci dit, tu entendais bien mal leur langue et il n'y a donc pas grand danger pour toi. De plus ce moinillon me semblait surtout intressé par le commerce, ayant bien vite compris qu'il n'était plus sous influence soviétique mais que le libre échange avait conquis son pays.

Cura ut valeas !

Écrit par : Feuilly | 02.02.2009

15 zlotys le pot de miel, payé 20 zlotys, monnaie rendue en nature 10 zlotys d'icône...vous êtes au bénéfice de 5 zlotys... chouraver 5 zlotys à un moinillon sur un pot de miel de 15 zlotys, alors là chapeau....
.... à moins que ce ne soit que ce que vaut vôtre âme de mécréant pour un curé prosélyte...5 zlotys..
...
....cela me rappelle les employés des péages autoroutiers du sud de l'Italie qui dans la chienlit des années 70, rendaient la monnaie aux automobilistes avec des caramels et des bonbons, faute de monnaie en centesimi...ça rendait les gosses heureux à chaque péage...

Jesus paranus
vade mecum
deus in bitus
satis ejaculo deo

(Crapo deo versus CIXVIII de Jérusalem, extracti.)

Saint et Tout Benoîtement Renault 16 extractus Jean Paul 2 - je retiens un.

Philip Saint Seelen d'Ars.

Écrit par : Philip Seelen | 02.02.2009

...et l'habit fait-il le moine...le moine fait-il autre chose...l'habit n'y fait rein à l'affaire, il est toujours moine...musulman sur les glaces...terrroristes ou pauvres Tchétchène allant retrouver sa famille déjà réfugiée à Paris...j'en connais...Amicalement. Philip

Écrit par : Philip Seelen | 03.02.2009

Salut à tous et toute

Content, après absence (mais absence d'où ? Pour être absent, faut d'abord avoir été présent ! Prétentieux que nous sommes et qui nous croyons présents partout )content, allais-je donc dire quand même de vous retrouver...
Ouais, on attire pas les mouches avec du vinaigre, dit le vieil adage, et ce jeune moinillon aux allures de Deep purple d'il y a trente ans, m'était finalement bien sympathique avec son miel. De là à aller butiner de la spiritualité gréco-latine, il y a un Bug gelé que je n'ai pas franchi...
D'ailleurs, si je venais à souffrir un jour d'une révélation divine, tout d'un coup, je ne me ferais pas orthodoxe parce que la messe dure trois heures, les gars ! Deux fois par jour...Plus le temps de faire grand chose d'autre...
Pour l'heure, je reste un mécréant honnête, dieu merci ! (*)

* Brassens : vers biffé de la première version manuscrite du Mécréant

Écrit par : B.redonnet | 04.02.2009

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