UA-53771746-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28.08.2008

Nrrrrrrrrrrrrrr

PA240015.JPGLa lumière devient bougrement paresseuse. La nuit, elle,  se fait de plus en plus gourmande.
Ce matin, lever à cinq heures. Les premières lueurs seulement. Plus de deux heures de retard sur le solstice.
Ce soir à vingt heures, nuit, crépuscule achevé.

Dans presque toutes les langues indo-européennes, la nuit s'écrit en commençant par un N.
Un copain linguiste s’amusait à m’expliquer, il y a quelques années, qu’avant le langage et la conceptualisation du monde, donc aussi avant l’apparition des divinités, les hordes humaines resserraient le soir plus étroitement la peau de bête autour des corps, écarquillaient les yeux, effrayées de cet enveloppement par les ténèbres et, traduisant leur angoisse, voire leur terreur, grognaient une onomatopée gutturale, profonde, du genre Nrrrrrrrrr, Nrrrrrrrrrrr….
A la réapparition de la lumière, montrant, éberluées, le réveil des cieux, ces mêmes hordes saluaient par un rictus beaucoup plus gai, beaucoup plus ouvert, genre Drrrrrrrrr, Drrrrrrrrrr…..
Essayez devant votre ordinateur. Il n’y a pas de honte à vouloir savoir. Vous verrez, c’est probant.
Dans les langues indo-européennes, donc, le jour commence effectivement presque toujours par un  D même si, chez nous, il a changé de place, le D, il s’est planqué au milieu d’« aujourd’hui.»


Ces explications m’ont plu en dépit de leur assise scientifique pour le moins originale. Ou plutôt grâce à…
C’est que mon copain linguiste était aussi un peu poète. Et les poètes aussi, ils découvrent des choses.

C’est donc la nuit qui s’avance maintenant.
Nrrrrrrrrrrrr...
Le souffle est plus frais, plus humide. Des taches bariolées apparaissent déjà au front des arbres, le long des routes et à la lisière des grandes forêts.
Les cigognes ont disparu. Seuls leurs gros nids témoignent d'un éphémère passage.
Bientôt le sol se crispera sous le gel, les rivières grelotteront, novembre saupoudrera la surface des grandes léthargies.
C’est donc la rentrée.
Et son éternelle ritournelle de clichés.

Des blogs amis, des blogs qui en pincent pour la littérature, des blogs que je ne nommerai pas, parce que quand des amis m’énervent je n‘aime pas que tout le monde en profite, affichent complets.
Des dizaines et des dizaines de livres à lire, et ça dit que c’est bien et ça dit qu’il faut lire ça, et ça dit que ça fait référence à des choses et que c'est clair...

Nrrrrrrrrrrrrr !!!!!

Franchement, où est la délicatesse de lire quand elle se donne des rendez-vous aussi convenus ?
Au mieux, c'est de la sensibilité de salons. Au pire, de tiroirs-caisses.
Moi, je suis un paranoïaque. A de rares exceptions près, plus on me conseille un livre, plus je m’en éloigne et plus je m’enfonce vers les valeurs sûres qui se soucient de la rentrée comme de Colin Tampon.
Normal. Les auteurs sont morts et ils ne sont plus réédités. Du moins pas forcément aux rentrées.

Tout ça m’effraie, à vrai dire.

Nrrrrrrrrr !!!!

M’enlève même l’envie de lire à cette saison commençante et déclinante.

Un  ami va me ramener le livre de Martine Sonnet.
Je ne l’ai pas encore lu. A 2500 Km, on a toujours 2500 heures, au moins, de retard.
Puis je vais peut-être relire les frères Karamazov. Là, ça fait plus de 2500 heures.
Pour la troisième fois en trente ans.
Dimitri, surtout, me fascine.
Les nouveautés, j’attendrai quelque temps encore. Que les morts-nés s’évacuent d’eux-mêmes, leurs poumons défectueux asphyxiés par les gaz de la machine marchande.
Quand il ne restera plus que des livres.

Pour l'heure, je m'en vais de ce pas admirer la campagne polonaise et le commencement du déclin des choses qui finissent.

Ma rentrée ne sera guère éclairée.

Nrrrrrrrrrrrrrrr !!!  Nrrrrrrrrrrrrrrrrrrr !!!!! Nrrrrrrrrrrrrrrr !!!

15:19 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

06.08.2008

Gerhard, jardinier

J’ai laissé en France un tas de petites affaires, de ces petites affaires qu’on met dans des tiroirs qu’on n’ouvre plus parce qu’on n’a plus envie d’ouvrir des tiroirs, parce qu’on n’est plus soi-même qu’un tiroir et que dans ces tiroirs aussi y’a des lettres de créanciers, des lettres malveillantes de banquiers irascibles, des rappels à l’ordre à cotiser, que sais-je encore ?
Et dans tout ce fourbi de l'insouciance, y’a d’autres affaires qui n’ont rien à y faire : des cahiers écrits, des pages gribouillées, des bouts de partitions inachevées, des photos, des disques, des cassettes audio…


En visite ici début juillet, mon fils m’a ramené une de ces cassettes audio. Une vieille cassette audio comme on n’en voit plus.
Avec une photo aussi, deux hommes se tenant par l’épaule et deux enfants devant eux, sur le perron d'une maison ensoleillée.
Deux documents auxquels je tenais pourtant et que j'avais abandonnés sur ma route. Deux documents par eux-mêmes et par le sentiment ému qui me lie à l’homme dont je les tenais.

Un soir à Vaison-La-Romaine au pied du Mont Ventoux, en 2003 je crois.
Il y avait là des livres, des gens et des chants. Un homme aux cheveux blancs qui crantaient, le visage toujours souriant, de ces visages ouverts qui vous donnent tout de suite envie d’ouvrir vos bras.
Nous nous sommes liés d’une éphémère camaraderie. Nous avons bu pas mal de verres de Côtes-du-rhône ensemble, nous avons déjeuné aussi. Nous nous sommes racontés. Lui plus longuement que moi. Sans fioritures ni nostalgie surfaite. Et pourtant…


Gerhard qu’il s’appelait et que j’espère qu’il s’appelle encore. Allemand de son état civil.
Par un dimanche gris d’hiver, dans l’est de la France, j’ai oublié précisément où, sur la frontière je crois, Gerhard en vadrouille avait voulu se restaurer dans une auberge isolée.
La porte était ouverte. Il était entré.

La tenancière était alors précipitamment venue à sa rencontre et lui avait dit, gentiment mais l'air un peu gêné quand même, que l’établissement était fermé.
Qu’elle en était bien sûr profondément désolée pour lui.
Gerhard avait fait une longue route et il lui en restait encore beaucoup à faire. Il avait faim. Il s’apprêtait à demander très poliment à être servi malgré tout, même d’un repas froid.

 

Car au fond de la salle un peu obscure, quatre personnes se restauraient pourtant en riant et en blaguant.
Avant même que Gerhard n’ait eu le temps de formuler sa supplique, un homme trapu et abondamment moustachu s’était levé de la table et était venu dire à la patronne des lieux, avec un fort accent du midi et tout sourire :
- Hé, bien sûr que c’est ouvert, puisque nous sommes là. Madame, mettez pour cet homme un couvert à notre table. Il va déjeuner avec nous.
Et prenant Gerhard par l’épaule comme un vieux camarade, l’homme l’entraîna jusqu’à sa table.
Il déjeuna copieusement avec les quatre personnages qui plaisantaient beaucoup et qui parlèrent avec lui des choses simples ou plus compliquées de la vie qui passe.
C'est ainsi que Gerhard en vint à confier qu'il n'avait pas de travail.
Le moustachu débonnaire lui demanda alors s’il aimait  s’occuper d’un jardin. Quoique surpris, Gerhard dit que oui, il savait, il aimait bien ça même.
Alors, sans plus d’ambages :
- T’as trouvé du travail, Gerhard. Je t’embauche pour entretenir les extérieurs de ma maison en région parisienne. D’accord ?

Ainsi fut fait. Et pour longtemps.
Quinze ans.
Gerhard devint le jardinier d’un certain Georges Brassens.

Et il m’a confié à moi :
- Georges n’avait pas besoin de jardinier. Dans son jardin, fallait toucher à rien, fallait laisser les herbes faire ce qu’elles voulaient, qu’elles vivent leur vie d’herbes. Il n'y avait rien à faire. Nous sommes devenus des amis. Chaque fois que je voulais prendre une binette ou un râteau, Georges tempêtait : - Qu’est-ce que tu vas encore me saccager ? Laisse ça tranquille ...


Véridique. Mon histoire comme la sienne. Corne d"aurochs m'a confirmé plus tard.


Et la cassette ? Un soir de fête, Brassens s'évertuant à chanter « le Fossoyeur » en allemand. Un mauvais enregistrement pris sur le vif, mais le seul de Brassens en allemand.
Et la photo ? Une vieille photo de Gerhard avec ses deux enfants et Brassens, pipe au bec et le bras posé sur son épaule.
A Crespières.

Aujourd'hui, tendre salut à vous deux, vieux compagnons !

15:33 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

04.08.2008

Humains, icy n’a point de mocquerie,

 P1090015.JPGBon, vous avez vu ? Juillet est fini.
J’étais pas en vacances.
Pour la bonne raison que j’ai décidé de passer le reste de ma vie en vacances. C’est pas si facile qu’on pourrait le croire de passer sa vie en vacances, de ne pas participer à la croissance.
Ça demande même plus d’efforts que d’y participer. Mais ce sont là des efforts agréables. Des oxymores de saltimbanques.
Surtout quand on n’est pas à la retraite, qu’on n’a pas encore l’âge et que même si on l’avait, l’âge, on serait quand même gros jean comme devant parce qu’on n’a pratiquement rien donné dans l’escarcelle de la solidarité sociale.
On n’y a pas pensé. On musardait. On chantoit des âneries. On regardait par la fenêtre. On a même cru, un moment, à des utopies qui disaient que le monde allait devenir humain. C’est malin !
Travailler plus pour gagner plus, qu’il disait, l’autre. On aurait pu lui rétorquer, quand même, qu’on perd sa vie à vouloir la gagner.
Mais l’époque a perdu l’odeur des bons mots incisifs. Alors, on l’a laissé dire.
On laisse tout faire et tout dire.

Tenez, comme ça :

Depuis le début de l’été,  je fais régulièrement le tour des blogs amis.
"Fermeture estivale", "Pause estivale", "Pause tout court", "Nous sommes momentanément absent", que je lis.
Humains, icy n’a point de mocquerie,  mais j’ai l’impression des fois de faire le tour des boucheries-charcuteries, boulangeries-pâtisseries ou autres papeteries.
Fermé pour congés annuels.
Si c’était pour cause d’enterrement, encore. On compatirait en silence.
Alors je me suis dit que j’étais un mauvais  bloggueur. Encore sur la marge.
Parce qu’un vrai bloggueur, ça a des congés.
Sans solde sans doute,  mais des congés quand même.

Ah, vivement les feuilles jaunies et qui dansent sous les premiers brouillards des équinoxes, vivement le vol plané des grands migrateurs, les odeurs humides des bolets, la lumière oblique des matins, que les blogs requinqués, plus forts de leur repos, la mine poupine, l’esprit plus vif que jamais, nous offrent les bonnes résolutions poétiques des rentrées.
Parce que la poésie, la réflexion, la critique, les coups d'gueule, l'écriture du monde, c’est à la rentrée que ça se passe.

Mais pour rentrer, faut être sorti.
Sais pas comment  j’vais m’en sortir, de cette rentrée.
J’aurai rien à dire. J’ai rien vu.

Humains, icy n’a point de mocquerie...

13:54 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET