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27.01.2013

…Et pour une escalope

litteratureC’était à Lorient.
Une signature de mon bouquin Brassens, poète érudit, dans une librairie.

En mai et il faisait vraiment chaud. Patrick - mille fois hélas disparu le 26 octobre dernier - suait sous son indéfectible et noir chapeau et nous faisions de régulières escapades en face, à la terrasse d’un grand bistrot, pour nous y mouiller généreusement les amygdales de bières fraîches, en disant du mal du capitalisme et des gens de la finance.

J’étais derrière ma table et je me languissais. Des gens venaient, discutaient, trottinaient, palpaient le livre.

J’allais donc plier les gaules quand une petite femme aux allures pressées, qui, elle, allait passer son chemin sans me jeter le moindre regard et filer vers un autre destin, entraînant par la main une charmante fillette, s’arrêta tout net devant ma table en poussant un petit cri de franche surprise :

- Ah, Brassens !

- Eh oui…

Elle prit le livre, parcourut la quatrième, revint à la couverture, fit la moue et déclara :

- J’n’aime pas Brassens….

J’étais déçu. Cette petite bonne femme alerte m’était en effet soudainement sympathique.

-
Ça arrive, dis-je, comme un vrai corniaud
- Enfin, c’est pas que j’n’aime pas. C’est que je n'comprends pas tout. Voilà.

-
Ça arrive aussi, m’entendis-je récidiver comme un triple idiot, vraiment fatigué par la chaleur et le houblon.
- Mais vous savez quoi ?

- Ben non…

- Je vais vous en  acheter deux…

Je ne saisissais pas bien. Retrouvant un semblant d’esprit, je m’interposai tout sourire :

- Il ne faut pas acheter des livres qu’on…. Qu’on n’aime pas.

Il faisait vraiment trop chaud ou alors nous avions trop forcé sur les demis. J‘avais failli dire qu’on ne comprend pas.

- Oui, mais mon mari est un vrai mufle, un phallo qui ne fait rien à la maison, pas un plat, pas un coup de balai, n’étend jamais le linge, ne fait strictement rien des choses ménagères…Rien.

J’étais évidemment sidéré de tant de confidences spontanées, intimes et intempestives. J'’attendais la chute avec effroi.

La petite femme s’excitait.

Elle poursuivit :

- Il ne fait les courses que chez le boucher. C’est tout. Et vous savez pourquoi ?

- Ma foi, non, avouai-je, dépité.

Elle sembla s’agacer de tant d’ignorance de la part d’un écrivain.

- Eh ben, mon mari, il adore Brassens. Et le boucher aussi, et quand ils sont tous les deux, ils en profitent, ils  passent des temps infinis à parler de leur cher Brassens.

- Ah, c’est curieux, aggravai-je mon cas, des perles de sueur au front.

- C’est comme ça. Alors, vous allez m’en signer deux et je vais leur offrir.
Ça, ça va leur faire plaisir…
Je m’appliquai à deux belles dédicaces, remerciant in petto ce boucher-poète et ce bonhomme de mari phallocrate.

Brave dame ! Je la revois encore, tout excitée et tellement authentique !
Au dîner, je conseillai à Patrick de varier un peu et d’organiser parfois des signatures dans les boucheries charcuteries.
Il se trouve qu’il s’y trouve aussi des gens férus de poésie à notre goût.
 
Illustration : Patrick et Annie, à Vaisons-la-Romaine.

08:00 Publié dans Brassens | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

de trois choses l'une...
ou bien,elle a quelquechose à expier, trop bonne poire, cette dame
ou bien elle songe que ce présent l'encouragera à fréquenter le cours des halles où, sait-on jamais, il pourrait deviser autour d'un abonnement à Rustica
ou bien, le temps infini qu'il passe chez le boucher la débarasse de sa présence et lui évite, momentanément de contempler cet ectoplasme

bise de moins en moins hivernales par chez nous Anne-Marie

Écrit par : EMERY Anne-Marie | 28.01.2013

"ou bien, le temps infini qu'il passe chez le boucher la débarrasse de sa présence"... Je n'y avais pas pensé et ça me fait bien marrer. C'est fort probable...
Bien à toi

Écrit par : Bertrand | 28.01.2013

Les commentaires sont fermés.