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04.03.2013

Pré-printemps

P2170006.JPGVoilà que le grand et long  hiver polonais fait mine de vouloir fausser compagnie aux paysages. La neige qui blanchit le monde depuis plus de trois mois, plus du quart de l’année, commence à marquer les premiers signes d’épuisement, desserre son étreinte et verse des larmes d’adieu aux gouttières des maisons. Dans les champs, sur les chemins, elle forme encore d’épaisses plaques qui par endroits laissent voir des morceaux de terre gelée ou d’herbe jaunie.
Les routes, elles, accusent le coup. Le gel et cette longue période d’ensevelissement ont creusé de profondes ornières car chaque printemps ramène ici son lot de constatations désastreuses. Ce qui avait été replâtré tant bien que mal l’an passé, cède à nouveau ; c’est l’éternel recommencement, le mythe de Sisyphe de l’asphalte.
Et je me demande souvent ce que peut bien en penser la communauté, celle qui vote des budgets à tour de bras et selon les besoins de vingt-sept pays réunis sous la coupole du bien commun. Prend-elle en considération que les latitudes les plus exposées sont des gouffres financiers ? Qu’un budget départemental grec ou français pour l’entretien des routes, c’est du pipi de chat en comparaison de ce qui doit sans cesse être ici réparé ? Que les infrastructures soumises à rude épreuve engloutissent chaque année en Europe centrale les salles des fêtes, les terrains de sport ou de jeux, les crèches, qu’on construit ailleurs, en tendant la main, quand même, pour que le contribuable européen mette la main au porte-monnaie ?
Une communauté qui a la prétention de s’étaler des rivages de l’île de Ré aux portes des Russies, devrait quand même, si elle en était vraiment une autrement que pour la libre circulation de ses marchandises et de ses capitaux, savoir qu’un Finlandais ou un Polonais n’a pas exactement les mêmes chances face à son climat qu’un Italien, un Portugais ou un Grec. Mais, enfin, moi, ce que j’en dis, hein…
Ce que j’en sais, c’est qu’après avoir longtemps roulé à quarante à l’heure pour cause de glace et de neige et pour m’être promené hier dans la campagne qui dégèle, j’en suis toujours réduit à la même vitesse pour éviter dorénavant les nids de poule et les crevasses. De peur qu’une roue ne se casse et ma figure du même coup.
Je rigole ? L’autre jour, entre Parczew et Lubartów, un automobiliste, après avoir roulé pendant une vingtaine de kilomètres et soumis son véhicule à des soubresauts de plus en plus violents et de plus en plus rapprochés, a vu devant lui s’enfuir une de ses roues… Sympa, comme émotion.

Sur un tout autre sujet, mais toujours lié à ce que les Polonais appellent le przedwiośnie, le pré-printemps - qui peut encore vous offrir des nuits à moins dix degrés quand même - je connais un monsieur qui, à contre-courant des espoirs printaniers de tout le monde, voit avec tristesse les cieux se bleuir et l’intempérie blanche s’éloigner.
C’est un homme de peu, de bien peu, un balayeur qui n’aurait jamais l’idée de se faire appeler technicien de surface par les cochons du langage cache-misère, parce qu’il est gai et qu’il n’a pas honte de son humble condition. Tout l’hiver durant, il déblaie, à la pelle, la neige sur le parking d’un petit supermarché. Il balaie, il entasse, il s’applique. Je le vois tous les matins, je le salue, car c’est là que je fais mes courses au quotidien.  Il me gratifie d’un large sourire et d’un signe amical de la main, fier de lui, fier d’être utile, fier d’être reconnu comme participant à quelque chose.
Il y est depuis fin novembre. Depuis plus de trois mois, une petite pièce vient donc mettre un peu de beurre dans ses épinards et il a l’air tout content, le brave homme ! L’été, parfois, je le vois sur ce même parking, sous la canicule et le ciel désespérément bleu, les mains dans les poches, tout triste, le chapeau sur ses yeux rabattu… Il semble attendre là, immobile, le retour des rigueurs hivernales. Je le salue, il me répond, mais de façon beaucoup moins enjouée. Comme quelqu’un qui aurait perdu goût aux choses.
Hier, je lui ai montré le coin de ciel dégagé et la neige qui fondait au caniveau. Je lui  ai fait signe d’une moue significative que ce n’était pas bon du tout, ça… Il a rigolé. Parce qu’il y avait aussi des nuages et un vent froid qui venait du nord, alors il m’a dit avec une grande gaité ce que les autres disent avec lassitude  :
- Moze będzie padać ! Il en tombera peut-être d’autre !
Brave homme ! Je serai heureux de le retrouver avec sa grande pelle, au tout début de l’hiver prochain, quand les cieux recommenceront à saupoudrer de blanc son chapeau et lui d’un peu de reconnaissance sociale, fût-elle illusoire.

14:20 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

On imagine mal les gouffres que doivent aussi constituer les charges de chauffage...

Écrit par : Michèle | 05.03.2013

Exact. Je n'en ai pas parlé car il s'agit de budgets individuels et la sacro-sainte Europe, les budgets individuels - exception faite pour celui de ses députés et technocrates - elle s'en moque comme de Colin Tampon.
Le chauffage ici, c'est sept mois. A peu près. Personne - ou si peu - n'a les moyens de se chauffer au fuel, hors de prix. Alors, c'est le bois ou le charbon.Je n'aime pas le charbon,alors c'est le bois.
D'ailleurs on est en mars et va falloir que j'y pense pour l'année prochaine. Couper, fendre... Mais d'abord acheter...:-)

Écrit par : Bertrand | 05.03.2013

J'aime l'histoire de cet homme avec sa pelle.
Espérons qu'il neige encore un peu (chez vous, par là-bas ! Ici, on a un vent à décorner les couillons, ça nous suffit !)

Otto Naumme

Écrit par : Otto Naumme | 05.03.2013

Il est canaille, ce vent d'autan ! Rend-il toujours un peu fou ?
En Poitou, on disait un vent à décorner les bœufs ou alors.... les cocus ! C'est malin (!)

Écrit par : Bertrand | 05.03.2013

on pourrait faire un lexique du langage cache-misère, comme tu dis
çà commencerait par : hotesse de caisse

Écrit par : Emery Anne-marie | 05.03.2013

ça, c'est trop fort, Anne-Marie, car figure-toi que j'y ai pensé... Comme quoi.

Écrit par : Bertrand | 06.03.2013

Ah non, en ce moment, ce n'est pas le vent d'autan, plutôt une "variante" venant de l'est. Mais ça rend bien fou aussi (et ça fait des dégâts, avec les rafales à presque 100 km/h...).
Quant au "décornage", il s'agit aussi d'une "variante", bien sûr. En partant du "bête à manger du foin" jusqu'au "couillon", quoi...

Otto Naumme

Écrit par : Otto Naumme | 06.03.2013

Les commentaires sont fermés.