28.10.2017
On cause de la pomme et de son pommier
Pan Feuilly vient de croquer mon livre et de s’en faire l’écho ici, sur son blog Marche romane.
Qu’il en soit vivement remercié
Depuis dix ans maintenant, lui et moi nous lisons.
Nous nous lisons, devrais-je écrire pour plus de clarté grammaticale, mais ce n’est pas beau à l’oreille silencieuse d’un lecteur… En tout cas pas à la mienne.
Bref, nous sommes des amis.
D‘aucuns penseront alors : oui, d‘accord, mais c’est là de l’entre-soi, du copinage, de la critique de complaisance.
On peut dire comme ça. Mais on devrait surtout dire que, petits auteurs que nous sommes, nous n’avons point l’heur de fricoter avec les grands et les moyens médias, que nous ne connaissons ni Onfray le philosophe vedette, ni Moix le méchant névrosé, ni le nostalgique Zemmour, ni le sympathique Naulleau, ni tout autre personnage chroniqueur portant loin la parole de l’écrit, et que nous sommes dès lors bien contraints de nous auto-publiciter.
Nous ne prétendons cependant pas forcément au talent. Nous disons simplement - et ce n’est pas rien - que l’occasion ne nous est guère donnée de prendre à témoin le grand public pour qu’il juge lui-même si nous sommes de lamentables grimauds ou de vrais écrivains.
Et nous sommes des milliers dans ce cas.
En nous fermant le bec, on gagne alors un temps fou pour promouvoir « les élus du sérail », qu’ils nous arrivent parfois de lire et dont nous pouvons dire alors, pour une bonne part d’entre eux, que nous leur sommes supérieurs à bien des égards…
Ceci étant dit, avec une pointe de dépit quand même mais aussi un soupçon de jubilation, je remercie ici publiquement Loïc Jouaud, qui préside aux destinées des Editions Cédalion.
Je le remercie pour le travail de diffusion qu’il fournit, sillonnant sans relâche les routes pour déposer en librairie, démarcher, faire connaître.
Il me disait ce matin encore : vous êtes dans la plus grande librairie de Tours "La boite à livres" et à Amboise "C'est la faute à Voltaire".
Je sais qu’il y a des tourangeaux parmi les lecteurs de L’Exil des mots. Cette nouvelle leur fera plaisir,du moins l’espèré-je.
Là encore les fâcheux et les fâcheuses, avec leur manie de donner un avis sur tout ce qu’ils ne connaissent pas vraiment, vont dire : Ben ! quoi de plus normal pour un éditeur que de distribuer son livre ?
Juste un mot de réponse : si les petits éditeurs comme Loïc Jouaud avaient les moyens de se payer un distributeur en abandonnant au passage 33 pour cent de leur chiffre, sans doute le feraient-ils.
Dont acte.
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23.10.2017
Des paysages et des hommes
L’automne flamboie.
Le jaune des bouleaux, le vert des pins et le rouge des chênes se disputent la vedette. Une huile au couteau. Une palette épaisse et si rude qu’il faut prendre du recul, sortir un peu de soi pour en goûter tout le langage. Pas comme cette aquarelle subtile de nos rivages où les vapeurs océanes diluent les couleurs et liquéfient la lumière qui ruisselle dans l’espace vide d’entre les choses, mais aussi sur ces choses elles-mêmes et sur nous-mêmes. Les paysages de bords de mer fusionnent le spectateur et le spectacle dans un même flux réfléchissant le monde.
Les paysages continentaux, eux, sont plus extérieurs, modelés par la terre et par une intelligence rustique entre les arbres. Le bouleau est un pionnier. Il arrive le premier au gré d’une saute septentrionale du vent et il dit que c’est là qu’il faut planter une forêt, que le sol est riche et que le sable est assez stable. Le Polonais est un forestier. Il sait lire entre les troncs. Il souscrit aux indications du bouleau et plante là les pins qui feront des maisons, des granges, des fermes et des clôtures.
Les forêts de l’est sont les gisements des bâtisseurs.
Le chêne rouge cependant a observé tout ce manège. C’est un erratique, un apatride, on ne veut pas trop de lui ici, trop lent, beaucoup trop flâneur dans sa croissance. Alors il s’incruste, passager clandestin des essaimages, magistral parasite des sylvicultures, arbre de proie.
Tout ce muet panachage de l’éclaireur du nord, du pin de construction et du bel intrus sans papiers, accompagne de lumière la route où cahote un cheval.
Il est attelé à une sorte de carriole étroite tout en longueur, avec deux essieux, celui de l’avant savamment articulé. Deux sacs de blé dur y bringuebalent. Ils s’y promènent exactement. Derrière la carriole, piaffe le Renault flambant tout neuf d’une société ouverte au soleil couchant, quarante tonnes en route vers la construction des paysages nouveaux, un demandeur d’autoroutes, un qui n’aura que faire de la lecture des bouleaux.
Car les époques ici se côtoient sans s’agresser, ne se poussent pas du coude, se superposent comme les sédiments, se font des signes, sans moquerie, sans marque de supériorité et sans dédain. On sait bien que tout ça, ça va, d’accord, mais que ça peut venir aussi et on a l’air de penser qu’on ne sait pas trop bien qui, du cheval remorquant ses deux sacs de blé ou du Renault tractant ses quarante tonnes, est finalement à contretemps.
Les champs sont immobiles. On dirait que personne ne vient les éventrer et les bousculer dans leur torpeur. Ils sont comme des trapèzes, et c’est pas pratique, un trapèze. Ils sont aussi comme des triangles, ça a des angles aigus difficiles à entretenir, les triangles. A des quadrilatères difformes et sans angles droits, qu’ils ressemblent parfois. Rarement, très rarement, ils sont ces rectangles pragmatiques des grandes cultures de l’ouest et qui, vus d’avion, dessinent si bien la terre en un jardin impeccablement entretenu.
Un jardin à la française.
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19.10.2017
Prendre le monde au mot
Les mots voyageurs, tels les feuilles d'automne, sont dispersés tout autour de nous, à notre disposition de curieux. C’est à nous de fureter, de soulever les apparences et de les découvrir. Comme des chercheurs de bolets à l’été finissant et sur les sentiers peu fréquentés des sous-bois, tant et tellement inutiles qu’ils en viendraient à disparaître, repris par la broussaille. Pour progresser, il faut y écarter l’épine noire et le genêt bourru.
C’est le premier plaisir du promeneur, trouver son champignon, dans un coin secret déserté des hommes, le chapeau gras et luisant sur un talus moussu et sous un rai humide de fine lumière, comme s’il ne s’était appliqué à pousser là que pour ce chercheur, jusqu’à lui venu.
Le second plaisir est un plaisir de bouche, flatter le palais du fruit de la découverte, le secret de la cuisson étant à la discrétion du seul cueilleur. Un fait du prince.
Le dernier plaisir est de savoir s'arrêter devant les plus beaux, ceux que nous savons être mortels.
Il en va de même pour les mots.
Que seraient-ils si nous ne nous en faisions pas les découvreurs et ne les cuisinions pas selon notre appétit ? Des concepts purs, des produits, des récitations et des leçons, voilà ce qu'ils seraient ! Les mots ne sont plaisirs que s’ils ouvrent sur les paradis à jamais perdus de nos printemps en culottes courtes. Les mots doivent babiller, sentir le lait et le commencement de la grande aventure.
Ils doivent être dits avec la voix lactée.
Ecoutez bien quelqu’un qui parle avec des mots fermés, avec des leçons. Il vous dira des choses intelligentes, raisonnables, indéniables, vérifiables. Mais il ne vous dira jamais de belles choses, qui souffleraient sur l'âme.
Seuls les conteurs et les affabulateurs savent ouvrir les mots sur des horizons perdus. Un jour, ou une nuit, ils diront le mot « mort ». C’est toujours leur dernier mot. Le seul mot fermé. Le seul qui n’admette pas la métaphore.
Mais tant qu’il y a promenade sous les étoiles, nous filons la métaphore.
Une vie c’est d’abord pour moi cette figure de style souveraine dont dépendent toutes les autres et les mots que nous croisons de nos pas, les mots qui désignent nos espaces, sont d’abord des figures de style.
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16.10.2017
C'est un village et son église
Saint Sauveur.
Tout le monde sait qui est le Saint Sauveur. Un peu partout sur le sol de France, des hameaux, des villages, des bourgades, des cités sont désignés par l’insigne antonomase, tant on imagine mal un lieu-dit s'adjugeant le nom de Jésus Christ. Il y aurait là comme une forte présomption pour le blasphème.
Chacun de ces Saint Sauveur a cependant dû, pour être sauvé de la confusion, prendre un deuxième nom, comme notre état civil et ses deux, voire trois prénoms, afin que nous ne fussions pas associés, surtout dans des cas extrêmes, avec un homographe.
Saint Sauveur d’Aunis, Luz Saint Sauveur, Saint Sauveur d’Aix en Provence, Saint Sauveur en Puisaye, patrie de Colette, j’en passe et de tout aussi éloquents, la liste est longue. Et il en est un, particulier, qui eût pu se nommer Saint Sauveur en Deux-Sèvres, tout simplement, puisqu'il est construit dans le Bressuirais. Mais il s’y serait déroulée une énigme tellement extravagante que les deux, l'énigme et le village, en sont joliment passés à la postérité toponymique.
Sept cent trente-deux fait partie de ces dates qui se gravent dans nos cerveaux d’écolier et ne s'en effacent plus, on ne saurait trop dire pourquoi.
C’est donc cette année-là que Charles Martel arrêta les Arabes à Poitiers. Plus tard, on étudie plus sérieusement alors on dit les Sarrasins. On situe aussi plus précisément le théâtre des opérations, entre Poitiers et Tours, à Moussais exactement, d’ailleurs nommé depuis lors Moussais-La-Bataille.
Toujours est-il que les armées musulmanes ayant été défaites et leur commandant en chef Abd el Rahman ayant succombé au combat, un important groupe de Sarrasins et leurs familles, fuyards désemparés, s’étaient réfugiés en l’église de ce Saint Sauveur en Deux-Sèvres, à quelque quatre vingts kilomètres à l’ouest du champ de la fatale bataille.
Respectueux du Saint Lieu et des célestes lois qui le protègent de toute violence, les habitants les assiégèrent mais ne les attaquèrent pas. Ils promettaient aussi la vie sauve aux Berbères s’ils leur rendaient incessamment le lieu de leur culte.
Les vaillants guerriers Arabes, voulant faire savoir leur ténacité et leur ferme intention de résister jusqu’au dernier, transmirent un beau soir aux assaillants qu’ils ne se rendraient que s’il y avait du givre aux arbres le lendemain matin.
Or, nous étions au mois de mai. Les habitants reçurent donc le message comme une facétie, du style « quand les poules auront des dents », et donc comme une indéfectible volonté de ne pas abdiquer.
Ils se préparèrent ainsi à tenir un très long siège devant leur église.
Il advint alors ce miracle que le jour se leva sur une campagne toute blanche et que le givre brilla aux branches des arbres, comme autant de petits cristaux ou de poussières d’étoiles miroitant sous les premiers rayons de l’aube.
Hommes de parole et d’honneur, les Sarrasins médusés se rendirent, les assiégeants persuadés qu’il s’agissait là d’une intervention de la Divine Providence et les assiégés accusant sans doute une félonie du hasard.
Hommes de parole et d’honneur itou, les habitants laissèrent la vie sauve aux Sarrasins qui s’éparpillèrent alors avec leur famille sur les territoires alentour, où ils élirent pour la plupart domicile et où, qu’on me pardonne cet épilogue en conte de fée, s’établit aussi leur descendance.
Si vous traversez un jour ce bout de la Gâtine, vous ne pourrez qu’arrêter un moment votre regard sur cette périphrase, Saint-Sauveur-de-givre-en-mai, qu’on dirait avoir été écrite par le langage tout en allégories des Indiens de l’Amérique du nord.
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07.10.2017
Articles
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05.10.2017
Un plus un, plus un autre
Les feuilles à l'agonie d’un érable solitaire, jauni, se balançaient dans l’air, tout autour.
Des feuilles lourdes, imprégnées de brouillard.
C’est toujours comme ça, l’automne. Avec un vent froid, pas encore coupant, juste menaçant et qui pénètre les vêtements. Qui fait frissonner l'intérieur, par anticipation.
Du silence aussi. Seulement ponctué, de loin en loin, par le croassement d'un grand corbeau qu'on ne voit pas, caché derrière des brumes.
Oui, c’est toujours comme ça dans les cimetières de l’automne. Du silence. Pas encore définitif, juste prémonitoire, et qui pénètre l’âme.
Le ciel était gris. Le ciel est toujours gris dans les brouillards d'octobre au-dessus des cimetières.
Devant la tombe recouverte de chrysanthèmes aux vives couleurs, une comme le sang, une comme le soleil, une comme la neige, trois hommes baissaient la tête.
C’est toujours comme ça dans les cimetières de l’automne sous un ciel gris devant une tombe, quand le vent est froid et qu’il y a du silence : des hommes baissent la tête. Pas complètement encore. Juste une inclinaison.
Le croyant priait, tout à sa douleur mêlée d’espoir. Douleur contradictoire, quand la conviction de l'esprit est vaincue par l'affliction du coeur. Il invoquait son Dieu et demandait pardon.
C’est toujours comme ça, quand on a un Dieu : on demande pardon.
Le croyant approximatif, le croyant social, priait aussi, plus ostensiblement que l’autre, et il joignait les gestes à ses murmures, se signait et se re-signait encore avec frénésie. Parfois, sa pensée trop libre s’évadait de son maintien, il songeait qu’il faisait froid, bientôt l'hiver, et que le monde était bien cruel d'avoir mis là son tendre ami… Puis il revenait à ce qu’il savait le mieux faire devant une tombe : il murmurait.
C’est toujours comme ça quand on est approximatif : on murmure. On vit tout, même la mort, en équilibre entre le silence et la parole.
L’athée, lui, ne savait quoi faire de ses mains, de ses pieds, de sa tête, de ce froid, de ce gris, de ce silence, de ces murmures. Son front était baissé, mais avec le secours de la volonté. Il fouillait dans ses poches, trouvait ça inconvenant, tapait du pied, se grondait in petto de n'être point décent, regardait ailleurs des oiseaux qui furetaient sur les allées désertes du cimetière, et revenait sur le nom de son ami gravé dans la pierre, entre deux branches de buis transies.
Il déplorait la fuite du temps. Fuite qui tue. Et cet horrible, cet inconcevable, ce terrifiant plus jamais tournoyait dans son cœur comme tournoyaient dans l’air les feuilles jaunies de l’érable mouillé.
Des larmes ruisselaient le long de ses joues délabrées qui tremblaient.
C’est toujours comme ça quand on est athée : on n’a rien à répondre à l’absurdité des choses.
Alors il arrive que des larmes ruissellent, suivent les rides des joues, mouillent le menton et tombent dans un inconsolable vide.
Celui du mort comme le sien propre.
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03.10.2017
René Guy Cadou
Il y a des mots qui ne sont faits que pour être écoutés, parce qu'ils disent autre chose qu'eux-mêmes.
De bien plus lointain. Qui les efface.
Comme les étoiles effacent le ciel.
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