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02.12.2015

A califourchon sur deux siècles - 2 -

littérature, histoire, écritureLa part du comment on a été construit par rapport au comment on s’est construit, constitue un propos suranné, aussi vieux que le sont les œufs de Pâques, et, conséquemment, une bien vaine écriture.
Certes,  mais l’important n’est pas tant de dire des choses nouvelles que d’en dire d’anciennes sous un autre angle de vue et, surtout, pour de nouvelles et ponctuelles raisons.

C’est donc le désordre guerrier du monde, dont nul ne sait l’ampleur de la catastrophe qu’il nous réserve, à nous ou à nos enfants, et l’approche sensible et intellectuelle que j‘ai de ce désordre explosif, qui m’invite à m’interroger sur certaines de mes dispositions sensibles et cérébrales, si tant est qu’elles soient dissociables. Je n’en sais foutre rien et je m’en bats l’œil.
Toujours est-il que je pense et ressens aujourd’hui des choses qui n’avaient jamais encore fleuri dans mon jardin et force m’est alors de constater que ce que j’entends d’à-peu-près sain encore vient de sensibilités qui m’ont toujours été contraires. Peu importe le pourquoi et peu importe le degré de leur sincérité, dont je doute beaucoup. Pour l’heure, là n’est pas mon propos.
Alors de deux choses l’une : soit j’ai vécu la tête à l’envers, soit je ne comprends rien aux stratégies qui s’opèrent autour de la dégénérescence actuelle.
En tout cas il y a quelque chose qui ne colle pas et, à l’évidence, le XXIe siècle débutant ne peut en aucun cas se penser avec les armes intellectuelles du XXe. Beaucoup de rôles se sont inversés et ce ne sont pas les idées réactionnaires qui nous ont conduits au chaos - même si elles ne nous ont pas amené un monde plus juste et plus fraternel - , mais ce sont bien les idées progressistes, les idéologies du plus juste, les athéismes militants, les laïcités hurlées comme de derrière un étal de poissonnier, qui ont construit cet univers glauque, peu sûr, violent, inique, sans aucune culture ni poésie qui vaillent, et qui, j’en ai bien peur, nous mène tout droit à la guerre et à la mort.
J’y reviendrai dans le détail, après un rapide coup d’œil sur l’histoire de mes partis pris.

Le déterminisme n’existe pas, les déterminants si. Ce qui signifie que les mêmes causes ne produisent pas forcément les mêmes effets selon les individus. Chacun, avec les moyens du bord et les circonstances particulières de sa vie, fait de son bagage telle chose ou telle autre, parfois contraires avec un même bagage. De plus, dans un bagage, il y a mille et mille effets, insignifiants, à peine perceptibles. Il n’y a donc pas de science exacte pour expliquer le pourquoi d’un individu, sinon pour les psys, les juges, les travailleurs sociaux, les flics, les politiques de basse besogne et la piétaille bêlante qui les suit aux talons.
Chez moi, fort des courroux maternels à l’encontre du corps social et comprenant que j’étais né pauvre et que sans doute je le resterai, tout de suite, la défense de la veuve et de l’orphelin m’est devenue constitutive. Je me souviens très bien de la gueule des copains de collège quand je leur ai annoncé que je me sentais communiste. Ce qui voulait simplement dire contre les riches et, les riches, chez nous, c’étaient avant tout des commerçants. Or, pour la plupart, les parents de mes petits copains de collège avaient pignon sur rue !
Au lycée tout ça s’est confirmé mais, vers la terminale, en rejetant fermement les communistes avec la prise de conscience des ravages de l’idéologie et des politiques staliniennes. Je me suis alors affiché gauchiste, ai renversé les chaises et les tables au printemps 68 et participé activement aux Comités d’Action Lycéens. Je me suis même pendant quelques mois fourvoyé chez les trotskistes de la ligue communiste révolutionnaire. Mais déjà en rigolant, pas sérieusement du tout, en voici un élément de preuve : ces corniauds m’ayant expédié à Paris pour assister à une grand’ messe à la Mutualité, voilà que je rencontre en chemin une douce égérie, que je reste avec elle les deux nuits que j’aurais dû passer à prier pour la Révolution permanente et que je reviens en disant que l’auto-stop n’avait pas marché...
Mentant, donc, comme on ment à une autorité à qui l’on a désobéi. A vingt ans, la métaphysique d’une touffe de poils est bien plus convaincante et réjouissante que celle du Grand Soir, et il devrait, d’ailleurs, en être ainsi à tout âge…
Ce fut le déclic !
Tout cela m’est apparu comme une vaste mascarade. D’ailleurs, le monde idéal auquel rêvaient ces militants des différents groupuscules férus de centralisme démocratique, me semblait aussi moche, pire peut-être même, que celui dans lequel je pataugeais. On n’y parlait en effet que d’ouvriers, que d’usines, que du travail béni comme la vertu des vertus et, moi, j’abhorrais foncièrement tout ça. Je voulais être un joyeux fainéant, je voulais vivre la vie à fond, mais pas sur l’échelle mobile des salaires.
En plus, ayant été amené quelque temps à travailler en usine, je vis avec effroi que les gars là-dedans étaient heureux comme des papes, cons comme des paniers, jouaient avec passion au tiercé, votaient Pompidou et ne demandaient aucunement à ce qu’on vînt les tirer de leur « galère » !
Le rejet de toute cette extrême gauche politicarde fut cependant assez violent. Les gars avaient de la graine de Trotski dans le cerveau et ceux qui sortaient de chez eux en claquant la porte de gauche étaient forcément considérés comme des anars, honnis de leur mentor historique, le vieux et furieux Léon, qui planta son couteau déjà maculé de sang dans le dos de Nestor Makhno et de ses camarades.
Le reste du parcours, ce furent les turbulents et incisifs situationnistes, les anarchistes gais et brouillons, les amis, les vrais, les grands, les fraternels, mais déjà nous ne nous occupions plus guère des débats publics et ne fomentions plus de projets oiseux.
D’ailleurs, le sacro-saint prolétariat était en train de disparaître des paysages, au profit des chemises blanches des financiers et des fabricants d’images de l’existence. Lentement, tout doucement, d’imperceptible façon encore, le monde se dirigeait vers le XXIe siècle et c’est ce que même le rusé Debord n’avait su entrevoir.
Il avait bien défini l’image et la représentation dévorant le réel au point de se substituer bientôt totalement à lui, mais il n’avait pas vu que « la classe ouvrière » n’aurait pas sa place dans le monde du réel inversé et de la dictature de l'apparence, mouvements  qu’il avait pourtant si intelligemment théorisés.
En conciliant la critique du capitalisme héritée du mouvement ouvrier anti-bureaucratique et anti-stalinien et la critique de la vie quotidienne issue des avant-gardes de l’art, tel le lettrisme, les situationnistes faisaient encore la part trop belle au vieux concept de prolétariat, comme classe laborieuse, alors que celui-ci entonnait déjà les premières notes de son chant du cygne.
En un mot comme en cent, le XXIe siècle s’annonçait par murmures subtils et ils usaient encore des concepts du XIXe ! C’est, à mon sens, la raison pour laquelle, dès 1972, ils étaient épuisés et que nous fumes quelques-uns, quelques-années après, à nous en détourner, tout en conservant ce qui nous semblait la meilleure part de leur héritage.

18:18 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, histoire, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

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