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03.09.2014

La mémoire qu'on ne dépasse pas

26828236081.jpgL’homme, encore jeune, la quarantaine à peine franchie, est assis en face de moi.
On discute.
On discute de la situation explosive en Europe, des Américains et des Russes.
Un Français et un Polonais qui discutent des Russes peuvent tomber d’accord, certes, mais, dans le fond, si l’un en parle de loin, dit ce qu’il en devine en se référant à sa connaissance de l’Histoire, à ses lectures, à quelques rencontres de fortune, à sa vision géopolitique du monde, l’autre parle de la mémoire de son peuple en général ou, ainsi qu’il advint dans ce cas précis, de sa mémoire individuelle, intime.
Cela vaut-il argument définitif ?
Je n’en sais rien. Je me fous des arguments quand c’est l’âme qui parle !
Je sais simplement que cela marque et que l’autre, s’il n’adhère toujours pas à la vision «intellectuelle» de son interlocuteur, il le comprend en profondeur, en homme, et il n’a désormais plus le cœur à le contredire.
Le cœur. C’est cela. Le cœur.
L’homme encore jeune assure donc que, en période de conflit, les Russes sont des barbares.
L’homme un peu moins jeune que je suis rétorque dans un sourire que tous les peuples de la terre sont, en période de conflit, des barbares, des tueurs et des bêtes sauvages.
Oui, mais…
Mon interlocuteur semble s’émouvoir. Il rougit même un peu, il déglutit et me confie :
- Pendant l’occupation nazie, ma grand-mère a vécu seule dans sa maison. C’était dur, c’était dramatique, mais elle a vécu. Elle a survécu. L’armée rouge est arrivée pour nous libérer… Ils l’ont violée et ils l’ont tuée. Comme ça. Gratuitement.
Je baisse les yeux.
Il me semble revoir la blouse grise de mon aïeule, son panier d’œufs et un enclos minuscule, derrière la maison, où se languissaient deux ou trois chèvres efflanquées.
Je souffle sur mon  thé. Je regarde  par la fenêtre.
Le soleil de septembre qui glisse sur la pelouse fraîchement tondue, est pourtant si beau !

 

09:30 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Les Russes pour les Polonais sont comme les Allemands pour les Français. L'ennemi de toujours.
Ma grand-mère m'avait raconté autrefois les exactions des troupes allemandes en 1914, contre les civils.

Par contre pour les années 40, elle ne disait pas la même chose. Ils avaient été corrects avec les civils (probablement parce que le pays n'avait pas résisté longtemps).

Et d'autres (mais peu nombreux) disaient (à mots couverts et pas devant n'importe qui) que les viols avaient commencé en 1944 avec l'armée américaine. Qui croire ?

Écrit par : Feuilly | 03.09.2014

On baisse les yeux aussi.
Merci Bertrand de ce beau texte, sur un sujet peu abordé.

Un ami (de ces amitiés qui se construisent dans le travail et le militantisme), agrégé d'histoire, a publié en 2012 aux éditions Imago, un ouvrage intitulé "La femme et le soldat", Viols et violences de guerre du Moyen Age à nos jours (355 p).

Dans le chapitre V - Femmes de l'ennemi, femmes ennemies -, douze pages (241 à 253) ont pour titre "L'armée rouge : les femmes allemandes... et les autres". L'auteur y évoque aussi la publication en 1959 d'un récit anonyme qui fit scandale. L'édition épuisée, l'auteur anonyme refusa toute réédition de son vivant. Ce n'est qu'en 2003, après sa mort en 2001, que son extraordinaire témoignage "Une femme à Berlin", fut à nouveau publié, porté à l'écran et adapté pour le théâtre en France. La presse parvenait à lever l'anonymat de l'auteur. Il s'agissait d'une journaliste du nom de Marta Hillers.

Le chapitre III est consacré au "Paradoxe nazi", avec un premier paragraphe de quatre pages intitulé Des occupants "corrects".
Je n'entre pas dans la complexité du sujet. Je suis loin d'avoir tout lu d'ailleurs, bien que j'aie ce livre depuis deux ans.

Écrit par : Michèle | 03.09.2014

Et ta pelouse "fraîchement tondue" résonne d'un funeste écho.

La Libération a été marquée par une vague massive de tontes au cours des mois d'août et septembre 1944. En France, en Belgique, en Italie, en Norvège et dans une moindre mesure, aux Pays-Bas et au Danemark. Lors du retour des prisonniers et déportés, la France connut une seconde vague de tontes qui porterait à environ 20 000 le nombre de femmes ainsi "offertes en victimes expiatoires au désir de régénération des foules."

Dès 1944, Paul Eluard écrit en exergue à "Comprenne qui voudra" :

"En ce temps-là, pour ne pas châtier les coupables,
On maltraitait des filles.
On allait même jusqu'à les tondre."


"Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
A la robe déchirée
Au regard d'enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés..."

Écrit par : Michèle | 03.09.2014

Cela me rappelle ma rencontre avec cet irakien, qui partait combattre pour Saddam...

Écrit par : solko | 04.09.2014

@ Michèle,

La tondue

La belle qui couchait avec le roi de Prusse,
Avec le roi de Prusse,
A qui l'on a tondu le crâne rasibus,
Le crâne rasibus,

Son penchant prononcé pour les "Ich liebe dich ",
Pour les "Ich liebe dich ",
Lui valut de porter quelques cheveux postich's,
Quelques cheveux postich's.

Les braves sans-culott's et les bonnets phrygiens,
Et les bonnets phrygiens,
Ont livré sa crinière à un tondeur de chiens,
A un tondeur de chiens.

J'aurais dû prendre un peu parti pour sa toison,
Parti pour sa toison,
J'aurais dû dire un mot pour sauver son chignon,
Pour sauver son chignon,

Mais je n'ai pas bougé du fond de ma torpeur,
Du fond de ma torpeur.
Les coupeurs de cheveux en quatre m'ont fait peur,
En quatre m'ont fait peur.

Quand, pire qu'une brosse, elle eut été tondu',
Elle eut été tondu',
J'ai dit : " C'est malheureux, ces accroche-coeur perdus,
Ces accroche-coeur perdus. "

Et, ramassant l'un d'eux qui traînait dans l'ornière,
Qui traînait dans l'ornière,
Je l'ai, comme une fleur, mis à ma boutonnière,
Mis à ma boutonnière.

En me voyant partir arborant mon toupet,
Arborant mon toupet,
Tous ces coupeurs de natt's m'ont pris pour un suspect,
M'ont pris pour un suspect.

Comme de la patrie je ne mérite guère,
Je ne mérite guère,
J'ai pas la Croix d'honneur,
J'ai pas la croix de guerre,
J'ai pas la croix de guerre,

Et je n'en souffre pas avec trop de rigueur,
Avec trop de rigueur.
J'ai ma rosette à moi : c'est un accroche-coeur,
C'est un accroche-coeur.

G.B

@ Solko :

Oui, un peu, effectivemnt...

Écrit par : Bertrand | 04.09.2014

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