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09.04.2014

Stéphane Beau : approfondissement

Tentative d'équilibrisme

N53006251_JPEG_1_1DM.jpgL'intérêt principal d'un blog, à mes yeux, c'est d'offrir un espace où la réflexion peut se développer au fil des jours, un peu comme dans un journal intime, mais avec une certaine obligation de rigueur et de cohérence due à son caractère public. C'est dans cet esprit que je poursuis aujourd'hui mes réflexions sur l'idée de barrière, ébauchée ici.
La barrière, qu'elle soit réelle ou virtuelle, coupe toujours le monde en deux. C'est là une évidence, je le sais, mais le grand tort des évidences, c'est justement qu'on finit par ne plus les voir. D'où la nécessité d'aller les chatouiller quelque peu, de temps en temps.

Dans notre vie quotidienne, nous nous comportons en général comme si les barrières étaient des réalités indiscutables, immuables, occupant logiquement, presque naturellement, la place qui est la leur. Dans les esprits, prédomine d'ailleurs l'intuition que la coupure pré-existe à la barrière qui ne vient au final que réunir deux parts distinctes, un peu comme la suture vient recoller les deux lèvres d'une coupure. La barrière n'étant pas envisagée alors comme ce qui sépare, mais comme ce qui rattache, comme ce qui permet de maintenir un semblant d'unité et de sens à l'ensemble. Son absence serait synonyme de chaos.
Car la barrière, on l'oublie trop souvent, a pour fonction première d'offrir aux hommes un repère, au même titre qu'un phare ou qu'une balise, et de fixer du même coup des normes qui s'appliquent à tous. En effet, pour qu'une barrière soit agréée par tous comme concrétisant une séparation objective il faut qu'elle repose sur une convention tacite. Tout comme le mètre, le litre, le degré centigrade ou l'hectopascal, la barrière pose un cadre conventionnel qui n'a de sens que si l'on en accepte le principe. Ce qui n'est pas toujours si simple, comme on peut le voir par exemple dans nos relations parfois tendues avec les peuples traditionnellement nomades qui, n'entendant pas la dimension conventionnelle de la barrière, ne comprennent pas ce qu'elle prétend scinder, et considèrent qu'elle n'a pas, symboliquement, plus de valeur normative qu'un arbre ou qu'une colline.
Si on visualise assez aisément les barrières physiques, on est généralement beaucoup moins à l'aise avec toutes les barrières psychologiques, morales ou idéologiques, qui balisent nos pensées et nos actes. Pourtant elles existent et elles fonctionnent de la même manière. Dans le domaine des idées, des valeurs, ou des croyances, aussi, les barrières viennent marquer une coupure entre deux mondes. Et là encore, l'erreur commune consiste à croire que la coupure pré-existe à la barrière ; qu'il existe par exemple un bien et un mal clairement différents, un vrai et un faux nettement distincts et que la barrière, là encore, se contente de concrétiser la ligne de fracture. Sauf que la réalité est beaucoup plus complexe, voire confuse, que cela.

Les barrières, que ce soit dans le monde physique ou dans le monde psychique, on l'oublie trop souvent, ne symbolisent pas des faits, mais des choix. Leurs emplacements ne doivent jamais rien au hasard. Bien au contraire, l'art de placer - et de déplacer - les barrières a toujours été éminemment stratégique. C'est une guerre de positions. Poser une barrière, ce n'est pas seulement délimiter son propre camp, c'est également définir, par défaut, celui de ses ennemis. Et, dans le champ des idées, cela est loin d'être neutre. Car, en plantant ma barrière, en plus d'affirmer mon droit, j'impose arbitrairement à mon adversaire le cadre dans lequel il devra exercer le sien.

Pourquoi est-ce que je vous explique tout cela ? Parce que mon dernier billet, disant que j'avais le sentiment, sur la question du féminisme, de me situer du mauvais côté de la barrière, ne me satisfaisait pas. Pas plus que ma conclusion laissant supposer qu'un jour les choses s'inverseraient et que je finirais par me retrouver du bon côté (même si du point de vue l’ego c'était une jolie chute qui m'accordait généreusement le bon rôle). En prétendant cela, je restais en effet englué dans le piège tendu par ceux qui ont intérêt à décréter que les barrières sont des réalités intangibles et que l'on n'a pas d'autre option que de choisir le côté derrière lequel on doit se ranger.
La question qui se pose à moi, maintenant, est la suivante : comment peut-on s'affranchir malgré tout de ces barrières, les dépasser, les contourner, les éviter. Nietzsche nous a déjà indiqué une piste : se situer définitivement par-delà le bien et le mal. Il nous a également proposé une posture : celle du danseur de corde qui confie sa destinée aux lois de la pesanteur. D'où l'hypothèse que je pose ici : le meilleur moyen de s'affranchir des barrières n'est-il pas de grimper dessus et de rester en équilibre sur leurs tranches, là où les deux camps se rejoignent et retrouvent leur unité première ? Position délicate, certes, inconfortable car elle attisera incompréhension et haine dans les deux camps.
Position difficile, donc, mais en existe-il une autre possible quand on a la prétention de vouloir être honnête ?

Stéphane Beau

08:29 Publié dans Stéphane Beau | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, écrtiture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Il existe aussi des barrières qui ne sont reconnues que par une des deux parties, comme le mur en Palestine.

Pour le reste, oui, les barrières morales ou psychologiques nous rassurent et nous les posons nous-mêmes en ayant bien soin de nous mettre du bon côté. Malheureusement, comme vous le dites, la vérité est souvent plus complexe et n'est souvent qu'un lent dégradé du noir au blanc. Quand on se rend compte que la partie adverse n'a pas tort sur tout, cela devient inconfortable et déroutant.

Écrit par : feuilly | 09.04.2014

Oui, mais même avec ce mur là, on voit bien que même s'il n'est reconnu que par une des deux parties, il s'impose quand même aux deux.

Écrit par : stephane | 10.04.2014

Hé oui, forcément.
Parce qu'un mur ça a deux côtés. Et je ne plaisante point....

Écrit par : Bertrand | 10.04.2014

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