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12.11.2013

11 novembre polonais

En septembre 1992, pour tout dire le dimanche 20, jour d’un certain référendum sur le traité de Maastricht et deux-centième anniversaire de Valmy, j’écrivais sur ma guitare une chanson :

Qu’il soit noir, qu’il soit rouge,
En berne ou qu’il pavoise,
Quand bien même s’rait-il bleu et parsemé d’étoiles,
Un drapeau dans ses plis a toujours en réserve
Une salve pour ceux qui ne veulent pas saluer.

Pour peu qu’on se souvienne des charniers de l’histoire
Là où les étendards glanent leurs jours de gloire
Sur les corps en charpies de soldats inconnus
Quand la connerie humaine s’est faite une vertu

Pour peu qu’on se souvienne… etc., etc.…

drapeau-polonais_21046113.jpgMinuscule œuvrette d’un moment d’humeur, la chanson est bien sûr tombée aux oubliettes avant même d’être peaufinée, tant il est vrai que ce qu’on écrit comme ça, au pied levé, sur trois ou quatre accords, vous semble, une fois le temps écoulé et l'humeur sensible retombée, d’une naïveté déconcertante.
Blague à part, ceci vaut sans doute également pour la moitié des textes de ce blog. Car il ne faut pas croire que ce qui s’inscrit en pattes de mouches volatiles dans ce vaste souk que constitue la foison des blogs et sites ne s’envole pas aussitôt dit dans les nuages du dérisoire et du nul et non-avenu. D’ailleurs, digression pour digression, quand on parle de blogosphère, le seul élément à peu près véritable, métaphorique, qu’il faudrait retenir du concept, c’est qu’effectivement ça tourne en rond sur soi-même.  En 24 heures souvent. Ça donne le tournis, ça grise un peu ; c’est peut-être pour ça qu’on y reste. Mais il ne faut pas pour autant se vider la tête au point de croire qu’on fait œuvre de quelque chose. Il n’y a rien de pire, si ce n’est la maladie mortelle qui soudain vient à vous frapper, que de prendre les effets de son ivresse pour ceux du réel.
Donc, la chansonnette…
La  parole sans le cerveau rétorque à ces couplets approximatifs : c’est justement pour faire en sorte que les drapeaux ne soient plus les emblèmes des catastrophes guerrières et du sang versé que l’Europe s’est regroupée sous une seule bannière.
C’est là voir le monde comme le voit le pigeon, à l’aune de sa seule volière. Car depuis que l’Europe est Europe, dans combien de champs de bataille a-t-elle trempé le glaive ? Pour moi, la mort, qu’elle soit distribuée en Syrie, en Lybie, au Mali, en Afghanistan, en Bosnie, en Irak ou devant ma porte, reste la mort. Et ce n’est pas parce que l’on ne s’étripe plus guère sur les rives du Rhin ou sur les plaines d’Europe centrale et de Belgique, que le drapeau bleu aux étoiles jaunes n’est pas déjà souillé par le sang.
Ce n’est pas un hasard si
cette Europe s’est affublée d’un drapeau avant même d'avoir dépassé le stade de l’Idée ailleurs que dans une monnaie, des marchés et la distribution tous azimuts de subventions, avant même que n’émerge chez les individus dont elle est peuplée une once de sentiment citoyen et européen.
Il ne me viendrait pourtant pas à l’esprit de mettre en place le toit de ma maison avant d’en avoir creusé les fondations et élevé les murs.
Comme quoi un drapeau, c’est d’abord une vitrine qui camoufle le désert d'un fonds de commerce.

Cette ébauche de chansonnette et cette histoire de drapeau me reviennent donc toujours en mémoire, ici en Pologne, aux alentours du 11 novembre. Dans les campagnes en effet, aux portes et aux fenêtres d’une maison sur trois ou quatre, flotte au vent brumeux le drapeau blanc et rouge.
Cela me met mal à l’aise. Il y a, dans un drapeau qu’on arbore comme ça, chez soi en plus, toute l’arrogance d’une appartenance à quelque chose dont ceux qui n’arborent pas sont exclus. Il y a de l’agressivité. De la fierté hargneuse. J'ai toujours ce sentiment et je fredonne alors la mélodie de la chansonnette avortée.
Pourtant, là, je fais des efforts pour relativiser mon aversion : car il me faut intellectuellement passer en revue une histoire qui ne m‘appartient justement pas. Il me faut repenser au 11 novembre 1918 en tant que date de l’écroulement des Empires centraux et de la renaissance de la Pologne rayée des cartes depuis 1795. Il me faut dès lors bien prendre conscience que je suis ailleurs, que cet ailleurs se veut ce jour-là ostensiblement rouge et blanc parce qu'il a été décrété  Fête nationale.
Que, par-delà la fin de la plus sanglante guerre de l’histoire, on veut célébrer ici la fin d’une occupation de plus de 120 ans et la résurrection de la notion même de Pologne.
Alors, je fais une exception et je me dis que ces drapeaux qui flottent sont ceux de la fin d’une souffrance et le bout d’un interminable tunnel.
Mais, apercevant en même temps sur les champs, des paysans qui travaillent, qui hersent, labourent ou roulent du fumier, eux qui n’oseraient seulement pas toucher à un manche de binette ou de fourche un quelconque dimanche, jour du Seigneur, car le curé le leur défend fermement du haut de sa chaire, je me dis aussitôt que tout ça, la mémoire, la célébration, les couleurs, le souvenir, l’honneur des patriotes-résistants polonais tués aux cours des insurrections de 1830 et de 1863, la diaspora du IXe siècle et du début du XXe, c’est du pipeau, du chinois, dans la caboche du paysan qui n’a d’yeux que pour ce qu’il ne verra jamais : le ciel que lui vend l'abominable clergé !
Toujours, donc, cette vitrine sur un fonds de commerce non achalandé. Une couverture.

12:53 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Un peu de lecture :
http://www.laviedesidees.fr/Demythifier-la-societe-polonaise.html

Écrit par : Alfonse | 12.11.2013

Merci Alfonse. Il y a dans cet article beaucoup de vrai ( dans ce que je vis de la société polonaise) et quelques erreurs d'appréciation aussi dues sans doute à la rigidité de l'investigation sociologique.
On ne parle pas, par exemple de la Pologne sur son territoire. Or, la mentalité, la façon de voir les choses est complètement différente selon que l'on soit à l'ouest ou à l'est. Et ça, c'est une donnée historique profonde.
Ceux qui sont à l'est ne le sont pas assez par rapport à 1945 et ceux qui sont à l'ouest le sont de trop. Là, où j'habite par exemple, je suis plus près de Moscou que de Paris. A l'Ouest, ils sont à peu près équidistants et surtout très proches de Berlin. Cela influence beaucoup, beaucoup.
Mais je répète : dans ce que j'en ressens.
Il est fait mention aussi de l''exil des jeunes. Oui. C'est incroyable le nombre de Polonais qui courent au plus vite à l'étranger. C'est presque une tradition chez ce peuple que l'histoire a meurtri et balloté d'un côté sur l'autre.
Par ailleurs, dans ce texte, j'aurais dû mentionner les émeutes du 11 novembre dernier à Varsovie où la droite de la droite a organisé des manifestations anti-Russes, à tel point que Poutine a demandé que soient formulées des excuses publiques.
Toujours ce sentiment depuis les partages du pays puis la botte stalinienne que tous les malheurs du pays sont toujours venus de Moscou. C’est un sentiment très fort, savamment entretenu par le PIS ( Droit et justice - parti populiste très, très à droite)

Écrit par : Bertrand | 13.11.2013

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