19.12.2012
L'hiver
Les autochtones eux-mêmes en conviennent, c’est dire ! Avant noël, la neige ici est rarement aussi abondante et aussi constante, quotidienne, que cette année. Mon voisin regarde le ciel toujours prometteur de nouvelles chutes blanches et dit, les mains sur les hanches, hé ben on n’est pas arrivé au mois de mars !
Et oui, c’est bien ça qui tarabuste l’autochtone pourtant aguerri aux rigueurs de sa latitude. Les grandes intempéries, les couches de neige sans cesse renouvelées, les mercures qui descendent tellement bas qu’on dirait que les thermomètres ont été sabotés, tout cela, quand c’est en janvier, voire en février, on a quand même l’impression que l’on a entamé sa remontée vers le soleil. On a le grand mouvement des choses et ses jeux de lumière dans la tête.
D’accord, dit-on, c’est l’hiver, mais on remonte quand même la pente à chaque aurore qui se dessine en rose au-delà du Bug.
Mais là, on n’en a pas encore terminé de la descente, qu’on a déjà presque un mois de grand hiver dans le dos. Alors, on fait montre d’un certain pessimisme pour la suite de la traversée du tunnel. On craint de n'en voir le bout qu'épuisé.
Le pays se dessine en deux couleurs, noir en haut et blanc en bas. Le vent nous vient de Russie et, sur les routes, ramène la poudre neigeuse qui se faufile entre la forêt gelée et la plaine grande ouverte. Gare aux virages où elle s’entasse, cette neige, gèle et n’est bientôt plus que glace ! Pas trop de place pour la rêverie au volant.
Autour de ma maison, c’est un peu le mythe de Sisyphe. Je creuse, comme tout le monde, chaque matin des allées pour pouvoir vaquer à mes quelques occupations du dehors, je dégage le portail pour pouvoir bien l’ouvrir et accéder à la voie publique, et, au matin, je recommence car la nuit a tenté de tout effacer à la gomme blanche. Les talus de chaque côté de mes allées et venues s’élèvent un peu plus chaque jour. Bientôt, je marcherai entre deux remparts de neige.
J’avais toujours vécu sous les cieux chargés d’embruns, d’iode et de souffle marin. Dès lors, parfois je me dis que même si mes 2500 Km d’exil ne sont pas grand chose au regard des distances planétaires, je ne pouvais pas mieux contraster les climats.
Et j’ai toujours cette impression que tant de neige partout, sur les routes, les champs, les forêts, les sentiers, les maisons, les granges, les cours, les fermes, les trottoirs, les talus, n’arrivera jamais à se dissiper. Que le monde est définitivement livide.
Je sais pourtant la fragilité de cette couverture. Je l’ai vue. En deux jours, tout peut disparaître, comme si cela n’avait été qu’une illusion et la plaine se recouvrir soudain de larges étangs.
Pour l’heure, la blancheur est maîtresse. Pour deux ou trois mois, selon les humeurs à venir des masses d’air et des anticyclones.
La plus longue période enneigée qu’il m’a été donné de vivre ici, avait couru du 28 novembre au 15 mars. Presque quatre mois. Le quart de l’année.
Hum… Même si je trouve ça beau parce que je viens des plages, des algues et des rochers, vient un moment - là comme partout ailleurs et pas seulement en parlant des paysages et des climats mais aussi des hommes, de leur art, de leurs amours et de leurs propos - que le beau qu’on ne voit plus se transforme en laid.
Illustration : photo prise à treize heures, c'est-à-dire soleil au zénith
11:26 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Deux ou trois mois de blancheur livide, j'aurais du mal...
Écrit par : Rosa | 19.12.2012
Je comprends. Mais c'est quand même une saison où l'on va à "l'essentiel".
Écrit par : Bertrand | 20.12.2012
C'est vrai... rester à l'intérieur est propice au ressourcement ou au recueillement. C'est aussi mon cas...
Écrit par : Rosa | 26.12.2012
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