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21.12.2012

Le bonheur, une idée primaire

Dans un monde et une époque - indissociables- où la peur, la tristesse et le malheur des gens sont planifiés en arguments de vente de la politique, seule la volonté, affirmée, réelle et vécue, d'être heureux est subversive.
Le bonheur, c'est le vers dans la pomme.
Hélas quand je regarde en arrière - et c’est souvent - j’aperçois une foule d’incohérences, des kyrielles de non-sens, des tonnes d’absurdités qui encombrent cette recherche primaire, élémentaire, du bonheur.
Et j’en suis, conséquemment, chaque jour plus
b1.jpgamoureux de mon présent. Ce qui, contradictoirement, n’est ni fat ni confortable, la substantifique moelle d’un présent étant son caractère forcément éphémère.
Quand je regarde en arrière, je ratisse très large : dans ma propre vie d'abord. Dans celle de ceux que j’ai pu croiser et aimer ensuite. Puis, élargissant considérablement le champ de vision, dans ce qui se dit et écrit et s’est dit et écrit, partout depuis des lustres et des lustres quant à la marche aliénée du monde. Disons, grosso modo, au cours des deux siècles d’histoire qui viennent de s’écouler.
En zoomant, je vois
le coin de monde que j’habite, la vieille Europe, exprimée dans ma langue, la langue française.
Alors j'entends un inextricable chaos de discours et de déclarations des plus belles intentions ! Je vois et j'entends des combats au corps à corps, des assemblées, des élections, des guerres, des morts, des barricades, des trahisaons, des incendies, des empoignades, des polémiques, des crimes, des attentats, et des livres, des milliers et des milliers de livres.
Tout ça pour un résultat absolument nul : mécontentement toujours aussi général quant aux conditions faites à la vie. Malheur à tous les étages ! Jérémiades à chaque coin de rue !
Il me semble parfois que le hiatus est tellement énorme qu’il ne peut pas être. Trois alternatives s'offrent ainsi à mon âme perplexe :
- soit les hommes sont des impuissants, des larves n’ayant aucune prise sur leur destin,
- soit ils ne sont que des discoureurs sans aucune volonté d’agir,
- soit la recherche du bonheur consiste à être ou à paraître malheureux.
Car comment expliquer autrement l’éternelle défaite du bonheur face au monde réifié ?
Moi, qui ne vaux pas mieux qu’un autre, loin, très loin s’en faut, si je devais ne voir ce monde que laid, qu'injuste et que vilain, si je ne devais pas y vivre pleinement des moments de bonheur intense et être heureux, heureux de vivre avec tout ça, je me suiciderais. Je me tirerais une balle de 9 mm dans la tête. Pas dans le pied, comme le font les désespérés du malheur spectaculaire. Non. Dans la tête. Ce serait une vraie défaite, sans tambour ni trompette. Une défaite courageuse que bien d'autres avant moi ont assumée.

Quelques livres parmi les plus fins de ces deux derniers siècles, l’ont dit : si on veut changer radicalement le monde - car le monde, celui dont on parle, n’est fait, jusqu’à preuve du contraire, que de nous-autres et de nos différences - il ne faut pas s’attaquer par le postillon aux murs de ce monde, il faut se transformer soi-même en combattant.
C'est-à-dire se montrer capable d’exister. Être à la hauteur, dans sa propre vie, dans sa propre chair, dans ses propres désirs, et dans ses propres instants, de l'idée qu'on a de son propre bonheur.
Détruire ainsi l'idée même du bonheur, l'idéologie du bonheur, en étant heureux. Par tout moyen à sa convenance.
Mais il faut pour ce faire être ou devenir vraiment juste avec soi-même, volontaire, désirant, passionné, pas envieux pour deux sous, ni de gloire, ni d’honneurs, ni d’argent et…courageux, le courage étant d’abord celui de refuser d’avoir pieds et poings liés par les misérables acquis de la survie, ce réservoir où sont planifiés les malheurs, la tristesse et la peur.
Le courage. C’est bien cela qui fait défaut aux hommes pour être de sincères chercheurs de bonheur. Il y en eut, des gens comme ça. Trop peu pour que la fourmilière change de sous-bois et cesse sa laborieuse industrie.
Si les hommes arrêtaient de se complaire dans les chaînes de leurs illusions et désillusions quotidiennes, les jetaient aux orties, la fourmilière s’écroulerait d’elle-même. Ils le savent, les hommes.
Mais c’est tellement confortable, des chaînes ! C'est comme des rails pour le train ! Un prisonnier n'a pas d'initiative à prendre : il y a le lever, le café, la toilette sommaire, l'attente de la promenade, le déjeuner sommaire, la promenade encadrée, la sieste, le dîner et la nuit et le lever encore... Rien ne peut arriver de fâcheux à un prisonnier puisqu'on lui a confisqué le courage d'être libre.
Et combien en connaissez-vous, de ces prisonneirs du dehors, qui, pour les seules causes justes qui vaillent et qui sous-tendent toutes les autres, le bonheur, l'abolition de l’ennui, la redécouverte de la jouissance, seraient capables de prendre un train, un avion, la route, le bus, et de foncer loin de leur misère, vers la liberté d’être soi-même, en laissant derrière eux la maison payée à crédit, le p'tit bout de jardin, la bagnole, le quartier, le pays, les amis, la famille, les habitudes, les cotisations-retraite et d’assurances sociales, le chat, le chien, le p’tit bureau peinard et le p'tit salaire qui va avec  ? Combien 
?
Un ? Deux ? Trois ? Ce  serait déjà un miracle. Alors je demande : mais que vaudrait donc une société reconstruite par des hommes qui n'auraient même pas eu le courage d'eux-mêmes, sinon
le prix que vaut une société de zombies ?
Et le monde ainsi vilipendé par les chrysalides, toujours avec les mêmes idées, toujours avec les mêmes mots, toujours avec les mêmes slogans, toujours avec la même et fatigante générosité superfétatoire, toujours avec les mêmes peurs, va son bonhomme de chemin en écrasant les bonhommes d'humains...
Qu’il aille ! Je vais le mien. Dans, avec et sans lui.

Image : Philip Seelen

09:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Heureux ou content ?
Être content, pour moi c'est déjà énorme (être content de soi, j'entends).
Ça arrive quand :
- mes enfants n'ont pas l'air trop malheureux d'être nés
- j'arrive à finir un boulot correct et dans les temps (là c'est même l'extase)
- j'ai le temps de relire L'inquisitoire de Robert Pinget pour rire encore aux passages les plus extraordinaires (celui de la peau de Sagrin par exemple)

Écrit par : Alfonse | 21.12.2012

Je ne résiste pas à citer notre ami Sénèque sur le sujet de la vie heureuse : "Donc, voici le premier impératif : gardons-nous bien de suivre, à la manière des moutons, le troupeau de ceux qui précèdent en allant non pas vers où il faut aller, mais simplement où vont tous les autres. Car rien n'entraîne à de plus grands malheurs que de se conformer à la rumeur publique, en estimant que les meilleurs choix sont ceux du plus grand nombre (...).
La vie heureuse, c'est donc celle qui est en accord avec sa propre nature."

Nil novi sub sole !

Écrit par : corinne | 23.12.2012

chaque jour plus amoureux de mon présent. Une position que j'apprécie.
Je n'aime pas le mot bonheur : trop galvaudé.
Je préfère "accomplissement" ou "épanouissement" : c'est d'ailleurs ce que tu suggères. Ce n'est pas de l'hédonisme...

Écrit par : Rosa | 26.12.2012

Alphonse, je rends in petto honneur à vos critères du "contentement"
Corinne, le vieux Sénèque, oui, toujours aussi brillant d'actualité intellectuelle après des siècles et des siècles de postérité... Comme quoi
Chère Rosa, il y a effectivement des mots pleins comme des œufs frais que l'on n'ose plus employer tant ils ont été salis par le galvaudage : amour, bonheur,et tutti quanti.

Écrit par : Bertrand | 27.12.2012

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