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28.11.2012

Appel des 451 : réflexions - suite et fin -

littératureLE CHAOS VÉCU PAR LES AUTEURS : RESPONSABILITÉS ET LIMITES TANGIBLES POUR L’HABITER ENCORE

C’est en tant qu’auteur que j’ai adhéré à l’Appel des 451. Je ne parlerai donc ici que des livres qui portent la littérature et ferai abstraction, sans aucune marque de mépris, des dictionnaires, des manuels scolaires, des guides touristiques, des recettes de cuisine, des traités de pêche et de chasse et tutti quanti.
Ainsi j’ai pu lire quelques noms d’écrivains dans la liste des signataires, mais j’ai pu également constater qu’ils ne faisaient pas vraiment légions. Ce qui ne m’a, somme toute, que faiblement surpris.
S’il est pourtant des gens concernés au premier chef par le chaos, c’est bien les auteurs. Sans livres, pas d’auteurs, sans auteurs, pas plus de livres que de métiers du livre, ça tombe sous le sens. A moins qu’on ne veuille ressusciter ce livre que par l’unique réédition d’ouvrages ayant brillamment traversé l’épreuve des âges.
Pour nécessaire et louable que serait cette perspective, elle ne satisferait cependant pas à une des fonctions les plus nobles du livre, qui est celle de porter à la connaissance du public contemporain les œuvres de ceux qui écrivent leur époque, et au-delà, pour quelques élus méritoires, à la connaissance des générations à venir.
Je dis que je n’ai été que faiblement étonné par le petit nombre d’auteurs signataires, parce que je crois savoir qu’un grand nombre d’écrivains publiés- ce n’est hélas pas une tautologie - et qui ont avec leur éditeur su établir une complicité durable, (sur le prix à payer de laquelle il faudrait s’étendre) se soucient de l’avenir du livre en général comme de leur première chemise bleue à bretelles. D’ailleurs, la plupart des écrivains signataires sont en même temps éditeur et il serait intéressant de savoir qui a signé, de l’auteur ou de l’éditeur. J’aimerais bien qu’il s’agisse des deux à la fois.
C’est bien désolant, mais c’est humain. Les rédacteurs de la brochure Querelle des modernes et des modernes ne soulignent-ils pas eux-mêmes que «dans le monde du livre, tout le monde veut tirer la couverture à soi» et même si ce passage, coupé ici de son contexte, ne fait pas allusion aux auteurs mais aux autres acteurs du livre, il s’applique très bien à eux.
Je les comprends cependant, ces auteurs. Je les comprends parce que je sais la souffrance de l’écrivain qui, pour de multiples et diverses raisons, ne trouve pas cette complicité et qui par voie de conséquence toujours chemine dans les déserts de la solitude et du silence. J’en fus, et même après avoir publié cinq livres et participé à deux recueils collectifs, j’en suis encore. Je sais trop l’isolement d’une lumière qui vacille éternellement sur les pages inutiles.
Je peux dès lors comprendre que ses textes étant quasiment assurés de trouver un abri, l’auteur publié, tout à son art, ne veut pas embarrasser son esprit des affres qui tourmentent celui des sans-abri, et ce, quelles que soient la poésie, la générosité et la solidarité dont il peut faire montre dans son écriture.

Pour ma part, quand je prends la mesure de l’étendue du chaos qu’on a laissé s’installer dans un des plus beaux domaines de l’activité humaine en ce qu’il concerne l’art et les productions de l’esprit, c’est d’abord à ces sans-abri là que je pense. A ceux qui ne rencontrent jamais leur écriture dans les yeux des autres, et qui, souvent, de guerre lasse, bradent, liquident, balancent et soldent le tout sur un blog. C’est ce que je m’apprête à faire pour deux manuscrits et j’affirme haut et fort que l’explosion des blogs au point d’être devenue un véritable phénomène de société est, pour une bonne part, née du désespoir de n’être jamais entendu. Alors on s’auto-publie, on est lu directement, immédiatement, on contemple enfin son écriture sur un support public et non plus sur un écran sans écho et sans témoin. Deux ou trois commentaires tombent, on répond avec empressement, trois ou quatre lecteurs se fidélisent et l’illusion de n’être plus seul, l’illusion que la bouteille balancée à la mer a atteint aux rivages humains de la reconnaissance, est presque parfaite.
Les blogs ne sont dès lors pas à l’origine du chaos du livre : ils en sont les fils dénaturés ; ils sont les champignons d’une terre en décomposition, ils sont les jardins ouvriers de ceux à qui on interdit l’accès à l’aristocratie du livre. En plus, ils apparaissent comme des éléments achevés de la gratuité, hors du circuit marchand, personne n’ayant l’impression de payer, ni l’auteur, ni le lecteur, alors que tout le monde met chaque jour la main au portefeuille. L’auteur, en plus, lui, travaille dans le vide, s’écoute ronronner et tout le monde fait mine d’être content de tout le monde.
Ce dernier point du mensonge de la gratuité, sur laquelle picorent une foule de gens, a été assez développé dans la brochure Querelles des modernes et des modernes pour que je puisse me permettre de n’en pas dire plus.
Mais il y a encore une fausse publicité qu’il faut dénoncer : celle de la vitrine. L’auteur non publié veut faire montre de son verbe, faire miroiter des échantillons au cas où un improbable preneur viendrait à passer par là. L’auteur publié, lui, se croyant déjà plus avancé et dans une démarche plus conséquente, argumente souvent qu’il lui faut un comptoir ouvert tous les jours avec entrée libre 24 heures sur 24 et qu’ainsi un plus large public aura accès à sa bibliographie, à son travail. Et bien qu’on en juge plutôt par ce qui suit.
Je tiens un même blog depuis juillet 2007 sur lequel meurent à petit feu près de 1000 textes. Ce blog est visité (notez bien le mot visité) par près de 3000 lecteurs mensuels qui, à l’évidence, ne lisent pas mes livres, ou si peu :

- Zozo, chômeur éperdu, Le Temps qu’il fait, 2009, 1000 exemplaires vendus environ,
- Géographiques, Le Temps qu’il fait, 2010, 300 exemplaires vendus environ,
- Le Théâtre des choses, Antidata, 2011, 200 exemplaires vendus environ.
- Brassens, poète érudit, Arthémus, 1ère  édition 2001, 2ème édition 2003,  2500 exemplaires vendus. Je n’avais pas de blog.

Si, sans Brassens et avec blog, j’additionne donc les trois chiffres des ventes étalées sur trois ans, j’arrive au chiffre frileux de 1500 bouquins ! La moitié des lecteurs du blog sur un mois ! Et encore faudrait-il considérer qu’il y a beaucoup de doublons et que des gens ont acheté deux, voire trois titres. Il faut aussi, j’en conviens, prendre avec une extrême prudence le chiffre des 3000 visiteurs mensuels, car ce sont peut-être toujours les mêmes et ils ne sont peut-être, allez, soyons sévères avec nous-mêmes, disons que 1000.
Quand bien même ! On mesure ici l’impact de la vitrine sur les lectures de mes livres. Nul. Du pipi de chat.

Mais revenons aux sans-abri, blogueurs ou pas, absents de partout mais bien présents dans mon esprit.
Qui donc, messieurs-dames, se soucie de leur douleur ? De leur abandon ? Qui a pensé un jour tendre une main fraternelle à cette âme dont la passion d’écrire la conduit chaque jour un peu plus dans les couloirs les plus obscurs de la plus obscure dénégation ? Qui ? Les écrivains publiés ? Les éditeurs ? Les maquettistes ? Les libraires ? Les typographes ? Les imprimeurs ? Les correcteurs ? Les bouquinistes ? Les distributeurs ?
Pujadas, peut-être ?
Le chaos, pour moi, humainement, il est d’abord là. Je conçois que pour d’autres acteurs et signataires, il puisse être tout à fait ailleurs, plus prosaïque sans doute, et je conçois même qu’ils puissent avoir raison : si on veut embarquer du monde sur le fil de l‘eau, il faut d’abord colmater les brèches du radeau en train de naufrager. Le chaos, c'est comme le midi, chacun le voit à sa porte.
Je dis donc que mon combat personnel et mes pensées vont vers les écrivains bafoués, tués dans l’œuf, et que c’est par là que ce combat rejoint, objectivement, le vôtre.

On me dira, avec juste raison, que tout n’est pas publiable et que, peut-être, les gens n’ayant jamais autant écrit qu’à l’heure actuelle, il y a forcément du déchet. Certes. Mais avant d’avancer des vérités aussi lapidaires, encore faudrait-il être à même de considérer les tas de déchets qui trouvent preneurs et se poser la question de savoir si ce tas dépasse en quantité et en qualité celui dont on n’a souvent même pas pris la peine de savoir s’il était à mettre au rebut ou non, parce qu’on n’avait pas le temps, parce qu’on n’avait pas les moyens financiers, parce qu’on était sur d’autres pistes plus sûres, parce qu’on est éditeur mais qu’on n’a pas vraiment les moyens humains de tout lire, trop petit, trop à l’étroit, et parce que… Se poser donc la question de savoir s’il n’y a pas plus de déchets sur les étagères des libraires, qu’il n’y en a dans les tiroirs des écrivains « ratés. »
Peut-être les deux quantités sont-elles équivalentes. Je n’en sais rien. Ce que je sais, et que vous savez sans aucun doute, c’est qu’il y a des déchets qui trouvent preneurs et d’autres non. Des déchets recyclables en marchandises pures et des qui ne le sont pas. Ça donne envie de faire les poubelles…
Ce que je sais également, et que vous savez encore, sans aucun doute puisque vous mettez l’accent dessus, c’est qu’il y a des livres remarquables qui trouvent preneurs et qui, au bout d’une centaine d’exemplaires péniblement vendus, essoufflés, oubliés, méprisés, fatigués bien avant d’être épuisés, en ont terminé de leur carrière. Le lecteur attentif n’y a accès que par la voie du bouche à oreilles. Ce ne sont pas des livres qui se distribuent mais qui se distillent.
Tout cela participe du chaos. Un affligeant chaos. A qui donc incombe la responsabilité de ce chaos ?
A la finance spectaculaire qui a fait du livre et des supports de la culture une marchandise exclusive obéissant aux mêmes lois de circulation que la botte de radis, que le tube de dentifrice ou que le jeu Nintendo.
Oui. Nous sommes bien d’accord. Mais quand on a dit ça, on n’a rien dit tout en ayant tout dit. On a commencé par la fin. On s’est en tout cas privé de tout moyen d’action.
Il y a autre chose à dire. Et j’en veux pour preuve que nous cherchons tous ensemble des solutions, sans pour autant fomenter l’immense et généreux projet historique d’abattre le monde de la finance spectaculaire.
En tout cas pas à coups de livres, même si publier un livre de qualité dans un monde renversé est un acte politique.
C’est donc que des solutions existent à l’intérieur de ce monde et que le livre s’est embourbé sur des chemins qu’il n’aurait jamais dû emprunter s’il avait eu le courage et l’affront de rester honnête. Des chemins suicidaires. Qu’il a été conduit sur ces chemins, mené en laisse, et ce, par personne d’autres que ceux qui en font leur métier, au premier rang desquels figurent les grands éditeurs et les distributeurs.
Mais au premier rang seulement. Or, un premier rang suppose qu’il y en ait des seconds.
Des seconds couteaux du déclin. Et quand le premier rang en arrive à bouffer les seconds, jusqu’à même remettre leur existence en question, il arrive que ces seconds rangs s’organisent en une mutinerie.


UNE PISTE : LA MISE EN COMMUN DES VOLONTÉS PRATIQUES

 Il y a de cela un an et demi environ, bien avant l’Appel des 451 donc, j’avais proposé à une quinzaine de camarades, tous impliqués dans la littérature ou dans la conception et fabrication des livres, de fonder une association d’auteurs, type 1901, à seule fin d’éditer nos différents ouvrages.
J’avais même - un peu prématurément il est vrai -rédigé des statuts pour cette association. Tous les camarades contactés n’avaient pas répondu et en écoutant de plus près ces muets, je m’étais aperçu qu’ils avaient un éditeur et que, donc, un tien vaut mieux que deux tu l’auras, n’est-il pas ? Toujours ce méprisable mépris à l'égard du sans-abri. Je signale d’ailleurs qu’à l’époque j’avais moi-même deux éditeurs. Bref…
Les dix camarades qui ont répondu se sont montrés enthousiastes et tous m’ont félicité pour le boulot que j’avais fourni. Les points d’achoppement étaient principalement, bien sûr, le financement de départ et la distribution.
Pour le financement, j’avais trouvé. Un copain avec des moyens sérieux et dont le rapport à la littérature est un des plus beaux, puisqu’il est un grand passionné des livres et de la lecture.
Restait la distribution. Des pistes ont été évoquées, discutées, pesées, argumentées, des contacts avec des réseaux de distribution en rupture avec les mauvaises manières de faire du secteur devaient être pris qui n’ont jamais été pris. On a cherché dans tous les sens, sauf sans doute dans le bon. Jusqu’à ce que le poisson en ait par-dessus les nageoires des atermoiements et se noie doucement. Nous n’étions bientôt plus que huit à nous préoccuper de la chose, puis cinq, puis trois, puis deux. C’est-à-dire que mon beau projet était mort sans être né.
Pourquoi ? Parce que les volontés étaient imparfaites. Ou pas parfaites du tout d’ailleurs. Que chacun avait aussi, je m’en suis aperçu par la suite, d’autres chats à fouetter.
Je persiste néanmoins à croire et à dire que là est une des solutions. La mise en commun, pratique, réelle, des volontés, des expériences, des sous, pour faire en même temps des livres et de la littérature.
Il y a dans le Collectif des 451, des éditeurs de grand talent, des libraires qui ne sont pas des pharmaciens, des bibliothécaires, des maquettistes, des correcteurs, des auteurs, des lecteurs, bref, tout un panel de savoir-faire et de goûts qu’il serait idiot, à moins de ne pas croire soi-même à son propos, de ne pas réunir autour d’une action pratique.
L’Association, ou la SCOP, me paraissent être les pistes les plus sérieuses pour produire en toute sérénité des livres qui soient des livres et passer ainsi à travers les mailles du filet tendu par le système exclusivement marchand.

Voilà donc les réflexions que m’inspirent l’Appel des 451 et la brochure Querelle des modernes et des modernes.
Affaire à suivre ?
Na razie nie wiem.

12:42 Publié dans Appel des 451 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

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