13.08.2012
L'enracinement de l'exil - 1 -
PREMIERE PARTIE
Mon pays
Qu’elle émane d’un autochtone ou d’un Français de passage ici, la question m’est souvent posée de savoir si mon pays me manque.
En soi, c’est une question profonde mais posée, il me semble, sur le mode du comment ça va ? Une question de l’urbanité la plus élémentaire, dont on n’attend pas forcément une réponse, quand on ne s’en fout pas éperdument.
Du temps où je travaillais - peu car me souciant comme d’une guigne de gagner beaucoup -, j’avais fait l’expérience amusée, un beau matin où un collègue me demandait, comme tous les matins et comme tous les collègues, si ça allait, de répondre : non, ça n’va pas du tout. Déstabilisation immédiate, trahison du code social, gêne, affolement et fuite.
Surtout ne pas risquer les confidences humaines d’un malaise putatif de l’autre. C’est pourquoi, à la question comment ça va, on répond toujours oui, même si on est aux prises avec les tourments les plus cuisants.
J’avais ainsi pris l’habitude, voulant comme tout le monde sacrifier au code de bonne conduite, de saluer mes collègues d’une formule qui incluait la réponse: Comment c’est-y que ça va bien ce matin ?
C’est donc à ce genre de phénomène que me fait désormais penser la question récurrente : est-ce que ton pays te manque ? Et je me suis ainsi fabriquer une métaphore à quatre sous, que je ressers à chaque fois et qui, je crois, satisfait toujours la non-curiosité de mon interlocuteur :
- Je suppose qu’un marin isolé sur la mer, même amoureux de la mer, a parfois le mal de terre…
C’est une dérobade. Je n’ai en effet pas envie de dire en deux mots si mon pays me manque ou non. C’est beaucoup plus compliqué que cela et c’est un sujet qui, à mes yeux, après sept ans d’exil, mérite en profondeur un long développement. Ne serait-ce que pour y voir moi-même plus clair.
C’est le genre de question auquel, peut-être, seule l’écriture peut répondre.
C’était en mai 2005. La décision de quitter mon pays était ancrée en moi depuis un an déjà. C’était une décision qui m’effrayait et m’enthousiasmait tout à la fois. Je n’avais jamais fait cela, évidemment, je ne savais ni la longueur, ni même le profil de la route sur laquelle je m’engageais. Je ne savais rien de tout cela car je ne savais pas, intérieurement, ce qu’était un pays affublé d’un adjectif possessif. Mon pays. Je n’avais jamais utilisé cette équation, je ne l’avais jamais ressentie, je la jugeais surannée, sans fondement, et même profondément dangereuse. Être français ne faisait pas partie de mon identité, sinon pour les flics et la sécu. Voyageant, en trimardeur ou en touriste, en Espagne, Italie, Danemark, Allemagne, Suisse, Angleterre ou Allemagne, j’avais, comme tous les vacanciers du monde, mon pays dans mon sac et voyageais en parallèle et en boucle, certain que le point de départ, à moins d’un accident mortel, serait aussi le point de retour.
Voyager ainsi, c’est voyager pour voir et entendre seulement. Goûter un brin de culture comme on goûte un amuse-gueule exotique, avant d’en revenir à la saveur bien de chez nous du plat principal.
C’est bien aussi, mais ce n’est pas ce voyage que j’entamai en mai 2005. J’allais passer des frontières qui, peut-être, se refermeraient derrière moi, enjamber des ponts qui, peut-être, seraient coupés une fois la rivière franchie.
Et quelques mois plus tard, évoquant le moment précis où j’avais mis ma décision d’exil à exécution, à un carrefour en pleine campagne, marqué d’un stop, j’écrivais à un ami :
« Ce stop, vois-tu, semblait avoir été posé là pour moi seul et comme limite où devaient s’exprimer, sans qu’aucune dérogation ne soit permise, en même temps la fin de la duplicité et le commencement du courage à vouloir vivre sa vie, à droite comme à gauche.
Le ciel de mai était gris, froid, bas et moche. Je voyais des corneilles bousculées par le vent et qui planaient sur les blés en herbe. Une responsabilité énorme pesait sur mes épaules, depuis toujours peu portées à les recevoir, les responsabilités. Si je prenais à gauche, on pleurerait à droite et inversement.
Que s’est-il passé exactement ? Je ne saurais aujourd’hui trop bien te le dire. Je me souviens avoir hurlé de joie une fois que la voiture eut bondi à plus de cent cinquante à l’heure vers l’entrée de l’autoroute. J’ai hurlé de joie parce que je fonçais vers une décision prise, irrémédiable et franche. Vers d’autres horizons dont je ne connaissais pas encore la couleur et que j’habillais simplement d’espoir.
Aujourd’hui, installé dans cet hiver que la neige englouti, à plus de 2500 km de tout ce que fut jusqu’alors ma vie, dans une langue où je n'entends que des chuintements, heureux et reposé, je me demande souvent ce qui se serait passé si j’avais tourné le volant à droite.
Je ne le saurai jamais. Je mourrai sans le savoir.
Parce que nous sommes des êtres inachevés, des prétentieux qui nous croyons maîtres de nos destins alors que nous ne comprenons rien à la mise en scène de notre propre histoire. Nous sommes suspendus aux quarts de secondes passionnels….» etc.
Ce que je cherche à savoir aujourd’hui c’est en quoi ce coup de volant à gauche, a profondément modifié ma vie.
Répondre donc, sans ambages ni tricheries, à la vaste question : est-ce que ton pays te manque ?
A suivre au cas où cela vous intéresserait…
Image : au bord du Bug
09:46 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
J'adore quand vous vous faites un tantinet cabotin, moi je n'ose jamais et c'est sûrement un tort. Tenez, après tout je me lance ; ma fouille de la semaine dernière par exemple : remplir brouette vider brouette remplir brouette vider brouette ect... en râlant sur mon destin de taupe et surtout sur ces imbéciles de carolingiens. Ah ! si j'avais "fait" styliste ou psycho-quelquechose, toute la journée bien au frais dans un bureau... Et voilà ! on creuse sa tombe avec ses choix, c'est comme ça !
Écrit par : Alfonse | 13.08.2012
Me demande - à tort peut-être- ce que pourrait bien écrire un ou une qui ne serait pas un "tantinet cabotin". Il parlerait des autres ? Oui, sans doute, mais à travers lui. Cabotinage camouflé, quoi.
Fouillez, Alphonse, fouillez les mémoires ensevelies. J'avais un ami, en France, qui vous aurait envié jusqu'au délire.
Moi-même aimait traîner sur des restes de villas gallo-romaines, trouver une coquille d'huitre, un bout de fer, l'éclat d'une poterie.
Écrit par : Bertrand | 13.08.2012
C'est drôle, j'ai fait moi aussi l'expérience il y a quelques années de répondre "NON, ca ne va pas" à un collègue le matin. Mais, en fait, il n'a même pas entendu ma réponse vu qu'il était déjà à l'autre bout du couloir quand je répondis...
Désormais, j'adopte la plupart du temps le principe du :
never explain
never complain
que j'ai découvert en lisant Ella Maillart...
Écrit par : corinne | 24.08.2012
Sage résolution et votre source ferait bien du plaisir à notre ami JLK.
Écrit par : Bertrand | 24.08.2012
...quoiqu'il en soit : commencer à imaginer un futur meilleur, n'est-ce pas lui donner la possibilité d'exister un jour ?. Le bonheur, tout compte fait, est peut-être à composer avec les moyens du bord, comme une partition compliquée....
Écrit par : C..... | 11.09.2012
Le bonheur, ouais, c'est souvent dans l'avenir. Pas toujours, mais trop souvent quand même.
Écrit par : Bertrand | 12.09.2012
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