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15.06.2012

Une réflexion assassine

pomme8.jpgEcrivain de plus en plus méconnu - selon certaines mauvaises langues du sérail à cause de la désastreuse banalité de son imaginaire et, plus probablement selon lui, grâce à la profondeur avant-gardiste de son style et de ses vues - Jacky déambulait, un verre de champagne tremblotant dans une main, un biscuit mal assuré et à moitié grignoté dans l’autre.
Il déambulait gauchement au milieu de cette petite sauterie littéraire organisée par l’ami d’un ami d’un copain d’un de ses ex-beaux-frères.
Il y avait là quelques dames élégantes et quelques messieurs bien mis qui, lui semblait-il, se connaissaient tous les uns les autres puisqu’ils bavassaient par petits groupes, les uns rieurs, les autres lugubres et sérieux. Des journalistes, des écrivains, des poètes et même un metteur en scène, selon ce que
lui avait dit son ex-beau-frère, en tordant le nez comme quand on veut faire voir à l’autre qu’on lui file un sacré tuyau… Gratuit en plus.
Emu, Jacky reconnut, pour l'avoir vu pérorer chez Pujadas l'avant-veille, le romancier Edouard Tatoufau, auteur d’un récent roman, grand succès de librairie et dont on prétendait même qu'il serait à l'automne en lice pour le Goncourt. Il aperçut aussi Bernadette Filemouadupès, critique littéraire à Libre ration. Il tenta une approche en souriant benoîtement dans sa direction. Sans aucun succès. Elle ne le vit même pas.
Il s’ennuyait à crever, le gars Jacky. Il avait chaud aussi, tout empêtré dans son vilain costume. Personne ne lui adressait la parole. Personne ne lui souriait. Personne ne le voyait. Il errait dans un affreux néant.
Le seul échange qu’il avait réussi à soutirer jusqu’alors, c’était quand un gros ventru dégoulinant de sueur l’avait malencontreusement bousculé en accourant les bras ouverts vers un de ses amis qui venait de faire son entrée dans la petite salle de réception, qu’il s’était excusé vaguement et que Jacky, aimable, conciliant et souriant avait répondu, je vous en prie, ce n’est rien.
Il eût été tout aussi bien inspiré en bredouillant : ce n'est que moi.
Depuis, il n’avait pas eu la moindre occasion d’ouvrir la bouche, sinon pour faire mine de siroter son champagne et de grignoter une friandise.
Humilié, il allait s’exclamer, à part lui bien sûr, tas de nuls dévergondés ! Vils laquais de la putasserie marchande, et prendre la poudre d’escampette, quand une jeune femme tout sourire et qui aurait pu être belle si, hélas, elle s’était au moins vêtue avec un peu moins de recherche tapageuse, s’était approchée de lui, la main délicatement tendue :
- Ah, monsieur Dugland !  Comment allez-vous, cher monsieur ? Savez-vous qu’il m’a été récemment donné de lire votre roman ?
Enfin ! soupira le pauvre Jacky... Et il se fit aussi suave que du miel d'acacia fraîchement extrait de la ruche :
- Le dernier ?
- Oui,  je crois effectivement que ce sera le dernier.

Publié sur les Sept mains au printemps 2009.
Image : Philip Seelen

11:05 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Ah ! j'adore...

Écrit par : kohnlili | 15.06.2012

N'est-ce pas que c'est adorable ?
Mais ce n'est là que pure fiction, que pure fiction, bien sûr...

Écrit par : Bertrand | 15.06.2012

Fiction au gant de crin, évidemment...
Aujourd'hui, spécialement pour vous, c'est "Maison de la Presse".

Écrit par : Alfonsin | 15.06.2012

Lu, merci. Les pilleurs de site. les archéologues du dimanche. Contrefaçons.
Merci.

Écrit par : Bertrand | 15.06.2012

Les commentaires sont fermés.