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09.11.2015

D'une langue l'autre

littérature,écritureLa route accompagne la forêt, mais d’un côté seulement. De l’autre, s’étirent des prairies et des chaumes ravinés de pluie sur lesquels le vent bouscule des herbes folles, jusqu’aux lisières d’une autre forêt.
La même, en fait.
Nous ne savons même plus quand nous traversons des clairières. Nous ne savons même plus donner leur juste nom aux paysages. C'est que nous sommes trop grands pour ça ! Nous avons d’autres soucis. Nous sommes des gens sérieux !
C’est un bel endroit pourtant et le soleil, entrecoupé de gros nuages blancs, se balade au-dessus.


Il déboule sur ma droite. Il a surgi de la profondeur des pins. Il est impressionnant. Avec une couronne royale, superbe, large, qui s'étale sur sa tête. Et il court très vite, l’autre limite de la forêt en point de mire. La clairière doit lui sembler bien immense ! Comme si l'horizon reculait sans cesse. Comme dans les mauvais rêves.
C’est un cerf. Puissant, roux, les naseaux au vent.
Je m’arrête. Nous le suivons des yeux. Il disparait bientôt dans l’ombre des sous-bois lointains. Enfin chez lui.
La lumière arrosait sa robe.
Jeleń. Le cerf. Un faux ami. Pas l’animal, mais le mot qui le désigne aux hommes. Sa prononciation, yélègne, me l’a souvent fait confondre avec l’élan, autre grand cervidé parcourant ces forêts humides de la proche vallée du Bug. L’élan, c’est łoś. Rien à voir.
Et ce jeleń, ce cerf, est un mot qui n’est pas très gentil pour les Polonais. Car il désigne aussi, appliqué aux humains, celui qu’on peut rouler facilement ou qu’on se propose de rouler dans la farine.  L’ingénu. La proie facile des malfaisants.
Je cherche pourquoi. Sans résultat. Un équivalent peut-être en français ? Oui. Il faut, dans ce cas-là, traduire le cerf par pigeon.
J'illustre. Il y a quelques décennies, en virée quelque part dans le Lot avec trois copains de mon joyeux acabit, nous cherchons une auberge et nous la trouvons bientôt, douillettement ombragée par de vénérables arbres… Avec un ruisseau qui  gambade en son jardin. Charmant, tout ça. Exactement ce qu’il nous faut. Oui, mais l’’enseigne, qui se balance sous la brise d’été, grince : Aux quatre pigeons… Moues dubitatives. Ça tombe mal : nous sommes quatre et l’un de mes compagnons de marmonner, au moins, ils annoncent la couleur !
Ici, c’eût donc été Aux quatre cerfs. Aucun sens détourné, aucune évasion allégorique possible. Ou alors une auberge pour des cocus. Quatre cocus en vadrouille cherchant à noyer leur chagrin dans le fond des verres.

Et oui, je suis cocu, j’ai du cerf sur la tête, chantait Brassens…

Quel écart, donc, entre les images-raccourcis d’une langue à l’autre ! Une vision différente du monde. Une imagerie de l’imaginaire sans rapport l’une avec l’autre.
Mais j’insiste :
- Pourquoi un cerf ?
- Et pourquoi donc un pigeon ? me rétorque-t-on avec juste raison.
- Je n’en sais ma foi rien. Je consulterai les dictionnaires.

Et je n’apprendrai alors que d’insipides évidences. Plumer un pigeon, vieille expression du XVIe, pour dire duper. Rideau. Ces dictionnaires ne semblent pas en savoir plus long que moi. Sinon qu’il y a aussi le dindon. De la farce, le plus souvent. On peut aussi plumer un dindon, c'est bien vrai ; surtout si on se propose de le bouffer. C’est d'ailleurs fortement conseillé.
Plumer un cerf me semble plus délicat....
Tout cela ne me construit donc aucune passerelle entre le cerf polonais et le pigeon français. Chaque langue a-t-elle ses propres transpositions anthropomorphistes ? Sans doute.
J’en conclurai donc plaisamment que dans un couple franco-polonais - je dis ça au hasard, bien sûr - si on laisse se répandre l’ennui, par exemple, alors, le pigeon serait celui auquel on planterait du cerf sur la tête.
Mariant ainsi les deux langues dans l’infortune.

14:03 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

A tout hasard, est qui il y a une légende de votre pays d'adoption sur baribal..
Je m'excuse un peu a coté de mes pompes....
Tout va bien
Je n'ai pas encore lu un de vos livres mais bientôt...
Mariant les langues dans l'infortune j'aime bien

Amicalement comme d'habitude

Écrit par : george | 10.11.2015

"celui qu’on peut rouler facilement ou qu’on se propose de rouler dans la farine. L’ingénu. La proie facile "
Peut-être justement parce que le cerf a des cornes, comme le cocu de Brassens. Naïf et croyant à la fidélité de sa femme, il sera berné par elle.

Il faudrait voir par quelle image on désigne un cocu en polonais.

Écrit par : Feuilly | 10.11.2015

Sans doute, oui. Les cornes sont effectivement allégories aussi en polonais pour moquer l'infortuné mari :)

Écrit par : Bertrand | 11.11.2015

Les commentaires sont fermés.