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28.08.2014

Pologne et histoire

littératureOn peut dire des choses fausses sur le présent. Ça s’appelle des erreurs ou, si elles sont volontaires, des prises de position.
On peut dire des choses fausses sur l’avenir. On ne peut même dire que cela à mon sens, tant la marche du monde est falsifiée
et surtout tant, en matière d'avenir, on s’appuie le plus souvent sur une logique, un système d'analyse, que la réalité se charge de démentir.
Il n'y a pas moins scientifique ni moins matérialiste que l'histoire et le tristement célèbre matérialisme historique a conséquemment fourni maintes fois la preuve de son inspiration purement spéculative.

Sur le passé, l’erreur est le plus souvent idéologique. Il s’agit d’une appréciation orientée par des engagements pris dans le présent. Le révisionnisme stalinien en fut le parangon le plus cruel : on fait dire au passé ce qu’on attend de lui dans le présent. Moins dramatique, mais tout aussi probant - par exemple mais nullement par hasard - tous les historiens, loin s’en faut, n’ont pas la même lecture de la Commune de Paris. Pour les uns, c’est un mouvement spontané du peuple à la recherche de son honneur et de sa dignité, pour les autres, c’est un ramassis de voyous, d’ivrognes, de déguenillés, de pervers et de pouilleux. Parmi les contemporains, écrivains et non historiens, de cet exécrable vision des choses, j’ai déjà cité, dans un autre texte, l’affreux Théophile Gautier et le bon bourgeois Flaubert.

La lecture du passé de la Pologne ne peut prêter à aucune confusion. Ce passé sent la poudre, le sang, les larmes et le déchirement. Cette Pologne fut aussi, on le sait, le théâtre de la catastrophe majeure du XXe siècle. A quelques kilomètres de chez moi, en sont encore les stigmates… C’est une des raisons pour laquelle - je dis bien une des raisons - je suis révulsé, haineux même, quand, parfois, j’entends parler ou vois écrit : Les camps polonais.
Il faut un sacrée dose de culot et de malhonnêteté perverse pour oser employer une telle expression. C'est tout simplement confondre  le billot et le bourreau.
Je me demande vraiment ce qu’en pensent les Allemands, eux qui pensent toujours à la place des autres... En mieux, bien sûr.
Une lecture plus reculée dans l’histoire de la Pologne se confond avec cent vingt-trois ans d’anéantissement. Plus d’un siècle durant, le pays rayé de la carte. Et si on regarde cette période d’un peu plus près, on voit que ce ne sont ni les armes ni les insurrections qui l’ont fait renaître de ses cendres le 11 novembre 1918, mais la pérennité de sa culture.
L’écroulement des Empires centraux fut en effet l’opportunité historique, l’événement gigantesque qui souleva la chape et on découvrit sous cette chape un peuple qui n’avait pas voulu laisser mourir son identité. Sans la culture, il n’y aurait plus rien eu de la Pologne à sauver, sinon un territoire géographique.
Songez – sans nous faire les apologistes des prix littéraires ou autres mais simplement en les considérant comme des points posés sur l’histoire-  que trois prix Nobel on été attribués à des Polonais sans Pologne ! Sienkiewicz pour la littérature et Marie Skłodowska, alias madame Curie, pour la physique et la chimie.  Mais que ces arbres ne cachent cependant pas la forêt de tous les littérateurs, artistes et autres musiciens ! La revue Kultura installée à Maisons-Laffitte a su aussi entretenir sous les décombres d’un pays, le feu d’une culture spécifiquement polonaise.
Ce qui fit d’ailleurs dire à Alfred Jarry : la preuve que la Pologne existe, c’est qu’il y a des Polonais.
Ce qui fit dire aussi que la France fit exactement au XIXe siècle le contraire de ce que tentera la Russie stalinienne au XXe. La France a sauvegardé une grande part de la culture de Pologne, Staline a essayé de l’anéantir, notamment avec Katyń.

Tout cela devrait donc faire réfléchir les hobereaux libéraux au pouvoir aujourd’hui, tous issus de Solidarność, qu'ils soient maires, présidents de région ou autres. Quand je vois en effet qu’on ampute les budgets culture de plus des trois quarts pour faire des ronds-points et des ponts, je me dis que ces nouveaux maîtres n’ont absolument rien compris à l’histoire de leur pays.
Car ils enterrent l’arme par laquelle il s’est vu ressusciter.
Pour ressembler aux autres. Pour vivre en Europe.
Mais à force de ressembler aux autres, on n’est plus bientôt que les autres.

Et c'est bien ce que me disait, en substance, l'ami qui me fit la gentillesse d'une visite cet été. Spontanément, cet ami a ressenti
autre chose sur ce territoire  ; une chose perdue en France. Il disait qu'un certain bonheur du vivre ensemble flottait encore dans l'air des rues. Comme dans la  France des années 60.
C'est sans doute parce que la Pologne, surtout à l'est, n'a pas encore totalement bradé sa mémoire à l'illusoire vivre ensemble européen.
Les fâcheux appelleront cela du repli identitaire, voire du nationalisme.
Les fâcheux  ignorent le mot mémoire.
Mais qu'ils se rassurent
cependant : la mémoire polonaise est en sursis. Le projet que nous fomentent les imbéciles mondialistes de tous poils fera que partout sera en même temps nulle part, et vice-versa.
Ils nous préparent le monde de l'impossible exil.

Illustration : Adam Mickiewicz, écrivain et collègue de Jules Michelet au Collège de France

14:58 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Et donc le monde de l’impossible voyage, également. En Pologne de l'Est, contrée que le consumérisme libéral n'a pas encore ravagé, on se sent bizarrement bien plus français qu'on ne le sent aujourd’hui en France même, parce qu’on se retrouve en Pologne, précisément, dans un lieu spécifique, un pays qui ne s’est pas encore dilué dans le no man’s land marchand de la zone et de ses mirages. Cela est vrai dès le premier soir à Varsovie, lorsqu’un parler étranger mélodieux vient frapper notre oreille, qu’une monnaie inconnue passe par nos mains, et que même la beauté des femmes, leur port, leur tenue, leur finesse, leur réserve et leur façon de marcher, encore différente de celle des hommes, nous paraît singulière.
Et cela se confirme à l’Est au vu des croix qui bordent les maisons, les chapelles dédiées à la Vierge ou au Sacré Cœur emplies de lumignons aux carrefours, les tracteurs et les moissonneuses batteuses qui forcent les bagnoles trop pressées au ralentissement, les vendeurs d’airelles américaines sur les trottoirs, les maisons individuelles alignées au bord des routes, l’absence des banlieues impersonnelles, des centre commerciaux, des publicités omniprésentes. Bien sûr, les enseignes signées Décathlon, les écrans exhibant Canal+, les grandes chaînes hôtelières et les banques sont déjà là, bien implantées, menaces sérieuses que le Polonais de la rue paraît ne pas vivre comme telles, un peu en effet comme le Français des années 60 naïvement séduit par l’american way of life, et inconscient de son effet meurtrier à long terme, sur les paysages comme sur les mœurs.
Votre ami en dira plus un jour prochain sur ces impressions. Merci à vous, en tout cas, de lui avoir permis de les ressentir et de les connaître.
(PS : pour ma part, je comprends mieux ce que vous appelez L’Exil des mots)

Écrit par : solko | 29.08.2014

Excellent analyse. La culture et même la civilisation qui reflètent la vision du monde d'une nation ou d'un ensemble de nations meurent à petits feux devant la matérialité. Leur exil se fait ressentir chaque jour. Alors, que tous participent à leur continuité dans la mesure de leurs moyens.
Lire: "Petits bouts de rien" de Loup Francart, éditions Le Panthéon, 2014, leçon de culture pour tous.

Écrit par : Galavent | 29.08.2014

La culture, oui. C'est pour elle aussi et pour la langue russe que le Donbass s'est soulevé. Le drame commence quand les frontières politiques ne correspondent pas aux frontières culturelles (voir le pays basque, les problèmes en Belgique, etc.)

Écrit par : Feuilly | 29.08.2014

Merci, Solko, de ce long commentaire sur vos impressions, que nous avions échangées de vive voix .
Quand je suis arrivé ici, il y aura dix ans en mai prochain, l’effet avait été encore plus marqué. La pub ne meurtrissait pas encore de façon aussi assassine les paysages et la croisée des chemins, les carrefours étaient modestement aménagés, les gens moins pressés qu’aujourd’hui, surtout dans les campagnes.
Le rouleau compresseur européen n’était pas encore passé par là, il y avait un an seulement que la Pologne avait signé son « arrêt d’identité » en s’ouvrant les portes de l’Eldorado marchand… Je la vois, la différence. Je la sens.
Je comprends que l’on puisse être content de laisser derrière soi la léthargie collectiviste pour marcher sous les illusions de la marchandise. Nous-mêmes à l‘ouest avons avec joie dit adieu aux derniers stigmates de l’esprit néolithique, fin des années 60, pour entrer le front altier dans l’ère du consumérisme et de la fausse richesse… Mais il y a un mais :
Nous avons jeté le bébé avec l’eau du bain et les Polonais sont en train de faire de même…
Cet après-midi je déjeunais avec une dame de Lublin. Je lui disais tout ça. Je lui disais que les Polonais faisaient fausse route comme nous avions fait fausse route… Elle en paraissait affligée, tant qu’elle m’a répondu :
- Nous sommes têtus. Nous sommes des Slaves, nous ne nous laisserons pas faire !
Brave Dame et noble réflexe ! Je n’ai rien répondu mais j’avais sur le bout de la langue cette phrase qui me désespère :
- Eux aussi, ils sont têtus, vous savez !

Merci Galavent… Le but est l’homogénéité dans la médiocrité. Plus on donnera aux peuples, tirés vers et par le bas, l‘impression qu’ils appartiennent à une communauté, plus ils se laisseront guidés vers l’oubli d’eux-mêmes

Feuilly, il y a dans le conflit ukrainien beaucoup de ça : c’est l’Oncle Sam et l’Europe qui tentent ensemble, chacun pour leur profit, d’ouvrir une brèche dans le monde slave. Pour l’engloutir à son tour. Ce sera long, difficile, dangereux, mais, si rien ne change, ils réussiront.
Cette culture, cette église byzantine encore debout, cette écriture, cet esprit continental eurasiatique, tout cela est un mur à foutre en l’air pour ouvrir de vastes marchés et contrôler militairement la moitié de la planète, avec ouverture directe sur les pays du Moyen-Orient.
L’enjeu explique le matraquage et la propagande auxquels se livrent actuellement les médias occidentaux.
Cette diabolisation de Poutine – qui n’est pas un ange, certes – me le rendrait quasiment sympathique

Écrit par : Bertrand | 29.08.2014

Poutine dont les USA ont essayé d'avoir la peau avec l'avion abattu (probablement par eux-mêmes). Ils ont décidé (comme avec Bachar el Assad) que son règne était fini, qu'il avait fait son temps (forcément, il les dérange).
Mais Poutine commet les mêmes erreurs que Sadam ou Kadhafi. Il redoute la guerre et fait des concessions. Il dialogue, tente une issue diplomatique etc. Om bombarde la Donbass et il n'intervient pas, du moins directement et officiellement. Du coup il semble faible aux yeux mêmes des Russes. S'il accepte une Ukraine dans l'Otan, avec des missiles à sa frontière, il est foutu.

Écrit par : Feuilly | 29.08.2014

Voilà comment parfois on lit : je n'étais pas allée au bout du billet de Bertrand que je lisais le commentaire de Solko. Tiens on dirait que Solko est allé en Pologne me dis-je et voilà que Bertrand mentionne la "vive voix" et je me rappelle alors comment l'un et l'autre évoquaient en juin cette expérience de rencontrer un ami d'internet, sans qu'un indice (si ce n'est leur ton, leur humour mais que je n'avais pas interprété jusqu'au bout) nous permît d'établir un lien.

Je relis donc le billet de Bertrand en entier et sans besoin de cliquer sur "l'ami", je com-prends que ces deux-là se sont rencontrés cet été.
Ah ben nom de nom de nom de nom...

Écrit par : Michèle | 29.08.2014

En voilà de bien curieuses manières que de lire le commentaire avant le texte commenté Hiiiiiii :)))!
Hé ben voilà, tu as, à travers les lignes de quelques textes chez Solko comme sur l’Exil, la clef d’un secret dont nous ne faisions pas mystère… Je pensais que « Marie de Kodeń » t’aurait mis la puce à l’oreille.
Bref, ce fut une bien humaine rencontre, pleine de camaraderie… Roland est comme Solko, il n’y a pas de dichotomie entre lui et lui.
Et, par-delà les divergences de vue, c’est bien ce que j’aime chez les gens. Quand je dis « divergences de vue », en fait, je devrais plutôt dire « divergences de moyens » car un même désir de retrouver l’humanité d’un monde nous habite.
En gros.


Cher Feuilly, je ne sais pas. Avec Poutine, l’Otan, les USA et l’Europe - cette espèce d’idiote utile - ce sont des forces gigantesques et contradictoires de l’organisation politique du monde qui s’affrontent.
Se positionner contre l’Otan et les USA, n’est pas pour moi prendre position pour Poutine et vice-versa.
Toutes les idéologies sons caduques devant la catastrophe qui se prépare si les uns et les autres ne retrouvent pas très vite le chemin de la raison…

Mais voilà que j‘cause comme un diplomate, à c’t’heure:))

Écrit par : Bertrand | 30.08.2014

Eh non même avec Marie de Koden je n'ai rien vu.

Je pense qu'en temps normal tu m'en aurais parlé, mais voilà cet été fut celui de la perte d'un ami très cher d'internet et le monde a vu ses contours vaciller...

Écrit par : Michèle | 30.08.2014

Avec un premier ministre devenu président du conseil européen, les Polonais sont mal barrés. D'autant plus que ce choix ne doit pas être innocent par rapport à la situation en Ukraine.

Écrit par : solko | 30.08.2014

@ Solko : bien entendu que ce choix n'est pas innocent. Mais ce gars risque bien de nous entraîner tous dans une guerre.

Écrit par : Feuilly | 30.08.2014

Pas facile de comprendre quelque chose dans la vie politique de la Pologne. Au moins Bertrand tu es clair en disant qu'ils sont tous issus de Solidarnosc et ça se comprend mais ne laisse pas grand espoir quant à la résistance à la politique d'austérité imposée par l'Europe. Mais suis-je capable de comprendre quoi que ce soit aux aspirations d'un pays à peine sorti d'un totalitarisme sanglant et dont en plus je connais mal l'histoire. J'ai une belle-soeur parisienne dont la maman était polonaise. On ne parle jamais de la Pologne et quand elle y va, c'est pour aller faire du ski :)

Écrit par : Michèle | 31.08.2014

Ceci dit je suis d'accord pour penser que les Polonais sont mal barrés avec la nomination de Tusk à la présidence du Conseil européen. Ils ne perdent pas de temps à Bruxelles, laissant l'été aux touristes...

Écrit par : Michèle | 31.08.2014

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