19.03.2012
La vie est belle si on se fait la belle
Il y a quelque temps déjà que j’ai renoncé à cerner intellectuellement les engrenages falsifiés du monde. J’essaie bien, parfois, de transmettre quelque ressenti, une vision des choses, mais globalement, tout ça, passez-moi la trivialité de l’expression, ne va pas pisser très loin. Ça va pisser à peu près aussi loin que les notions de fraternité, de liberté et autres refrains de cantiques lénifiants.
Le vrai monde, celui sur lequel j’ai encore prise, c’est le mien. Celui où je me suis isolé, bon gré mal gré. Celui-ci, je peux encore en parler sans dire trop de conneries.
Mais si j’en parle, ça n’est pas pour intéresser les gens d’une société qui depuis bien longtemps préfère l’effet de manches à la parole, la représentation du réel au réel, la copie à l’original et qui, en dépit des balbutiements d’indignation spectaculaire qu’on peut entendre pétiller de-ci, de-là, ne sait plus dissocier le vrai faux du faux vrai.
Si j’en parle, c’est pour que cette parole participe de mon monde à part entière et par le moyen de ce qui me désintéresse encore le moins, l’écriture ou la musique.
Ce monde-là n’a pas de scène ni d’images. Il ne peut s’exprimer que pour lui et par lui. On y ressent alors la pleine souveraineté d’exister. On s’y sent maître en son royaume, responsable des bons instants comme des pires. Et on aperçoit bien, en ne se préoccupant que de lui, que les chaînes qu’on croyait être tressées autour de soi par les effets pervers d'une organisation sociale, n’étaient en fait soigneusement cadenassées que par soi-même. Par confort. Peur. Faiblesse. Goût immonde du petit, petit lucre et de la survie salariée. Et par mensonge de soi à soi, c’est-à-dire, par, finalement, un certain bonheur masochiste d’avoir à rejeter sur la turpitude des hommes et de leurs sociétés ses propres impuissances à vivre ses tripes.
Ah, si seulement, notre mélancolie n’était qu’un produit fabriqué par d'autres mélancoliques ou méchants ! Quel beau dédouanage de notre propre existence à être vécue ce serait !
Voilà bien le maître mot, le fil conducteur de toutes les révoltes, de toutes les séditions, de toutes les indignations, de tous les discours enflammés : se dédouaner. Et j'imagine souvent, fortement amusé, les aboyeurs publics de la révolte, malheureux comme les pierres des chemins, réduits au silence, ne sachant plus quoi faire de leur salive, dans un monde égal, fraternel, juste, humain, amoureux. Bref, je les imagine réclamant un monde inique, fourbe et cruel qui leur rendrait aussitôt la parole.
Parce qu'ils réclament aujourd'hui la résurrectrion d'une vie dont ils ont une frousse abominable et que, tels les vautours de la savane, ils sont nourris du cadavre de cette vie-là.
Alors celui qui, vraiment, devant sa glace sans témoin, considère sa mélancolie, son mal-être comme la queue de poisson d’une organisation sociale malveillante, n’a que quatre solutions humaines et honnêtes qui se présentent à lui :
- Prendre les armes. C’est risqué. Froides sont les geôles et durs les couches.
- Se suicider. C’est dangereux et, si c'est réussi, c'est définitif. Quelle horreur !
- Mentir sur ses véritables intentions. C’est très facile et même amusant.
- Fermer sa grande gueule. Oui, ça, ce serait bien.
09:47 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Vous êtes très Brassens aujourd'hui "de ne pas trop emmerder ses voisins..." C'est ça ?
Écrit par : Alfonse | 19.03.2012
Il y a un peu de ça, Alfonse :
"Gloire à qui n'ayant pas
D'idéal sacro-saint
Se borne à ne pas trop
Emmerder ses voisins."
Écrit par : Bertrand | 20.03.2012
Propos de Brassens que beaucoup devraient méditer, on s'en porterait sans doute mieux !
Écrit par : L'amisanthrope | 20.03.2012
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