UA-53771746-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02.10.2013

To lipa

littératurePar métaphore, on dit en polonais «to lipa» - c’est du tilleul - pour désigner un objet qui n’a de valeur que son apparence.  De la camelote séduisante. Du made in China, en quelque sorte. Autant dire une marchandise sur deux de toutes celles qui encombrent les comptoirs de nos sociétés frelatées.
On dit aussi to lipa si on soupçonne l’information de distiller perfidement de l’intox, à propos du changement climatique, de la crise, des civilisations qui se valent ou non, et tutti quanti. To lipa, c’est du tilleul, de la fumisterie… Autant dire pour une info sur deux, au bas mot, de celles distribuées par les canaux ayant officiellement pignon sur opinions.
Je vous propose d’ailleurs d’user de la métaphore avec un alliage polono-français pour embrasser en trois mots les centaines de bouffons qui écrivent vos lois dans les somptueux palais de la République : To vraiment lipa !
Mais pourquoi le tilleul, bel arbre, respectable, franc et généreux, me direz-vous avec juste raison ?
Parce qu’il est un arbre coquet : quand  il prend dangereusement de l’âge, il sait ne rien en laisser paraître et s’avise ainsi de tromper son promeneur. Ses frondaisons resteront d’un vert chatoyant, ses fleurs continueront d’exhaler ce parfum si délicat qui monte légèrement à la tête dans les pénombres crépusculaires du  mois de juin, ses branches se dresseront encore vigoureusement vers le ciel et salueront les nuages, quand l’intérieur du tronc se sera déjà vidé de toute sa substance ; sera devenu absolument creux, de telle sorte que la moindre saute d’humeur d’Eole serait bien en mesure de le jeter au sol.
Un colosse aux pieds d’argile.

To lipa s’inscrirait donc comme l’exact contraire de notre expression, c’est du chêne, c'est du solide, du rustique, du fiable… Lipa est pourtant inscrit au calendrier polonais, sur lequel juillet s’énonce lipiec, le mois du tilleul.

C’est donc d’un œil assez goguenard - sans toutefois aller jusqu’à la suspicion - que j’ai pris l’habitude de contempler les quatre tilleuls qui bordent l’allée conduisant à ma maison. Je les aime, ces arbres. Ce sont sur leurs branches encore vides que les grives litornes, à la mi-mars, chantent leur retour ; ce sont sur leurs fleurs que j’entends bourdonner les milliers d’abeilles de l’été ; ce sont eux qui, les premiers, m’avertissent de l’automne frappant déjà à la porte, avec leurs feuilles qui jaunissent et se recroquevillent vilainement dès la fin septembre. Ils sont la pendule de mes saisons et ils ont fière allure. Je ne puis décemment croire qu’ils me trompent sans vergogne et que leur intérieur ne soit qu'une catacombe !
Ils ont en vu, sans doute, des hivers à faire grelotter leur corps endormi ! Ils sont nés là, ils ont la culture de l’est…
Il y a deux ans, pourtant, l’un d’entre eux a craqué. Le plus gros, le plus beau. Les moins trente et les moins vingt cinq et les moins vingt en plein midi avaient eu raison de son histoire : son tronc s’était littéralement fendu en deux sous la morsure. Et je voyais alors ce que je n’aurais dû voir. Ce lipa-là, ce n’était vraiment pas du lipa ! Son intérieur était dur, filandreux, épais, sain. Eût-il été véritablement lipa, que, peut-être, le gel n’aurait rien eu à mordre, que je me dis.

Un jeune paysan m’avait assuré que le véritable responsable de cette blessure déloyale avait surtout été un début d’hiver anormalement doux et humide. L’arbre, rêveur, s’était cru un moment transplanté sous une autre latitude, avait remonté un peu de sève, en avait imprégné ses fibres et s’était fait surprendre en flagrant délit de non-respect du grand mouvement des choses.  
Je connaissais bien sûr l’expression «geler à pierre fendre»…Je dis désormais, « geler à fendre les arbres ».

Je lui ai porté secours, à mon arbre. En colmatant la blessure. Il faut toujours porter secours, par respect de soi, aux grands rêveurs inopinément fauchés par la cruauté du monde.

littérature

09:13 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

J'aime bien cette idée de venir porter secours aux arbres...

Écrit par : Feuilly | 02.10.2013

grâce à vous, grand prêtre de la nature, j'aurai encore appris quelque chose; un peu déçue tout de même que ce merveilleux arbre que j'aime tant, soit "bidon", "du toc"; je n'ai pas trouvé d'autre traduction,à mon sens camelote n'est pas juste , non plus que pacotille.

to lipa, je retiens , pouvez-vous, cher ami faire de temps à autre le professeur de langue?Dans ce monde de faussaires, çà pourrait servir merci A.M

Écrit par : Emery | 03.10.2013

Cher Feuilly, ils en ont parfois grand besoin. Avec la folie meurtrière des cultures intensives.

Ce n'est pas juste, Anne-Marie. C'est vrai. Moi aussi, j'aime beaucoup les tilleuls.En forêt de Białowieża il en est de géants, qui ne sont nullement du " toc"... Du moins d'extérieur

Écrit par : Bertrand | 07.10.2013

Les commentaires sont fermés.