10.02.2012
Matin
Cinq heures à peine. Un coup d’œil sur le thermomètre suspendu à la fenêtre. Moins 25. Aie, ouille, ouille ! Bon…
Un coup d’œil sur celui suspendu à la bibliothèque. + 17. Bon, c’est pas bon du tout.
Je pense soudain qu’entre cette nuit que j’entrevois derrière le carreau, juste devant mon nez, et mon corps, il y a 43 degrés de différence. Sortir serait engouffrer la tête dans un congélateur. Un congélateur mal réglé en plus. Trop puissant.
Je m'amuse soudain du père du narrateur du Front russe : dix sept, c’est bon pour la planète ! Et bien fi de la santé de la planète, ce matin ! Il faut rallumer les chauffages. Prendre un petit déjeuner confortable.
La pénombre du dehors est blanche de neige et pleine de lune. Le village immobile encore. Aucune fumée aux cheminées qui semblent implorer de leurs silhouettes noircies des étoiles de glace. Bientôt je surveillerai celle de ma voisine, la mémé de plus de quatre vingt ans et qui marche à pas courbés sur le bout de la piste, pavée de la plus cruelle des intentions... Dès que les petits nuages de son maigre feu monteront vers le ciel, ils me diront, " Pas de problème. Nuit vaincue. Je vois ce jour nouveau."
Un coup d’œil au calendrier. 10 février…Ça ne me dit rien, le 10 février. Qu’une goutte supplémentaire tombée sur la fuite du temps.
J’aimerais écrire aujourd'hui quelque chose qui dise silence, paysages congelés, bonheur d’exister, grand mouvement des choses et lutte incessante contre les rigueurs du climat, depuis bientôt un mois maintenant.
Et quand je regarde toute cette froidure statufier l'énergie et anéantir le mouvement, j’imagine un instant, là, devant les flammes qui ronronnent maintenant et le café qui fume, la grande solitude de la vie sauvage. Le renard qui rentre, la queue basse sur le désert des champs après une nuit de maraudage inutile et glacial, les quelques oiseaux amaigris qui attendent l'aurore pour se mettre en quête d’une improbable pitance.
Il y a quelques soirs de cela, m'en revenant d’un village voisin, deux masses énormes se sont soudain dressées en travers de ma route, encore plus gigantesques sans doute dans la lumière des phares. J’ai pilé, sans savoir pourquoi je pilais. Comme on pile par instinct de conservation. Deux élans nonchalants, sombres et hauts tels des chevaux sauvages, traversaient. Ils ont tourné leurs grosses têtes vers cet intrus, briseur de silence et d’ombres. J''ai vu leurs yeux globuleux allumés comme de muettes remontrances.
Là-bas, derrière les arbres et les toits, au dessus de la Biélorussie, s’allume le rose équivoque d’un pas de plus vers l’équinoxe des éternels retours, les orages de l'été, les feuilles de l'automne, les neiges de décembre et les tombes promises.
11:36 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
C'est un beau texte, plein de vie et de mort à la fois, la rencontre des élans est
magnifique. (Comment s'appelle cette "mémé" dont tu parles parfois? elle vit seule?Des enfants viennent lui rendre visite?)Comme Solko je pense à toi par ces froids bien plus intenses que les nôtres.
Écrit par : Sophie | 10.02.2012
Un élan d'une bienveillante indifférence,il faudrait se souvenir de l'avoir chaque matin et aussi toute la vie. Mais ici on ne croise que des lapins !
Écrit par : Alfonse | 11.02.2012
Sophie, la mémé a un joli visage tout souriant, tout plein de bonté. Elle est toute menue et toute gentille. Elle vit seule et son fils vient la voir, le plus souvent sur un week-end...
Il arrive que je l'emmène au dispensaire de Łomazy, pour des médicaments à renouveler. Elle propose toujours 10 zlotys et comme je refuse, elle dit cette phrase que je trouve magnifique : il n'y a que l'eau dans le Bug qui est gratuite !
Quand je la regarde, je pense toujours qu'elle a vécu toute sa jeunesse sous Staline !
Alphonse, oui, prendre son élan...Mais en voilà deux que je n'aurais pas voulu prendre sur le capot de ma voiture, justement. Même sans élan.
Merci de votre lecture
Cordialement
Écrit par : Bertrand | 13.02.2012
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