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04.01.2012

Lire de la littérature

littératureJe n’ai jamais lu Eric Bonnargent ailleurs que sur le net, plus précisément sur l’Anagnoste, blog de très belle tenue aux destinées duquel il préside en compagnie de Marc Villemain ; dans certains textes publiés sur le blog de Juan Asensio et, également, à l'occasion du débat sur la littérature qu’il nourrit à parts égales avec le susnommé Juan Asensio et François Monti, débat que je vous recommande, d’ailleurs, de lire si ce n'est déjà fait.
Cette lacune est certainement un tort, j’en conviens sans ambages. Mais le nombre d’auteurs qui méritent qu’on les lise et que je n’ai pas encore lus, est effrayant au point de m’effrayer moi-même ! Faute de plein de choses, surtout vivant dans un pays où les librairies françaises ne fleurissent plus beaucoup depuis que, poussées par les vents lénifiants de l’ouest-Eldorado, les librairies anglaises plombent le marché du livre - le monde-image a besoin de codes, pas de mots - et que la langue française, longtemps considérée par les Polonais comme l’expression même de l’esprit, est en décadence complète, à tel point que son enseignement dans les collèges est sur le point d’être abandonné. Varsovie, 160 km de la frontière orientale où j’ai élu domicile, compte une librairie française, encore faut-il y commander préalablement l’ouvrage qui vous intéresse. Lublin n’a pas de librairie française, stricto sensu, sinon une librairie linguistique et universitaire, avec un rayon offrant quelques étoiles du hit parade, genre Le Clézio. Houellebecq, les jours bien achalandés.
Je ne digresse pas…C’est bien de lecture et d’Eric Bonnargent dont je veux parler. Donc, difficultés à me procurer certains livres et redécouverte des grands classiques emportés dans mes valises, ou alors achat à la librairie de Varsovie, ou bien encore, demandes à des amis de France, ce qui, à la longue, est un peu délicat.
Je vous raconte tout ça en préambule car, dans une interview accordée à Joseph Vebret, Eric Bonnargent dit la chose suivante :
«  (…°) je n’ai rien contre les livres purement distrayants, du moment qu’ils respectent la langue. Mais si un grand livre peut être distrayant, cela ne peut en aucun cas être sa seule qualité. La grande littérature peut distraire, mais telle n’est pas sa fonction. Madame Bovary n’a aucune fonction à distraire le lecteur. Par contre, si Fred Vargas ne parvient pas à nous distraire, alors elle a raté son but. Et, quand je veux me distraire, je lis bien volontiers un Fred Vargas ! »

Il me semble qu’il y a là, non pas une approche littéraire de la littérature, mais une approche purement philosophique, d'une part, et que, d'autre part, le mot distrayant est employé à la légère, dans son acception la plus vulgaire.
Car si Eric Bonnargent nous dit qu’elle n’est pas la fonction de la grande littérature, il ne nous dit en rien ce qu’est cette fonction. Il dit bien par ailleurs qu’un grand livre est un livre écrit dans une belle langue au service d’une certaine vision du monde, mais ceci ne peut pas lui être compté comme ayant énoncé la fonction de la littérature.
La littérature - ça me semble tomber sous le sens - doit être bien écrite. Une peinture, au risque d’endosser le statut de croûte, doit être bien peinte, une musique, au risque d’endosser celui de soupe, doit être jouée juste et savoir marier les sons d’harmonieuse façon, comme la phrase s’applique à le faire avec les mots. Disons que nous sommes là sur le strict terrain de l’esthétisme, sur le champ de l’art, et que nous ne devrions pas en sortir, s'agissant de littérature.
Parce qu’en la matière, plus que partout ailleurs, la forme n’est jamais dissociable du contenu : si je veux dire que le monde est un monde traversé par un dépérissement désastreux de l’humanité et de la fraternité, si j’ai envie de gueuler sur les faux-monnayeurs qui nous assaillent, devrai-je pour autant travailler mon style ? Oui, si je recherche non pas un monde plus beau, mais la représentation artistique de mon opposition à ce monde.
Sinon, j’écrirai des gros mots sur les murs de la ville ou, mieux, voire pire, j’irai physiquement affronter ce monde. Mais là, n’est pas le propos de la littérature qui, avant toute autre chose, est représentation. Sortie de ce champ-là, elle trahit son propos.
L’art est donc, par définition, distrayant, si je prends le mot à sa racine, si j’en extirpe la sève fondatrice. Est distrayant ce qui distrait et ce qui me distrait, littéralement, détourne mon esprit de mes occupations, voire de mes préoccupations. Je n’ouvre donc pas forcément un livre de littérature pour enrichir mes occupations ou mes préoccupations d’un nouvel apport didactique, mais pour m’en détourner par l’entremise de l’art, même si ce que je vais lire peut rejoindre ces occupations et ces préoccupations : elles seront alors médiatisées par l’art de les dire et surtout par un autre.
La souffrance lue peut distraire de la souffrance éprouvée. Elle le doit même, si tant est qu’elle ait distrait l’auteur de la sienne propre.
Si je veux donc aller plus loin dans ma recherche du monde, affiner ma vision, j’ouvre un livre de philosophie. S’il en existe encore un à portée de main.
L’écriture est un acte profondément onaniste et narcissique. Un acte de détournement du monde par le biais du plaisir pris à le représenter. C’est quand je s
ais lire, entre les lignes, ce plaisir* pris par l’auteur, quand j’ai plaisir à lire ce qui m’aurait assurément procuré du plaisir à écrire, que je dis : voilà, pour moi, un grand livre !
Et le «pour moi» est essentiel. Pour toi, ce livre sera peut-être une merde.

Car la littérature est une grande Dame : cherchez à l'enfermer dans vos convictions, refermez la porte derrière vous pour la cloîtrer dans vos habitudes et vos propres visions du monde, et elle saura se faire la belle par la fenêtre.
Elle a encore ceci de passionnant par rapport aux religions qu'elle ne supporte pas les papes, ni, par rapport à la démence du foutoir libéral, d'agence de notation autre que la foule immensément diverse de ses lecteurs.
Elle souffre en revanche d'un mal qui la tue : ceux qui en sont amoureux le sont de façon tellement névrotique qu'ils cherchent toujours à exclure de ses faveurs d'autres amants, tout aussi habiles qu'eux, mais qui ne lui parlent pas le langage qu'ils ont eux-mêmes adopté pour avoir l'heur de partager son lit.
L'exclusif en littérature court tout droit vers une tête couronnée de cerf.
Et je ne dis nullement toute cette dernière partie en direction d'Eric Bonnargent, pour l'écriture duquel j'ai goût et estime, dans ce que j'en connais.


* Plaisir au sens très large, c'est-à-dire compris aussi négativement comme absence de déplaisir.

15:22 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Cher Bertrand,

Je vais essayer de répondre à vos interrogations en ce qui concerne cette phrase et d'autres sans doute. J'espère que je ne vais pas être trop confus malgré la difficulté du sujet. Tout d'abord, nous sommes d'accord sur la nécessité de l'alliance du fond et de la forme. Le rappeler vous a semblé saugrenu, mais trop de gens oublient (à commencer par certains écrivains) qu'un bon livre doit être bien écrit. Les fautes de syntaxe d'un Marc Lévy, les lieux communs d'un Harold Cobert ne dérangent pas assez de lecteurs.
Quant à la distraction, j'emploie le mot au sens étymologique, pascalien du terme. Je partage avec vous l'idée qu'en un sens la littérature doit être distrayante. Nabokov disait qu'il n'y a rien de plus insupportable qu'un personnage auquel on peut s'identifier et je suis d'accord avec lui. La littérature a une fonction exploratrice, elle doit permettre de nous faire découvrir des choses, susciter en nous de nouvelles interrogations et être agréable à lire. Sans plaisir, pas d'esthétique. Mais lorsque je parlais de littérature distrayante (et vous avez noté que je n'ai rien contre, en lisant aussi parfois), je parlais de divertissement absolu, non seulement un divertissement qui nous détourne de nos préoccupations, mais un divertissement qui nous détourne de toute préoccupation au point de n'en susciter aucune, au point de ne rien susciter. La littérature est parfois ainsi distrayante et, là encore, la comparaison avec le cinéma est valable. Il y a des films qui tout en étant distrayants (au premier sens du terme, celui que vous mettez en avant) disent quelque chose, suscitent la réflexion ou la rêverie, mais il y a aussi des films qui ne sont rien de plus qu'eux-mêmes, qui nous servent seulement à passer le temps, si possible de manière distrayante. Lire un livre peut avoir la même fonction qu'un manège dans une fête foraine. Encore, une fois, je n'ai rien contre, mais il y a littérature et littérature et c'est pourquoi je ne suis pas d'accord avec votre relativisme. Même si elle est difficilement définissable, il y a une échelle des valeurs. Je n'apprécie pas Marguerite Duras, mais je reconnais qu'elle est un grand écrivain, parce qu'elle a un style, parce qu'elle a un dire. Et je comprends donc que Marguerite Duras, indépendamment de mes goûts, soit considérée comme un grand écrivain. Je n'apprécie pas Harold Cobert et, au nom d'un certain idéal, je m'évertuerais à démontrer à ceux, non pas qui le liraient et l'apprécieraient (ils en ont le droit, je ne suis pas un censeur), mais à ceux qui soutiendraient que c'est un grand écrivain qu'il écrit comme un pied.
Suis-je ainsi plus compréhensible ?
Bien amicalement,

REPONSE DE BERTRAND :

J'allais vous signaler, par courtoisie et loyauté, l'existence de ce texte, par un commentaire sur l'Anagnoste, mais vous m'avez devancé.
Ce que vous dites là est très compréhensible et m'éclaire beaucoup sur votre "positionnement", pas sûr que ce soit le bon mot, mais bon...Disons votre pensée, votre sensibilité sur le sujet.
J'entends maintenant avec plaisir ce que vous entendez par ce "distrayant."

"(...) mais un divertissement qui nous détourne de toute préoccupation au point de n'en susciter aucune", oui nous sommes absolument d'accord.

Vous parlez de goût...C'est cela que la littérature doit être assez riche pour assimiler. Même à l'intérieur d'une échelle de valeur. Je reconnais avoir là un peu schématiser (relativiser)de façon outrancière. Car je n'aime pas Duras non plus. Si nous étions devant un verre et que vous me demanderiez pourquoi, je ne saurais vraiment pas quoi vous répondre. Je dirais peut-être ( c'est plus facile à l'écrit) qu'elle ne m'a jamais distrait, justement, au sens où nous l'entendons et que son esthétisme, par-delà un style, ne m'a pas fait éprouver cette sensation que l'on a à lire de la belle écriture.
Voilà, Eric. Suis très heureux de votre intervention et vous en remercie bien cordialement
Bien à vous

Écrit par : Eric Bonnargent | 04.01.2012

Deux références pour faire ma pédante :

1. Il me semble que la notion d'art comme "distrayant" se rattache à la théorie pascalienne du divertissement...

2. Sur le rôle consolateur de la lecture, sa capacité à vous distraire de la souffrance, j'invoquerai la parole bien connue de Montesquieu : "L'étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture ne m'ait ôté." Je recommande à ce sujet le livre de Michèle Petit, « L’art de lire ou comment résister à l’adversité » (éd. Belin, 2008).


REPONSE DE BERTRAND :

Merci d'avoir "pédanté"...

Écrit par : elizabeth l.c. | 05.01.2012

Vous avez raison, Elisabeth, c'est bien à Pascal que je me référais (je suis prof de philo dans la vraie vie). Je ne suis pas d'accord avec le propos de Montesquieu. La lecture doit, je crois, nous détourner de nos préoccupations mesquines pour nous en offrir de nouvelles, plus profondes.


REPONSE DE BERTRAND :

J'ai oublié de vous dire, Eric,que j'avais lu quelques Fred Vargas dont "Pars et reviens vite", je crois, je ne suis pas certain du titre...Je préfère nettement, dans ce registre," Le Poète" Sean connelly. Et cela nous amène à ceci : un livre est bon quand vous n'êtes pas pris en otage par le scénario. Je veux dire qu'il m'est arrivé de lire jusqu'au bout des livres écrits de scandaleuse façon, uniquement préoccupé par la suite, voire le dénouement du livre. C'est ce que j'appelle " être pris en otage".
Un bon livre, selon mes critères, ne vous retient pas prisonnier. Vous le suivez en toute liberté, par un plaisir situé au-delà du livre même.Lecture passive ou lecture active, là est le noeud gordien que saura trancher l'auteur qui, selon moi, sera, est, un grand auteur.

Écrit par : Eric Bonnargent | 05.01.2012

Et revoilà Éric Bonnargent, avec son disque rayé « il y a des grands auteurs et il y a des petits auteurs, il y a de grands livres et il y a de petits livres, il y a de grands critiques et il y a de petits critiques »... Et bien sûr, Éric Bonnargent est un Grand critique qui lit de Grands livres écrits par de Grands auteurs... Il n’est pas beau le hasard, dis-donc ?

Vous n’êtes pas d’accord avec son dogme et avec les dictats de sa science infuse ? C’est que vous êtes un vilain relativiste pour qui tout se vaut. Bin voyons, puisqu’on a le choix ! Belle manière d’interdire le dialogue (un prof de philo, pourtant...)

Bien sûr, il ne sait toujours pas nous expliquer comment tout ce bricolage de valeurs qu’il défend fonctionne (un prof de philo, si si, il nous l'a précisé lui-même !) mais il nous le certifie : ça marche...

Ça marche, oui.... ça marche bien pour lui en tout cas, car plus le temps passe et plus je me dis que ce garçon se fout complètement de savoir si son système tient la route. Ce qui compte pour lui, c’est le résultat : se construire, grâce à ce discours rodé une image de critique élitiste et bobo qui lui permettra, à moyen terme, de creuser son petit trou dans le monde des lettres. Et il y arrivera, je lui fais confiance. Il est déjà en route.

Écrit par : stephane | 05.01.2012

Voilà, voilà, Stéphane, j'ai mon disque rayé, vous avez le vôtre à mon sujet, toujours aussi instructif... Vous permettrez que je ne vous réponde pas ? Vous devriez d'ailleurs en faire autant et ne pas vous préoccuper de mes lamentables litanies. Allez, va !, vous êtes amusant, je vous laisse avec vos frustrations et m'en vais creuser mon trou !

Écrit par : Eric Bonnargent | 05.01.2012

Sinon, Bertrand, oui, finalement, je suis assez d'accord avec vous. Un livre qui se résume à une pure narrativité a souvent peu d'intérêt. Mais si cela ne vous dérange pas, nous pourrons continuer cette conversation par mail. Je crains pour les nerfs et le coeur de votre ami Stéphane.


REPONSE DE BERTRAND :

Aie, aie, aie ! ça sent la poudre par là ! Mais bon, ça arrive...Suis assez bien placé pour le savoir. Un contentieux en amont, sans doute, que j'ignorais et continue d'ignorer ?
Pas de problème pour continuer cette conversation, bien sûr.
Stéphane n'en reste pas moins un ami, mais les amis ont le droit, parfois même le devoir, de ne pas être d'accord.
Bien à vous

Écrit par : Eric Bonnargent | 05.01.2012

Cher Eric, je permets bien sûr que vous ne me répondiez pas (vous en seriez bien incapable, de toute manière, vous l'avez déjà prouvé à de multiples occasions)

Et en ce qui concerne mes frustrations, je vais vous décevoir, je n'en ai pas. je suis même plutôt satisfait de mon sort. Mais du haut de votre Grandeur, tout doit vous sembler tellement minuscule, effectivement, que j'excuse votre condescendance !!!

Écrit par : stephane | 05.01.2012

Cher Stéphane, la prétention ne consiste-t-elle pas à émettre des jugements péremptoires comme vous le faites ? Je n'ai jamais refusé la moindre discussion. Mais répondre à vos attaques, à votre mépris, ce n'est pas ce que j'appelle discuter. Je bavardais ici avec Bertrand et vous venez avec vos petites insultes me faire la leçon... Alors, prenez-moi pour un prétentieux, pour tout ce que vous voulez. Vous avez des certitudes ? Grand bien vous fasse. Accusez-moi de ce que vous voulez, mais renseignez-vous (si j'ose, hein, mais je suis si Grand !) sur le phénomène de la projection. Il paraît qu'on ne déteste, qu'on ne méprise que ce que l'on déteste et méprise en soi-même... Bref. Oubliez-moi, laissez-moi sur mon supposé Olympe, s'il vous plaît. A moins, évidemment, qu'un jour vous vouliez discuter pour de bon. Si vous savez le faire, bien entendu (et je ne parle pas de contenus, de propos, mais de simple disposition d'esprit - ah, mais que je suis prétentieux !). Portez-vous bien. J'ai un trou à creuser.

Écrit par : Eric Bonnargent | 05.01.2012

Ouah ! Bonnargent psychologue maintenant !!! Heu Dr Bonnargent, devrais-je dire ! Vous avez tous les talents, c'est merveilleux ! Vous ramenez aussi l'agent et l'amour en 24h chrono !!! trop fort...

Je vous dois combien, docteur ?

Écrit par : stephane | 05.01.2012

Je vous en prie. Maintenant, ça suffit. Vous êtes un âne.

Écrit par : Eric Bonnargent | 05.01.2012

Ah, la ménagerie maintenant... Bravo ! C'est super, continuez à vous enfoncer, j'adore !

Hi han !

Écrit par : stephane | 05.01.2012

Tiens, Eric Bonnargent vient de trouver un nouvel allier : "Claude Guéant a déclenché une vive polémique en déclarant que "toutes les civilisations ne se valent pas"

Nous savons où mènent ces idéologies basées sur une hiérarchisation intéressée des valeurs. C'est pour cela qu'il faut les combattre. (D'autant plus quand ceux qui tiennent ces discours essayent de se présenter comme des "humanistes" !!!)

Écrit par : stephane | 05.02.2012

En voici un qui «Onfraye» la route à une sale philosophie...

Écrit par : ArD | 05.02.2012

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