12.12.2014
Comme déjà maintes fois dit dans le désert...
La seule chose qui vaille la peine d’être vécue constitue une redoutable tautologie : la vie.
Sans doute vous dites-vous, "oui, d’accord, mais après ?"
Restez un moment, je vous prie, j'aimerais vous dire quelques poncifs qui n’en sont plus depuis longtemps... Des poncifs qui font semblant d'être des poncifs.
Mais d’abord, écoutons quelques bribes indécentes glanées sur le brouhaha du monde : on s’interpelle, on s’invective, on déclare, on jure, on s’énerve, on propose, on dit, on écrit, on s’indigne, on critique, on pleurniche, on montre des dents de lait qu’on voudrait bien faire passer pour des dents de loup, on ment, on répète des phrases, on plagie des discours éculés, on…
Bouillie pour chats pas trop gourmets, tout ça! Revenons bien vite au cœur de notre préoccupation : l'existence.
La vie humaine, dans ce que j' en ressens de plus fondamental, a entamé son véritable déclin vers les tombeaux de la momification - disons plus exactement que son déclin s’est dramatiquement accéléré à cette époque- après la fin véritable du néolithique, dans les années soixante du XXe siècle.
Depuis, nous n’avons fait que nous éloigner de nous, nous nous sommes dit au revoir en quelque sorte, nous avons pris congé de notre humaine condition, nous avons brisé le cou à ce qu’il nous restait d’authenticité, pour épouser le destin grandiose des sociétés falsifiées.
Dans de véritables groupements humains, l’individu vivrait en indompté, ce qui, à part pour les imbéciles et les thuriféraires de la politique - de tous bords et même des apparences extrêmes - n’exclut ni l’amour libre et fraternel, ni la solidarité, ni l’affection, ni le désir et le plaisir d’être ensemble, ni la joie de jouir de tout, y compris celle de donner sans retour.
C’est la recherche de cette sauvagerie fraternelle et primaire qu'il faudrait mener pour retrouver l'humaine condition. Tout homme qui critique la société des hommes et ses maux sans mettre au centre de sa préoccupation sa solitude sauvage, individuelle, initiale, ce magma de désirs et d’émotions qu'il porte constitutivement en lui, est un dangereux traître, un immonde félon, qui participe, tout comme les adversaires qu’il fait mine de combattre, à l’enterrement pur et simple de la vie.
Regardez et écoutez autour de vous : quel courage voyez-vous poindre qui ramènerait l’individu sur le devant de la scène, sous les feux de la rampe, sous la poésie antique du ciel et de la terre, vers le bonheur d’exister ? On ne vous parle que d’épiphénomènes grossiers, d’injustices, de pauvres et de riches, que de travailleurs et de chômeurs, que de lois qu’il faudrait faire pour... On ne vous propose que des solutions sociétales, parmi lesquelles, horreur ! honte abominable ! dégoût ! la pire des aliénations, la pire des insultes jamais faite à la dignité et présentée comme un bonheur : le travail !
On va taper sur les riches ! qu'on s'égosille, pour que les pauvres soient un peu moins pauvres, on va faire ça, on va faire ci… Entendez-vous une fois seulement les mots vie et individu, dans tout ça ? Entendez-vous poésie de vivre, désir de respirer fort, envie d’aimer, jouissance ? Non ? Alors, laissez dire…Ne rajoutez pas au brouhaha stupide une once de brouhaha, aux caquètements de la basse-cour claudicante un énième caquètement boiteux… Quand la Grande Dame viendra vous chuchoter à l'oreille, avec sa bouche glacée et la puanteur de ses haleines, hé, c’est l’heure, faut plier bagages, mon gars, les ténèbres t’attendent, qu’en aurez-vous à faire du devenir et du passé des sociétés, des milliardaires, des hobereaux de village, des prolétaires et des autres ? Votre peur sera alors individuelle, féroce. Vous n’aurez connu, en fait, que ça de votre individu : la dernière peur, atroce, solitaire, désespérée, impuissante, sans jamais n’avoir eu le moindre accès à la jouissance de votre personne.
N’est-ce pas là l’injustice suprême, résultante de la bêtise la plus crasse ?
Alors, quand vous entendez critiquer le monde, si vous ne voyez poindre dans cette critique aucune exigence de la grandeur individuelle, foutez le camp en crachant par terre : l’opinion dénuée de courage ne parle que de la société, ne parle que des autres, c’est de la faute à, ce sont de méchants voyous, qui…. jamais des exigences enfouies dans l’individu et chaque seconde bafouées !
Ce sont pourtant ces exigences primaires de vivre en homme, en individu, qui sont les seules exigences de taille à détruire l'absurdité des sociétés dans lesquelles s’est diluée la profondeur humaine.
C’est la raison pour laquelle on ne vous en parle jamais, de ces exigences si simples. Parce qu’on a des intérêts sournois à la pérennité de ces sociétés qu'on fait mine de vilipender ! Et parmi ces intérêts sournois, le pire est sans doute celui, jamais avoué, du désir cadavérique d’être pris en charge par un État, des lois, une famille de l'ennui, des amours sans passion, un travail, trois ou quatre sous, un brin de pouvoir ramassé dans la boue du caniveau, et toutes les formes du bonheur tributaire, pareil à celui du mouton respirant la chaleur épaisse d'un troupeau dégueulasse.
Tout ça, hélas, n’est peut-être que du pipeau, de la profession de foi, du cantique, de l’écriture encore : la crasse qui recouvre le monde est d’une telle qualité qu’elle en est devenue une carapace épaisse, solide, difficile à briser, impossible peut-être, eu égard au stade de déliquescence où en est parvenue la volonté de vivre. La pensée dite révolutionnaire est tellement malade de ses propres défaites et fantasmes que les véritables mutins seront forcément des mutants, des réactionnaires même...
Et ce ne sont pas tant les pouvoirs et les apologistes de ces pouvoirs qui ont brisé la volonté et consolidé notre linceul, que la fausse critique du monde et la bêtise politique, véritable poison du petit peuple gourmand de fausse reconnaissance.
Comme l'écrivait, en substance, Lissagaray dans la préface de son Histoire de la Commune : la fausse critique est criminelle parce que semblable aux fausses cartes qu'un géographe assassin fournirait à des navigateurs.
08:37 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Oui.
Écrit par : cléanthe | 13.12.2014
Bien vu, en effet.
Écrit par : Feuilly | 13.12.2014
Fascinée par ton texte j'avais prêté peu d'attention à l'image. C'est pourtant une belle photo de cimetière. J'y séjournerais volontiers :) le plus tard possible évidemment...
Écrit par : Michèle | 16.12.2014
Chers Cléanthe et Feuilly, merci de votre appréciation...
Michèle, c'est un petit cimetière en bord de route, à la sortie de mon village.
Initialement c'était un cimetière orthodoxe, je crois...Il y a là une dizaine de tombes seulement et il est, comment, dirais-je... "désaffecté ?"
Bref, on y enterre plus personne.
Écrit par : Bertrand | 18.12.2014
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