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25.08.2011

Ce fut un bien bel échange - 2 -

Crimbaud.jpgher Bertrand,

Depuis Rimbaud, nous sommes modernes. Résolument modernes. Et nous avons déréglé les sens, si bien déréglé et dans tous les sens du terme (sensualité, signification, direction) que voilà, voilà : n’importe lequel d’entre nous a acquis le droit de se proclamer poète, s’étant au préalable, reconnu voyant. Poète, voyant, c'est-à-dire révolté par essence, inspiré par nature, et libéré de toute forme, cela coule de source.
Il est, dans cette fameuse lettre dite du Voyant, non pas celle d’abord parvenue à Izambard, mais celle écrite à Demeny le 15 mai 1871, un terme peut-être trop souvent oublié, que je pose en italiques afin que chacun s’y arrête quelques secondes : Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Raisonné : Voilà qui donne tout son poids à la formule magique rimbaldienne, au sésame ouvre-toi de la modernité.
Raisonné, le mot ne signifie-t-il pas guidé par la raison ? Oh voilà qui flaire vilainement son Boileau, voire son Racine (le divin Sot !) et son Port-Royal, pour tout dire son classicisme honni par ceux qui, tout juste sortis de l’enfance, vomissent leur révolte nécessaire et abhorrent toute forme d’ordre, même langagier, même prosodique, même syntaxique : Raisonné : certains trouveront qu’il s’accommode mal du voyage fluvial puis maritime d’un certain bateau auquel on aura fait dire tant et tant de choses qu’il a fini lui aussi par devenir salement institutionnel. Et pourtant, il se trouve bel et bien sous la plume d’Arthur.
Comme René Char le souligna, il a bien fait de partir, Arthur Rimbaud, « d’abandonner les estaminets des pisse-lyres » - car ils raisonnaient peu, suis-je tenté d’ajouter. Aujourd’hui, plus que les pisse-lyres, ce sont peut-être davantage les pisse-révoltes que Rimbaud devrait laisser dans leurs estaminets. Slameurs, slameuses et autres voyants (voyantes) à trois francs six-sous pour printemps des poètes démocratiquement post-modernes. Car la révolte n’est ni un engouement passager ni une posture ; la révolte, ça ne se pisse pas, ça s’argumente. In fine, la poésie est-elle l’art le mieux armé pour le faire ?

La poésie, « l’art idiot », jadis, possédait ses règles, ses mètres et ses maîtres, ses rythmes et ses rimes, son projet intrinsèque à lui-même, lesquels, j’en conviens, avaient moisi pour reprendre la métaphore rimbaldienne. Mais n’ont-ils pas moisi également, ce lyrisme beuglard de la révolte, ce conformisme inoffensif de la provocation, et surtout, surtout, ce non-sens asséné comme une règle par tant d’imbéciles qui se proclament auteurs dans un pur et infécond suivisme, propre de la société de masse qui est la nôtre ?
« Tout garçon épicier est en mesure de débobiner une apostrophe Rollaque ; tout séminariste emporte les cinq cents rimes dans le secret d'un carnet.», s’exclamait Arthur en son temps. A présent, « tout banlieusard rappeur et métissé est en mesure de slamer une apostrophe arthurienne, tout lycéen boutonneux de centre ville emporte les cinq cent rimes dans le secret d’un DVD. »
Sommes-nous pour autant à l’ère des « démultiplicateurs de progrès » ? A celle des apôtres d’un « langage universel » ?
La question, franchement, reste pendante…

Amicalement,

Roland

PS. On vient de découvrir une prétendue nouvelle photo de Rimbaud. Coup éditorial ou véritable scoop ? Comme je n’en sais fichtrement rien, je vous joins celle-ci, plus connue, celle du fameux bon élève de Charleville qui dans le rêve de chacun d’entre nous, a eu son heure de gloire, je présume.

 

 

debord.jpgCher Roland,

Je commencerai par une sale image qui m’avait donné la nausée, il y a de cela une quinzaine d’années, sur un parking de supermarché, un Intermarché très exactement, à Mauzé-sur-le-mignon plus précisément, vous savez, le Mauzé de ce cochon de Morin des Contes de la Bécasse.
Bref, c’était aux alentours de Noël. Les livreurs s’affairaient à remplir les rayons de peluches, de barbies, de chocolateries, de champagne plus ou moins frelaté et autres cochonneries de la fête obligatoire autour de l’improbable naissance d’un dieu encore plus improbable.
Et voilà que voici qu’un livreur perché sur son Fenwick se met à transbahuter parmi les rayons fortement achalandés - au sens juste et au sens fautif de ce mot -, des palettes entières de livres pour ceux qui voudraient fêter la naissance de  leur dieu en cultivant leur jardin. Des livres de Rimbaud réédités dans une collection minable, sur un papier minable avec une couverture minable.
Ça n’est point que je tienne rigueur à la consommation de masse de se pencher sur Rimbaud…Mais j’étais certain que pour la clientèle de l’Intermarché de Mauzé, il y avait là beaucoup, beaucoup trop de Rimbaud pour être décemment lus.
Rimbaud, donc, est par le fait un produit de masse, une idée de cadeau, un présent au même titre qu’une bague, un portable, une tronçonneuse ou je ne sais quoi encore.
C’est une image réelle, vécue, mais je vous la sers en guise d’allégorie…

Rimbaud est devenu  ce que les gens en ont fait et en premier lieu les discoureurs les plus abscons de la littérature. A force de dire qu’il était un découvreur, un déstructurateur du langage poétique, on a fini, ça a pris du temps mais on a fini quand même, par en faire une mode obligatoire, le nec plus ultra de la finesse en poésie mutine en même temps qu’une institution forcément à fréquenter au risque de passer pour un vil béotien.
C’est un poncif : on dit qu’il aurait ouvert la porte à toute la horde surréaliste. Qu’il est à cette école ce que Bernardin de Saint-Pierre fut au romantisme. Soit. Ne dénions pas à Arthur Rimbaud sa vision autrement du monde et l’intelligence sensible, douloureuse, avec laquelle il nous fit part de cette vision autrement.
Mais, comme toutes les grandes choses mises à la portée des trivialités marchandes et de leur confusionnisme intéressé, il a évidemment sombré dans la vulgarité de ses exégètes. Et je vous suis bien Roland, quand vous semblez vous agacer de tous ces poètes autoproclamés qui pensent qu’écrire difforme et cul par-dessus tête en torturant la langue dans tous les sens suffit à livrer du monde la vision chaotique de la poésie et à brandir le drapeau toujours sympathique et échevelé de la révolte.
Pourtant la déstructuration du verbe est une chose des plus ringardes. Dès 1956, Debord écrivait dans son rapport sur la construction des situations : « L’erreur qui est à la racine du surréalisme est l’idée de la richesse infinie de l’imagination inconsciente. La cause de l’échec idéologique du surréalisme, c’est d’avoir parié que l’inconscient était la grande force, enfin découverte, de la vie. C’est d’avoir révisé l’histoire des idées en conséquence, et de l’avoir arrêtée là. Nous savons finalement que l’imagination inconsciente est pauvre, que l’écriture automatique est monotone et que tout un genre « d’insolite » qui affiche de loin l’immuable allure surréaliste est extrêmement peu surprenant .»
On ne peut mieux dire et ces mots d’un demi-siècle d’âge sont hélas d’une brûlante actualité.

On m’a souvent fait le gentil reproche d’user d’une langue classique…
J’assume évidemment, et ce, pour au moins deux raisons .
La première est que je suis persuadé que le miel est plus délectable que l’étiquette du pot.
La secon
de, plus essentielle, c’est que c’est de cette langue écrite et entachée d’un certain classicisme, que je tire le plus de plaisir. Mon approche du monde, ma friction à son âpreté, dans ce qu’elle a d’authentique et de vécu, a besoin du sujet, du verbe et du complément pour être dite sans ambages.
Si nous sommes en révolte contre un monde structuré de telle manière qu'il ne nous plaît pas, ça n'est pas en mettant du désordre raisonné dans notre écriture que nous le mettrons en danger. Cette façon de procéder, encore une fois, fissure l'image en laissant intact le réel et lâche la proie pour l'ombre.
Et j’en termine, cher Roland, sur ce vieil adage : Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse !
Certes. Encore faut-il qu’il y ait de quoi se mouiller les amygdales dans le susdit flacon.
Amitiés sincères et polonaises

Bertrand

12:40 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

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