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14.04.2011

Stéphane Beau sur L'exil des mots

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Tous les quinze jours Stéphane Beau me rend visite et me parle des pauvres gens qui ont jalonné sa route. Une façon de leur donner dignité dans la mémoire.

SYLVIE

Tu es peut-être un de mes plus douloureux souvenirs. La souffrance se lisait sur ta trogne. Une tête toute ronde, toute rouge, avec de gros yeux globuleux, jaunes, striés de fines veines. Ta maison s’écroulait de partout, mais elle était à toi : tu l’avais héritée de ta mère. Il aurait fallu faire des travaux, certes, mais avec ton RMI tu avais déjà à peine de quoi manger, alors la charpente…

Ton mari était mort quand tu avais trente ans : l’alcool avait eu raison de lui. Il t’avait légué le souvenir de quelques violents coups de poings, une palanquée de dettes, et un fils que tu aimais. Mais l’alcool t’avait alpaguée, toi aussi. Et ce qui devait arriver arriva : un matin le fiston a été placé dans un foyer de l’enfance et tu es restée seule avec tes bouteilles. Tu ne savais même plus qui tu étais. Syndrome de Korsakoff qu’ils disaient les médecins… Les neurones qui s’éteignaient les uns après les autres, comme des bougies livrées aux vents… Certains jours je te demandais si tu avais des nouvelles de ton fils. Ton visage s’illuminait soudain et tu t’écriais : « bien sûr que j’ai de ses nouvelles, puisqu’il habite ici ! Il va rentrer manger ce midi, après l’école ! » Tu n’avais même pas remarqué qu’il n’était plus là depuis plusieurs mois. Ou si : peut-être préférais-tu faire semblant, pour t'épargner ce surplus de souffrance.

Un beau jour (drôle d’expression car c’était un jour fort triste) ton aide ménagère est venue me voir : en prenant son service, elle t’avait trouvée, allongée sur le carrelage de ton salon. Toute ta vie tu t’étais battue seule, pointée du doigt par tous les braves gens de la commune. Tu avais vécu seule, tu avais élevé ton fils seule… Et tu étais morte seule…

Qui sait ce qu’aurait pu être ta vie si un peu plus d’amour t’avait été offert, lorsqu’il en était encore temps ?

Je ne t’oublie pas.

Stéphane

08:31 Publié dans Stéphane Beau | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

De "Vie d'Antoine Peluchet", l'une des huit "Vies minuscules" de Pierre Michon, voici quelques lignes de la presque fin du récit :

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Le reste tient en peu de mots. Toussaint (Peluchet) n'appela plus personne. Il survécut à Fiéfié (Décembre) comme aux autres ; il les mêla peut-être et ensemble pétrit et repétrit leurs ombres pour grossir la grande ombre dont il vivait, qui l'ensevelissait et lui donnait vigueur ; il y ajouta l'ombre bonasse et lente des boeufs, qui moururent aussi. Qu'est-ce donc que quelques années encore de vie, quand on est riche de tant de pertes ? Il lui restait sa faux, le luxe débridé de sa cuisine, le puits, l'horizon invariable. (...)
.........

Écrit par : Michèle | 14.04.2011

Merci pour votre texte qui rend à Sylvie un peu de cette lumière qu'elle n'aurait jamais dû perdre. Personnage désormais de fiction, votre récit l'amène jusqu'à nous qui ne la connaissions pas.

Il serait si simple de donner de son temps et de son énergie mais nous n'avons pas le temps, trop pressés fous que nous sommes d'échapper à la mort...

Écrit par : Michèle | 14.04.2011

Les commentaires sont fermés.