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12.04.2011

La mémoire toujours en feu d’où dégoulinent des laves incandescentes

littératureDéjà meurtrie par l’Histoire plus que n’importe lequel autre pays -  d’abord  par les empires centraux et la Russie pendant plus de 120 ans,  puis par l’immonde raz-de-marée nazi et sa solution finale frappant du sceau de l’infamie sa géographie avec des noms tels qu’Auschwitz, Majdanek, Treblinka, Sobibor, puis par Staline et ses successeurs sur le trône de la collectivisation, la Pologne joue de malchance avec la cautérisation de ses blessures.
Le 10 avril 2010, Smolensk. Outre le drame humain, cette hécatombe où périrent 96 personnes parmi lesquelles les plus hauts personnages de l’Etat,  fut le couteau brutalement enfoncé dans la plaie Katyń, une plaie qu’on tentait pourtant désespérément de refermer.
10 avril  2010, Smolensk, 10 avril 1940, Katyń. La concordance des lieux et des dates fait que l’amalgame est devenu réalité très forte et les vieilles rancœurs envers la Russie ravivées au centuple.
10 avril 2011, commémoration - mais commémoration de quoi exactement ? - et la blessure encore qui se répand dans les têtes. Les Polonais déjà fortement divisés sur le sens à donner au drame de Smolensk n’en sortent maintenant plus sur le sens à donner à sa commémoration. D’autant qu’on recommence à murmurer, de l’autre côté du Dniepr, que Katy
ń fut bien l’œuvre diabolique des nazis.

Alors certains déposent sur les lieux de la catastrophe de l’an passé des plaques qui rappellent, en même temps, le génocide perpétré par les Russes il y a 71 ans. Les Russes d’aujourd’hui, indignés, font subrepticement enlever la plaque dans la nuit et la remplacent par une autre, à leur goût moins équivoque,  évoquant uniquement  Smolensk.
Censure de la mémoire ou juste recadrage du souvenir ?
Je n’en sais rien.
Courroux cependant de part et d’autre. Rien ne va plus dans le langage de la mémoire et dans la lecture de l'histoire.

 Il faut sans doute être Polonais pour prendre toute la mesure de ces drames-là. Dans un monde préoccupé par des guerres multiples, guerres humanitaires tronquées, guerres de ceci et de cela, jeux politiques infâmes partout, le pansement des plaies polonaises et les rancunes envers les Russes, sorte de feu couvert et qu’un seul coup de vent peut embraser, apparaissent comme des broutilles passéistes.
Ce qui me peine pourtant, ce sont les diverses utilisations idéologiques qui sont faites des événements et surtout que cette nation, ces Polonais parmi lesquels je mène ma vie, et qui auraient tant besoin de se serrer les coudes autour d’une chaude fraternité, soient une nouvelle fois dressés les uns contre les autres et manipulés par des chefs et des prétendants jouant, tantôt la corde d’un sage apaisement, tantôt la corde toujours vibrante de la passion.

Le génocide de toute l’élite polonaise sauvagement assassinée d’une balle dans la nuque et cette catastrophe aérienne survenue autour de la commémoration de ce génocide, n’ont pas fini d’engendrer des anniversaires houleux, vindicatifs, obscurs, névrotiques, où, finalement,  personne en Pologne ne reconnaît plus le respect dû à sa mémoire de Polonais.
C'est jouer avec un feu terrible.
Car les grands drames de l'Histoire,
un jour ou l'autre,  rejaillissent toujours d'une mémoire, soit fallacieuse, soit qu'on avait tenté d'étouffer.

 Image : Philip Seelen

07:50 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

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