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07.01.2011

Auguste comme Ravier

Père Ubu : Bougre de merde, voilà qui fait un rien drôle d'être en dedans d'la Pologne par - quinze en pleine nuit. Heureusement que la porte de cette maison était entrebâillée.

Mère Ubu : Quel silence. Et quel bel endroit ! Parait qu'le proprio est allé faire un tour dans son pays natal.

Père Ubu : Vous savez que c'est aujourd'hui dans la blogosphère le jour des vases communicants...

Mère Ubu : La blogo... quoi ? 

Père Ubu : ... sphère, cornegidouille ! La blogosphère, plus encore que la Pologne, est un peu le royaume de nulle part. Or les habitants de la blogosphère, le jour des vases communicants, vont bras dessus bras dessous et têtes en bas, l'un chez l'autre et l'autre chez l'un, ce qui fait que plus personne n'y comprend rien. De par ma chandelle verte, on va en profiter pour accrocher quelques tableaux de maîtres sur ses murs. Je suis sûr que ce billet de Thévenet, initialement prévu pour le blog Solko, ira bien mieux ici chez Redonnet. Les peintres sont de tous temps. Et de tous lieux. Aidez moi donc, madame ma femelle, au lieu de rester sur le sol comme une andouille aux bras ballants

(Ils accrochent le premier tableau, puis le billet commence)

 

 

coucherdesoleil sur étang.jpg

La peinture eut ce temps, ce moment, cet instant : on venait d’inventer la photographie. Et quoi, se disait-on, de plus bourgeois que cette nouvelle industrie ? L’heure, donc, ne serait plus jamais aux compositions de ruines antiques, aux natures mortes maniéristes, aux scènes galantes sous les bosquets. Et les portraits d’ancêtres seraient remisés au comptoir de chez ma tante.

Finis, les temps de Léonard, qui nous avait enseigné que les codes de la perspective devaient, sur un tableau, assujettir la représentation à une image parfaitement nette y compris en sa périphérie. Et comme l’ère du concept et le terrorisme de l’abstraction n’avaient pas encore séduit les élites, il y eut comme un appel d’air, un entre-deux, par lequel les peintres et leurs sujets quittèrent leurs cadres pour s’en aller par les sentes forestières.

Une collègue me disait tout à l’heure qu’elle avait pu voir l’expo Monet au Grand Palais durant les fêtes, après une heure et demie d’attente (elle s’en estimait heureuse, trouvant que c’était finalement fort peu) !  Je me suis demandé si Monet lui-même aurait été si patient. Même sûr, je suis, que non.


C’était le temps libre des impressionnistes. Celui de Monet, celui de Ravier. On connaît moins Auguste Ravier que Claude Monet, voilà pourquoi je m’aventure, si loin de Lyon, à en toucher quelques mots : car Ravier (1814-1895) vécut en cet âge d’or de la peinture qui, tout en se voulant réaliste, abolissait les lois figées de la figuration, cultivant le flou de l’œil et celui de la sensation personnelle, la joie vive de la lumière libérée de son carcan académique : on appelle ça l’impressionnisme.

LUMIERE SOUS CHAMPROFOND.jpg

Non loin de Morestel, une bourgade près de Lyon : des peintres misanthropes avaient donc fui la ville moderne et ses déjà uniformes habitants. Vous ne trouverez pas un humain sur les toiles de Ravier, ou seulement si minuscule et réduit à l’état d’une silhouette si chétive que, parmi le silence de ce qui l’environne, on admet sa présence sans plus y prêter attention. Ou bien, tout juste, leurs toits. Ravier a peint essentiellement des couchers de soleil sur des chemins de terre ou des bordures d’étangs qu’un même geste paraît enfanter et déchiqueter. Il étendu sa pâte, ni plus ni moins, la hachant en artisan solitaire et silencieux, un peu comme les pécheurs qu’il rencontrait sans doute aux abords de l’étang devaient parfois tailler leurs lignes, à la pointe du couteau.


Durant l’hiver 1880, il jeta sur papier un auto-croquis de lui, mais cette fois-ci à la plume, et dont voici les dernières lignes :

« Pas homme du monde du tout = Ahuri et bête comme une oie dans un salon, je fais ma patrie tout de même avec ceux dont je connais un peu la langue – sauvage et même timide quand je suis dépaysé = bienveillant familier avec tout le monde même les domestiques s’ils sont honnêtes (sic) et de bonne volonté (principe républicain). L’horreur de la mode l’horripilation de la queue de morue, comme Jean Jacques j’irai volontiers vêtu en arménien si je ne craignais qu’on dise que je pose. Et je passe la vie sans jamais m’ennuyer, après la peinture il y a les livres, l’histoire, les voyages, les poètes. Je laisse la foule applaudir Offenbach qui m’ennuie = Je ne crois guère à l’amitié, j’ai perdu la foi, et je ne crois plus à l’amour, la nature reste, c’est suffisant, c’est encore l’infini… »

 

les toits rouges ravier.jpg

 

Toile 1 : Coucher de soleil sur l'étang

Toile 2 : Lumière sur Champrofond

Toile 3 : Les toits rouges

 

06:16 Publié dans Vases communicants | Lien permanent | Commentaires (6) |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Magnifique ! Je connais mal ce peintre, mais il touche juste, très proche de Cézanne pour la dernière toile montrée, mais plus doux que lui.

La vie est curieuse, Solko : cette nuit, au cours d'une insomnie énorme, je relisais ma vieille "Histoire de la Peinture moderne" d'Herbert Read, redécouvrant toutes les théories de ces peintres et artistes, petits ou grands, qui ont finalement fusionné dans l'abstrait (rien que d'utiliser le mot "fusionner" me vaudrait les foudres des spécialistes qui différencient les "mathématiques plastiques" de Mondrian, entre autres, des expressionnistes abstraits, entre autres également) après des dizaines de manifestes. Je réalisais surtout, avec l'effroi qu'on peut avoir lorsqu'on s'attaque à tout un pan de l'Histoire de l'Art, monstre sacré que des générations ont érigé en statue du Commandeur, et qu'on y découvre soudain une fort grosse fissure, que certaines de ces toiles, jadis hautement subversives, avaient bien vieilli, là où celles d'autres artistes, solitaires, hors concepts, traversaient le temps au-delà de ces clivages (je songe à Hopper notamment) sans se démoder - ce qui me semble être l'essence même de l'art, qui, même dans l'air du temps, est tout sauf la mode.
(Drôle "d'impression", donc, à l'arrivée, d'où ce commentaire un peu embrouillé, mille excuses.)

Écrit par : Sophie K. | 07.01.2011

@ Sophie K : La question centrale n'est-elle pas celle de l'académisme ? Lorsqu'un cas "fait école", il cesse d'être un cas. Il devient une norme. Il ne sait plus planter la borne de sa solitude à la frontière de ce qu'il fait. Ne manque plus que l'institution, puis le marché, s'emparent de lui, puis finalement la "doxa". Cela lui devient très difficile de survivre dans sa prime originalité.
A cela en effet, les peintres paysagistes lyonnais qui s'étaient éloignés de la fabrique de soie pour se lancer dans l'aventure pleinement artistique échappent, en effet. Malgré leurs maladresses, ils n'ont pas quitté le "juste". Je songe ici à François Vernay, Louis Carrand, et cet Auguste Ravier que je suis content d'apporter jusque dans ces terres polonaises de Bertrand.

Écrit par : solko | 07.01.2011

Et vous faites bien ! Je le découvre également avec bonheur. Je ne suis pas une spécialiste comme Sophie, mais je dois admettre que la peinture impressionniste a ma préférence. Il me semble que ces peintres sont les derniers à restituer le plaisir de la lumière, des chatoiements du monde et du plaisir de l'habiter. Après eux l'angoisse s'installe et la mort supplante la vie dans la représentation picturale. Merci pour la visite

Écrit par : Zoë Lucider | 07.01.2011

Votre billet est un plaisir, celui des chemins de traverses, ces chemins qui mènent à ce que l'Histoire (qui est un mal nécessaire mais dont il ne faut jamais négliger les injustices et les approximations), l'Histoire, dis-je, qu'elle soit littéraire ou artistique, appelle les mineurs... On comprend bien la logique de la hiérarchie. Elle s'impose certes mais ces "minores" justement demeurent et comme l'écrit justement Sophie K. se promener chez eux, c'est parfois relativiser la grandeur de certains et humer un air du temps qui aura évidemment servi aux "majores". Il y a en tout cas chez Ravier quelque chose d'étrangement tellurique : une affaire d'épaisseur de peinture ? Non pas ce qui colle aux sabots mais ce qui vous inscrit dans le paysage, et ce paysage, on sent terriblement qu'il a disparu, qu'il n'a rien à voir avec notre présent ruralisé. C'est certain : on est dans un temps où le silence peut encore régner...

Écrit par : nauher | 07.01.2011

@ Solko : oui, bien dit, c'est une affaire d'académisme, évidemment ! Quant à perdre la justesse, c'est se perdre. Décidément, fuir la norme est le seul recours, et tant pis pour le reste. En cela, on rejoint le billet de Nauher sur Baudelaire et le choix, ou non, de la radicalité "rimbaldienne".

@ Zoë : oh là, non, je ne suis pas spécialiste, loin de là. J'explore juste les théories picturales de certains, parce que, plus jeune, leur génie célébré m'interdisait de leur voir des failles. Disons juste que je me libère un peu, du coup, à mon tout petit niveau. :0)

@ Nauher : Ravier possède aussi quelque chose de Turner, je trouve...

Écrit par : Sophie K. | 07.01.2011

Sophie évoque Turner et l'on sait que le remarquable travail des artistes de l'École anglaise a beaucoup impressionné les artistes français.
Ces artistes de l'École anglaise de peinture qui, des premières œuvres de Gainsborough vers les années 1750 jusqu'à la mort de Turner en 1851, se sont attachés à représenter les effets de la lumière naturelle, forts qu'ils étaient du riche héritage des penseurs empiristes (théories optiques de Newton) qui placèrent la stimulation sensorielle à l'origine de toute connaissance. Constable et Turner en particulier ont fait de ce travail sur les variations de la lumière dans la nature leur principal sujet d'exploration.
Constable allait jusqu'à considérer la peinture de paysage "comme une branche de la philosophie de la nature, dont les tableaux ne seraient que les expériences."
Comme Turner il a délibérément choisi de peindre des paysages naturels dans un très large format généralement associé à la "grande" peinture.
Turner a peint plus de 20 000 images, travaillant inlassablement lumière et couleur, comme s'il voulait "faire la lumière" sur le monde, nous dit Frédéric Ogée (J.M.W. Turner, Les Paysages absolus, éditions Hazan, 2010).

Écrit par : Michèle | 08.01.2011

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