21.12.2010
Cartes postales
Il arrive parfois - pas assez souvent à mon goût - qu’on soit saisi par un aspect particulier du monde et de ses paysages, qu’on en est un peu ému, que ça fait écho à l'intérieur et qu’on voudrait bien écrire tout ça, mais qu’on ne trouve pas les mots, tant ils sont nombreux, éculés, rabâchés, pontifiés, obsolètes, usés jusqu’à la corde, convenus jusqu’au risible.
Alors on essaie de se taire. C’est tout de même dommage. Les sentiers battus en écriture sont pavés des pièges de l’oxymore : Plus ils sont grand ouverts, moins ils sont confortables. Les sentiers escarpés, presque vierges, conviennent mieux à l’art d’écrire.
Sauf quand ils sont inventés de toutes pièces et ne sont plus qu'art pour art, évidemment.
Ce matin, donc, je me suis engouffré dans une brèche plus que fréquentée. Il était à peine cinq heures, une fin de nuit où la pleine lune, ronde comme un symbole coquin, ruisselait sur la neige. Il en faisait nuit-jour. Le village dormait encore, pas une fumée qui ne s’échappait des toits lourds de glace, sinon du mien.
Et cette lumière satellitaire prenait en enfilade l’unique rue du village. Les ombres des arbres comme morts, des maisons comme inhabitées, des clôtures comme inutiles, qui s’étiraient sur la neige. Pas un bruit encore. Moins 13 degrés. Le monde réduit à un tel essentiel immobile, réduit à son ombre en fait, qu’il n’est pas forcément idiot de se demander si des fois on ne serait pas sur la lune et si ça ne serait pas la terre qu’on verrait se promener, là-bas, derrière les pins recouverts de givre.
Si la planète bleue ne connaissait pas les hommes, elle aurait cette sagesse opaline, énigmatique, cette désespérance d'un voyage inutile dans le cosmos et alors…Mais ma première cigarette était terminée.
Je suis rentré.
Plus tard, sur le bord de la route, en lisière extrême de la forêt, une maison complètement isolée, recouverte de neige, rejetait vers le ciel les volutes épaisses d'un premier feu.
Comme sur les cartes de bonne année que ma mère envoyait à ses sœurs, avec du brillant partout, des pleins et des déliés et des souhaits sincères de bonheur et de santé.
Parfois, oui, les matins sont comme ça : On dirait qu’ils se plaisent à moquer tous les clichés des hommes.
Ils n'y fourniront assurément jamais.
Et c'est sans doute pour cela qu'on ne les regarde plus.
11:36 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Oui, parfois il est bon de retrouver des images d'Épinal, ça rassure. Surtout lorsque c'est écrit avec tant de sagacité.
Écrit par : _chsanchez | 21.12.2010
Merci à vous....Et me suis chez vous "promené" en lecture...avec plaisir....Je n'ai pas trouvé que ça sentait les chaussettes sales, non, non...ça sentait plutôt la vie qui se dit, qui se fait et qu'on écrit parce que c'est peut-être, peut-être, ce qu'on fait le moins mal.
Bien cordialement
Écrit par : Bertrand | 21.12.2010
Il faut bien du talent pour évoquer la nature, la campagne sans tomber dans une banalité affligeante; ta balade au petit jour ferait parfaitement le début d'un conte pour enfants, le merveilleux, les lueurs, on entend le silence et on attend l'éveil progressif de ce village;j'admire le courage de se lever si tôt!Autre chose , ton influence sans doute, je viens de finir "le corbeau blanc" dont tu parlais en novembre et là, c'est une nature angoissante, où l'on suit ces jeunes dans leurs chimères un splendide tableau de campagne, dur, violent,cru contrastant avec les vies de citadins écoeurés de leurs nouvelles vies, ils tentent d'échapper à ce qui nous a tous menottés, ce non-choix auquel on est maintenant inféodés, plus ou moins tout de même car on essaie de s'en défendre; très belle lecture qui m'a touchée..merci Anne-Marie
Écrit par : Anne-Marie Emery | 21.12.2010
De l'art de clicher un matin de solstice sans moquer vos lecteurs.
Écrit par : ArD | 21.12.2010
Le solstice d'hiver a ceci de particulier: circulez, il n'y a rien à voir.
Vous n'avez pas pu observer l'éclipse de lune (là, il fallait plutôt être à Montpellier).Je dormais. Solstice! Que revienne le soleil. Je crois que je mourrais plus au Nord. Là, je suis en Suisse, où je trouve le soleil radin avec ses lampes à 30 watts.
Connaissez-vous Jacques Bertin: «Revoilà le soleil, rien n'a plus d'importance...»
Écrit par : Natacha S. | 21.12.2010
Chère Anne-Marie, je te livre un autre poncif pour faire croire que j'ai lu Proust : Longtemps je me suis couché de bonne heure...Il aurait pu dire de bonheur, quand même !
Je suis content que tu aies lu "Le corbeau blanc"..Oui, tu as raison : l'angoisse des paysages...C'est dans ces coins-là qu'habite le gars Stasiuk.
Ard, merci, c'est un beau compliment dont vous me gratifiez là.
Natacha, oui, je connais et j'aime beaucoup Jacques Bertin....
Écrit par : Bertrand | 22.12.2010
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