10.11.2010
La langue et sa musique
Lorsque je m’aventure à parler polonais, Jagoda prétend - avec juste raison sans doute - qu’il y a plus d’accents dans ma prononciation que de véritable parler polonais.
Quels accents ? que je demande, légèrement vexé.
Tous, qu’elle dit.
Des accents graves, aigus, circonflexes ? que je plaisante.
Le verdict tombe alors : Plutôt graves.
Ouais, je me doutais bien de la gravité du problème. Ces amoncellements de consonnes chuintantes, Szczygieł, par exemple pour dire un chardonneret…Un vrai calvaire pour un latin ! Et puis cet accent tonique sur l’avant-dernière syllabe, voire l’antépénultième pour les mots longs, tout ça, c’est quand même laborieux.
Une langue difficile. Comme toutes les langues, bien sûr, mais celle-ci particulièrement, au point que Norman Davies prétend qu’elle aurait dû être écrite en cyrillique - un signe pour un son - plutôt qu’en alphabet latin.
D. me disait un jour que ça n’était pas non plus une langue très indiquée pour le chant. Parce qu’elle n’a pas assez de voyelles. En langues romanes, les i, les é, les u, les o chantent, pointent la mélodie, ont une couleur…
Rimbaud. Oui. Peut-être.
N’empêche que Jagoda saute, elle, d’une langue à l’autre, français/polonais ou l’inverse, comme cabri saute le ruisseau…Je ne lui entends aucun accent. Elle parle de tout et comme les enfants de France et de Navarre.
Je ne l’entends plus, en fait. Car quelqu’un qui l’entend pour la première fois, s'amuse de ce qu’elle a un tout petit accent charmant, nous l'avons dernièrement vérifié en France.. Cette avant-dernière syllabe peut-être…Je n'en sais rien, moi, je n’entends rien.
Comme quoi la musique natale de sa propre langue s’estompe ou se module. Comme quoi, aussi, cette musique peut se chanter sur plusieurs tonalités approximatives, sur plusieurs partitions bien écrites, sans déformer l’œuvre initiale.
C’est parce que tu vis depuis longtemps parmi nous, me dit-on.
Sans doute.
Mais en m’écoutant l’autre jour sur l’interview de TV-Villages je me suis découvert un accent poitevin, nasillard même, que je ne m’entends jamais dire.
Ça fait déjà longtemps que je vis parmi moi-même, que je me suis surpris à murmurer, du coup.
Ah, c’est bien compliqué la musique d’une langue ! Ça met au grand jour tant de morceaux d’archéologie enfouis sous les sédiments de la mémoire et de l'habitude !
Est-ce qu’on peut écrire un accent ? Ècrire à haute voix ?
15:08 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Tu me fais penser à Ovide, qui, en exil chez les Scythes, avait peur
d'oublier son latin et qui écrivait pour ne pas perdre le contact avec
la terre natale.
Écrit par : Feuilly | 10.11.2010
Les enfants de parents linguistes sont tombés dedans tout petits et çà rentre comme dans du beurre; c'est bien autre chose quand c'est appris comme pour nous;c'est l'école du pays où l'on vit qui fait la différence pour le bilinguisme; pas grave si tu provoques un sourire chez ton petit chaperon rouge quand tu dis "chardonneret"; who cares? disons que ce doit être touchant, charmant; on sent que ton dernier voyage t'a donné envie de revenir le plus souvent possible;, j'ai noté que c'était bien plus facile de prononcer lorsqu'on murmure; c'est moins intimidant, on entend moins les défauts . Pas d'inquiètude, s'il y a quelqu'un qui ne perd pas sa langue, c'est bien toi
Amitiés A.M
Écrit par : Anne-Marie Emery | 10.11.2010
La musique d'une langue dépend de la largeur du spectre de ses tonalités. Ainsi, les Russes que l'on dit doués,... il n'en va pas de leur don, mais bien de la langue qui a le spectre le plus large au monde : ils peuvent donc reproduire quasiment tous les sons des langues qui leur sont étrangères.
Le français et le polonais ont en commun le fait de posséder des voyelles nasales, chose rare : votre langue maternelle ne saurait donc que bien vous prédisposer :)
Eh oui, la musicalité d'une langue est bien compliquée : tenez, sur ses quatre voyelles nasales (on, en in, un), la langue française est en train d'en ranger une tout doucement au placard, si bien que sa prononciation est en voie de disparition (le « un »)... on peut présumer que son orthographie disparaîtra: alors oui, un accent ça s'écrit à haute voix finalement.
Écrit par : ArD | 10.11.2010
Ecrire un accent ? Balzac le fait avec ses personnages parfois : le baron Nucingen par exemple et ce n'est guère probant..
Plus intéressant, je crois : écrire avec un accent. Cela s'appelle le style.
Écrit par : nauher | 11.11.2010
Ce n'est pas la première fois que je vous découvre avec votre fille dans la nature. Cela fait de très jolies photos.
Pour ce qui est des langues réellement musicales, je ne crois pas que le français en soit vraiment une - à vous entendre, le polonais non plus : vive donc l'italien.
PS Quand je vous ai écouté parler de l'oisiveté, je n'ai pas eu le sentiment d'un accent particulier. Alors...
Écrit par : solko | 11.11.2010
Cher Feuilly, l'évocation d'Ovide est ma foi bien gratifiante pour ma pomme...Ovide, qui fut aussi un des premiers à mentionner le peuple des "Jadzvingues" (contes et légendes de Podlachie) dans ses Lettres d'exil.
Vrai, Anne-Marie, que ça n'est pas bien grave d'être corrigé par le " chaperon rouge" et il est vrai aussi, que, parfois, avant de me lancer dans une phrase difficile (et il y en a des phrases difficiles !) je la répète mentalement. Faut que mon interlocuteur (trice ) soit patient(e), c'est tout...
ArD, vous me voyez (même si vous ne me voyez pas) époustouflé par votre précision en matière linguistique...Effectivement, les voyelles nasales existent en Polonais, le on se traduisant par le ą, le in ou ain par le ę, le gn par ń.
Ce qui est difficile dans cette langue, comme dans la langue tchèque, ce sont les amoncellements de consonnes qui donnent un son très proches les uns des autres, difficilement perceptibles par une oreille étrangère.
Tout à fait d'accord avec vous, Nauher, en dépit de la splendeur de " Splendeurs et misères...." les interventions du baron Nucingen ne sont pas une réussite...Un peu fastidieuses même.
Cependant, Balzac ne traduit pas là un accent, mais une non-maitrise de la langue orale. Il précise d'ailleurs que le susdit baron maîtrise parfaitement la langue écrite. Il est vrai qu'il en avait besoin pour le faire écrire.
Ah, cher Solko, je ne suis point d'accord..Notre langue est musicale..Si, si...Quant à mon propre accent, soit il n'existe pas et vient du fait qu'on a du mal à se "voir" parler, soit, allez savoir, il est le même qu'à Lyon (sourire)
Amitiés à tous et toutes.
Bertrand
Écrit par : Bertrand | 12.11.2010
Rien que parce qu'il écrit "vive l'italien", je vote pour Solko contre vous, cher Bertrand, et toc !
Écrit par : nauher | 12.11.2010
Alors, je m'incline et comme tout homme qui s'incline, je maintiens que..., et toc !
Écrit par : Bertrand | 15.11.2010
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