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10.12.2011

Hiver fantasmé

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L’affligeante douceur de nos hivers, pour la plupart gris sous les vents humides de l’Océan, nous faisait, à nous enfants, toujours espérer une exception, une extravagance du climat qui ferait se durcir durablement la terre, emprisonnerait la rivière sur laquelle nous pourrions glisser, et recouvrirait de neige silencieuse les villages, les champs, les chemins et les bois.
Nous imaginions - en tout cas j’imaginais - un ciel noir prometteur d’autres intempéries sur les plaines livides, avec de sinistres corbeaux, comme sur les images de mon livre d’histoire, comme celle surtout où « Il neigeait, nous étions vaincus par nos conquêtes » et que « pour la première fois  l’Aigle baissait la tête », sa longue armée défaite, en pointillés haillonneux derrière lui, sur les steppes glacées de Russie.
J’imaginais les gens consignés au coin des cheminées à raconter des histoires anciennes, le facteur et le garde-champêtre privés de leur vélo, les gendarmes de leur auto, le boulanger empêché de faire sa tournée, bloqué au fournil, obligeant les paysans à se regrouper autour du four commun.
J’avais lu cela dans des livres et dans des poésies. Ça arrivait dans des villages, près des montagnes, et même, c’était arrivé chez nous, racontaient les vieux avec cet air narquois, propre à ceux qui ont tout vu et que rien ne peut plus étonner. « Autfoué ». Pendant la guerre. Fait toujours très froid pendant les guerres.

Aussi nous, pour qui la guerre n’était que divagations séniles, chaque automne, cherchions-nous à dénicher les signes avant-coureurs d’un rude hiver.
C’étaient l’abondance de baies sauvages dans les buissons épineux, l’épaisseur des pelures d’oignons récoltés en août, la précocité du triangle des grands migrateurs cacardant haut dans le ciel, la multitude des bandes de passereaux erratiques tournoyant sur les champs récoltés.
Nos prévisions, à mi-chemin entre l’observation des tripes de poulet et le satellite météo, s’avéraient évidemment presque toujours fantaisistes et je passais alors mes hivers à lire et relire les récits pétrifiés de froid et haletants d’aventures de Jack London ou de Curwood, dans de vieux livres, verts dessus et jaunes à l’intérieur, empruntés à la bibliothèque de l’école.
Je n’abandonnais Mukoki, mes Iroquois, mes trappeurs et mes loups que pour mettre le nez face au vent, voir s’il s’était enfin décidé à passer à l’Est ou au Nord.
Mais il pleuvait et les arbres se voûtaient sous le souffle salé des tempêtes maritimes.
J’en ai gardé une rancune inextinguible envers ces climats océaniques, justement vantés pour la clémence de leurs saisons, pour leur molle tempérance, avec leurs hivers insipides et sans personnalité, mornes, avec des Noëls fangeux en bras de chemise, des jours de l’an dans le brouillard et des Mardis-Gras maussades. Des hivers qui ne ressemblaient en rien aux calendriers des PTT avec ses villages engloutis par la neige, aux cartes de vœux scintillantes de flocons et aux images de fête.

Entre l’Océan et moi, entre l’élément liquide et moi, entre les prétentions métaphysiques à l’infini de cette nappe chaude et agitée qui faisait fondre tous mes rêves et moi, la dichotomie est devenue viscérale.
Je promène ainsi un sentiment profondément anti-océanique, qui vient bien sûr de beaucoup plus loin que la frustration du froid et des hivers transis. Ce n’est là sans doute que la partie visible de l’iceberg.
Si entre l’eau et le poisson, l’amour n’est pas fusionnel que reste t-il à ce poisson pour vivre sa vie de poisson ? La détestation d’un environnement vital n’est que la détestation d’une condition  confuse en proie au mal de vivre.

C’est bien étrange, mais tout ce qui venait de l’est ou du nord, me semblait plus beau et plus vrai.
Là, il y avait bien fusion amoureuse avec des éléments que je ne connaissais pas et dont les contours n’étaient dessinés que par l’imagination. Il me semblait ainsi que tout ce qui se passait dans les brumes chez nous était décadent et sans intérêt. Quand j’appris, dès mes premières années de collège, que les Pères-Noëls en  istes  de ma mère et de mon mauvais voisin étaient nichés là-bas, dans le froid lointain, du côté d’où ne venaient jamais les vents, mon être enfantin a savouré vaguement comme une sorte d’harmonie du monde.
Tout concordait, le froid, la neige, la glace, les soleils levants et les preux chevaliers, abolisseurs de pauvreté et bouffeurs de curés.
A cinquante quatre ans, il y avait déjà plus de trente ans que les messies avaient été dans ma tête démasqués comme des usurpateurs, et pourtant, abandonnant tout de ma vie, à l’heure où tout le monde, à commencer par moi-même, croyait mes ailes définitivement refermées et le consensus avec l’équilibre enfin accompli, j’ai marché vers l’est, jusqu’à une autre latitude, jusqu’à d’autres climats aux froids blancs et brutaux et sous lesquels on ignore à peu près tout de la mer et du vent d’ouest, des plages et des odeurs de sel, des bateaux aux ventres dégoulinant de poissons.
Déraciné, certes, mais dans les culottes courtes de l’éternel retour. A la recherche d’un Graal que semblaient me cacher les rideaux de pluie et qui, sans doute se trouve dans cet ailleurs si lointain qu'on le nomme communément nulle part.

Texte publié en novembre 2008

08:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

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